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Parlementaires… à temps partiel
Publié dans La Vie éco le 19 - 12 - 2014

Les fonctionnaires bénéficient d'un détachement «forcé», ils reprennent leur poste à la fin de leur mandat. Les hommes d'affaires, juristes, commerçants et agriculteurs continuent d'exercer leur activité. Seuls les salariés du secteur privé, 9% des députés, renoncent à leur travail le temps d'un mandat.
Peut-on être parlementaire et faire des affaires ? Il semblerait que oui. En effet, juristes, commerçants, chefs d'entreprises ou même journalistes et artistes, voire professeurs universitaires continuent à ménager la chèvre et le chou et cumuler leur mandat avec leurs activités professionnelles. Et ce ne sont pas les exemples qui manquent. En effet, tout patron et fondateur d'un groupe industriel et immobilier qu'il est, Miloud Chaâbi, qui vient juste de présenter sa démission au président de la première Chambre pour des raisons de santé, a continué à allier les deux pendant près de trente ans. Le député istiqlalien de Meknès, Abdelouahed El Ansari, lui, vient tout juste de se faire élire bâtonnier de la ville qu'il représente au Parlement depuis les élections de 2007. D'autres juristes, dont l'ancien chef de groupe parlementaire du PAM et actuel vice-président de la Chambre gardent leurs cabinets ouverts comme l'a fait, d'ailleurs, l'actuel ministre de la justice Mustapha Ramid alors qu'il était encore parlementaire. L'ancien président de la Chambre et ex-ministre de l'équipement et du transport, Karim Ghellab (Istiqlal), vient, lui, de créer en juin dernier, rapporte une source médiatique, sa propre société d'investissement. Autre cas et non des moindres, le comédien Yassine Ahjam, député PJD élu sur la liste nationale des jeunes, alterne les plateaux de tournage et les séances parlementaires. Entre les travaux de la commission de la culture dont il fait partie, le débat et le vote des textes et des amendements de lois en séance plénière, les bouclages quotidiens du journal du parti, Al Alam, le député istiqlalien de Larache, Abdellah Bakkali, trouve, lui aussi, encore du temps pour assumer une fonction à laquelle il vient d'être désigné, président du syndicat de la presse avec son lot de voyages de représentation aussi bien au Maroc qu'à l'étranger.
Au Parlement, siègent également des chefs d'entreprises dont certains ne prennent le chemin de la coupole que lors de l'ouverture par le Roi des sessions d'automne et de printemps. Abdelali Abdelmoula, élu PJD de Sidi Kacem et patron de la Comarit (qui vient de faire faillite), et dont le fils Samir est également conseiller parlementaire au nom du PJD, fait partie de ces chefs d'entreprises dont on n'entend plus parler depuis leur élection.
Au moins 50% des députés sont concernés
Autres exemples, les deux députés istiqlaliens, Abdelkader El Kihel et Adil Benhamza, bien qu'étant très présents aussi bien au Parlement que sur la scène politique en général, ont néanmoins tenu à boucler et soutenir leur thèses de doctorat, en mars dernier, l'un en criminologie et l'autre en gestion des ressources humaines. Presque en même temps leur collègue du PAM, Younes Sekkouri, ingénieur en télécoms, a décroché un nouveau diplôme à la Fox School of Business, aux Etats-unis. De même que parmi nos députés on compte également des chefs de partis, avec toutes les charges que cette responsabilité suppose. Driss Lachgar, qui cumule avec son poste de Premier secrétaire de l'USFP celui de chef du groupe parlementaire, et Hamid Chabat de l'Istiqlal, qui jusqu'à il y a peu était encore patron de syndicat (UGTM), en font partie, au même titre que Salaheddine Mezouar. Celui-ci cumulait les deux postes avant que son parti, le RNI, ne rejoigne la coalition gouvernementale. Mohamed Yatime, lui, continue de cumuler le poste de député (PJD) et de patron syndical (UNTM). Bien plus, et jusqu'à l'adoption d'une nouvelle Constitution, en juillet 2011, le Parlement comptait également des députés ministres.
En somme, les statistiques officielles montrent que 19% des députés sont issus du secteur privé, soit 75 cadres et chefs d'entreprises. 95 parlementaires de la première Chambre, soit 24%, sont des agriculteurs ou des commerçants. Ce sont des activités qu'on délaisse rarement pour un mandat, à moins d'être sûr de pouvoir faire carrière dans la représentation parlementaire. Par ailleurs, les chiffres sont encore plus élevés lorsqu'il s'agit de la deuxième Chambre, dont les collectivités territoriales, grands fournisseurs de notables et hommes d'affaires, et les Chambres de commerce constituent des collèges électoraux.
Cela dit, bien sûr, il existe plusieurs cas d'industriels, professionnels du transport, exploitants agricoles, courtiers en assurances et autres, qui arrivent à ménager tant bien que mal leurs affaires et les intérêts de leurs électeurs, cela n'est pas une règle générale. En effet, même en étant dans la légalité, être député tout en maintenant ses activités professionnelles n'est pas de tout repos quand ce n'est pas, a priori, non «rentable» à terme. «J'ai perdu presque le tiers de mon chiffre d'affaires pendant la durée de mon mandat», confie cet ancien député PJD et homme d'affaires basé à Kénitra.
Parlementaire, un acte de militantisme ?
