Le périmètre sera élargi aux établissements publics, les pénalités uniformisées autour de 7% et des délais sectoriels seront déterminés. Entre-temps, la moyenne pour se faire payer atteint 7 mois. Les amendements de la loi sur les délais de paiement vont être adoptés avant fin 2015. C'est ce qu'annoncent les responsables de la Confédération générale des entreprises du Maroc (CGEM) en marge de leur assemblée ordinaire et élective, tenue le 12 mai. Rappelons qu'après plusieurs rounds de discussions avec le ministre délégué au budget, le patronat a élaboré une liste d'amendements qui a été soumise à l'Exécutif en février 2014 pour rectifier le tir, étant donné que la loi, en vigueur depuis début 2013, comprend plusieurs incohérences, laisse de grandes zones d'ombre et exclut de son champ d'application la commande publique. L'ensemble des dispositions de la loi 32-10 qui se sont révélées inapplicables a été alors revu et acté avec les responsables du ministère des finances. En gros, il s'agit de l'élargissement du périmètre de la loi pour qu'elle englobe les établissements publics, amendement qui va être formulé expressément sur la nouvelle mouture, sachant que le Secrétariat général du gouvernement (CGG) a donné son aval sur ce détail. Un deuxième point de discorde est l'imposition de la pénalité une fois comptabilisée dans les livres de l'entreprise créditrice. Dans la mouture actuelle, la pénalité de retard, qui doit être constatée obligatoirement, est passible d'impôt dès son enregistrement, ce qui représente une double peine pour l'entreprise pâtissant déjà de l'incidence du retard de paiement, selon le patronat. En toute logique, ce dernier a demandé à ce que l'imposition soit levée jusqu'à encaissement du produit de la pénalité. Aussi, les taux de pénalité vont être uniformisés. Dans la version actuelle, ils sont de 10% pour le privé et de 3% pour les ministères. Les deux parties ont convergé vers une fourchette de 6 à 7%, de manière à ce que l'applicabilité de la loi ne soit pas compromise et en même temps pour que les taux restent dissuasifs et au-dessus des taux du crédit bancaire. Un autre amendement porte sur la date à partir de laquelle le délai de paiement légal commence à courir. La proposition du patronat est de retenir la première fin du mois après la facturation pour avoir un référentiel pratique aux délais de paiement dans les livres de l'entreprise, notamment pour celles qui livrent quotidiennement. Le texte actuel stipule en effet que le délai commence à courir à partir de la date de facturation effective. De plus, des délais sectoriels ont été proposés par la CGEM pour tenir compte des spécificités de paiement de quelques secteurs au vu de leur cycle d'exploitation et de la nature de leur activité. Faute de modifications, la loi en vigueur reste inapplicable pour la quasi-totalité des opérateurs. D'après une récente étude de Coface sur le comportement de paiement des entreprises, 80% d'entre elles n'imposent pas de pénalités de retard à leurs clients. «Plus insensé encore, l'infime partie qui l'applique comptabilise les pénalités de retard sans les encaisser», relève un expert comptable. Entre-temps, les opérateurs ne savent pas à quel saint se vouer pour se faire payer et leur trésorerie continue à s'asphyxier. D'après les données de l'assureur-crédit Euler Hermès Acmar, dont la base de données est représentative du tissu économique, il faut compter 7 mois comme délai moyen séparant la livraison des marchandises (ou la réalisation des prestations) et l'encaissement des fonds, sachant que certains secteurs enregistrent des niveaux bien supérieurs. Et la tendance à l'allongement des délais est plus prononcée encore en ce début d'année. «Historiquement, les 4 premiers mois de l'année sont toujours marqués par un certain nombre de facteurs exogènes, puisqu'ils coïncident avec les renouvellements des lignes de fonctionnement au niveau des banques, process consommateur de temps et générateur parfois d'un climat d'attentisme, et avec les clôtures comptables qui impactent négativement la productivité des départements financiers en termes de paiement des fournisseurs», note Hicham Bensaid Alaoui, directeur Risques informations et claims chez Euler Hermès. Le BTP toujours en crise Sans réelle surprise, le secteur le plus négativement impacté par les retards de paiement en ce début d'année est le BTP. Ceci est notamment dû à des raisons structurelles d'organisation du secteur et d'essoufflement de la demande après le contexte spéculatif très marqué des années 2000. «Nous pouvons également ajouter le secteur agricole, dont les cycles d'exploitation sont longs et dont le besoin en fonds de roulement atteint son paroxysme en début d'année civile, bien qu'il s'agit là d'une tendance normale de retard, non révélatrice de défaillances particulières», ajoute M. Bensaid Alaoui. Par ailleurs, les spécialistes font remarquer que cette dégradation de la conjoncture s'explique également par le fait que certains secteurs à fort dynamisme dans les années précédentes (particulièrement le BTP) ont vu fleurir un environnement général spéculatif, ce qui s'est traduit par l'apparition de nombreux acteurs opportunistes dans des sous-secteurs spécifiques (distribution de matériaux de construction, promotion immobilière…), parfois sans réelle expertise métier. Ceci a eu pour effet un accroissement des surcapacités, notamment depuis 2013, puis un déséquilibre global du marché, maintenant que ces mêmes acteurs opportunistes, sentant le vent tourner, ont souhaité se retirer du marché, quitte à brader les prix au-delà de tout bon sens économique.