Le ministre du commerce extérieur, Mohamed Abbou, a tenu pendant deux années en tant que député, président de commune et enseignant universitaire. «Mais je me suis rendu à l'évidence que je ne pouvais pas tout faire à la fois», a-t-il confié à La Vie éco. Son ancien collègue à la première Chambre, le député islamiste d'Oujda, Abdelaziz Aftati, a résisté, lui, pendant tout un mandat. Il s'est rendu à l'évidence lui aussi qu'il ne pouvait plus continuer au début de son deuxième mandat (2007-2011). «Je ne pouvais plus concilier entre l'enseignement et le mandat de député, j'ai donc fini par renoncer au premier. Peut-être qu'à la fin de l'actuel mandat je pourrais reprendre l'enseignement, mais d'ici là, la loi m'interdit dorénavant de cumuler les deux», lâche-t-il dans une confidence à La Vie éco. Selon Abdelkader El Kihel (Istiqlal), «pour un député, c'est difficile de faire autre chose». Il trouve quand même le temps de faire un saut à l'université de Fès où il enseigne. «Il m'est difficile de renoncer complètement à l'enseignement, ça me permet de me rafraîchir les idées. La routine du travail parlementaire endort l'esprit. On devient comme une machine», reconnaît-il. Abdessamad Idrissi, également élu PJD d'El Hajeb, partage son temps entre le Parlement, l'activité associative, le secrétariat général du parti et son bureau d'avocat. «Être parlementaire, déclare-t-il, c'est un acte de militantisme. Je serais resté dans mon bureau, j'aurais gagné plus». Mehdi Bensaïd, le jeune député PAM et président de la commission des affaires étrangères, abonde dans le même sens. «Les 7 jours de la semaine, c'est pas suffisant pour honorer tous mes engagements de député. Et les dossiers finissent par s'accumuler. Surtout qu'au Maroc le parlementaire n'a pas les moyens d'engager un assistant». Et de confier : «J'avais une boîte et j'ai fini par vendre mes parts pour m'impliquer au maximum dans mon activité de parlementaire». Pour lui, il ne fallait pas non plus mélanger activité professionnelle et activité parlementaire. Toutefois, «il faut quand même rester financièrement indépendant. Cela permet de ne pas être tenté par les lobbyistes et les groupes d'influence».
Certaines activités demeurent interdites
En théorie, rien ne les empêche de continuer leurs activités du moment que cela n'empiète pas sur leur mission de représentant de la nation. Certains analystes expliquent, cependant, en partie, le phénomène d'absentéisme des élus par la nature de leurs activités parallèles. Mais si cela est peut-être vrai pour certains cas, il n'en est pas pour autant une donne généralisée. L'activité parlementaire étant, d'ordinaire, concentrée sur les trois premiers jours de la semaine. Les concernés, comme les nombreux députés également investis d'un mandat local, peuvent vaquer à leur autres activités le restant de la semaine en toute légalité. Seuls les fonctionnaires ne rentrent pas, par force de loi, dans cette catégorie. C'est que la loi est claire sur ce point. Elle énumère d'ailleurs les cas où le parlementaire ne peut pas cumuler son mandat avec une autre activité. L'article 14 de la loi organique de la Chambre des représentants précise d'ailleurs que «le mandat de membre de la Chambre des représentants est incompatible avec l'exercice de toutes fonctions publiques non électives dans les services de l'Etat, des collectivités territoriales, des établissements publics, des autres personnes morales de droit public ou des sociétés dont le capital appartient pour plus de 30% à l'Etat, à l'exception d'une mission temporaire dont le représentant concerné peut être chargé par le gouvernement». Les fonctionnaires se trouvant dans ce genre de situations d'incompatibilité sont, de droit, précise le même article, placés sur leur demande, pendant la durée de son mandat, dans la position de détachement conformément à la législation et la réglementation en vigueur. «Le détachement est prononcé par arrêté du chef du gouvernement pris sur proposition du ministre intéressé, après visa du ministre chargé des finances et du ministre chargé de la fonction publique», précise la loi. Mais, dès la cessation de leur mandat, ils sont réintégrés d'office dans le corps auquel ils appartenaient dans leur administration d'origine. Entre enseignants et fonctionnaires, 27% des élus sont concernés, soit 107 députés, qui sont en détachement et qui peuvent retrouver leurs postes une fois leur mandat arrivé à échéance. Cependant, ces derniers cessent de percevoir leurs salaires jusqu'à ce qu'ils regagnent, de nouveau, leurs postes. Et ce, contrairement à leurs homologues qui, eux, non seulement n'ont pas cessé leur activité, mais continuent de percevoir la totalité de leurs indemnités de députés et revenus professionnels. Une autre catégorie est tenue, elle, de se chercher des moyens de subsistance une fois le mandat arrivé à terme, à moins de vouloir se contenter de leur retraite d'anciens députés. Ce sont les salariés du secteur privé. Ils représentent 9% des élus de la première Chambre, soit 35 députés au total.
Des sanctions pénales en cas d'infraction
Les députés peuvent donc exercer, en toute légalité, des activités professionnelles génératrices de revenus en parallèle avec leur mandat. La seule chose qui est répréhensible c'est qu'ils usent de leur statut pour améliorer la notoriété et donc le chiffre d'affaires de leur entreprise. L'article 20 de la loi organique de la première Chambre est on ne peut plus clair sur ce point. «Il est interdit à tout représentant d'utiliser ou de permettre d'utiliser son nom suivi de l'indication de sa qualité dans toute publicité relative à une société ou entreprise, quelle que soit la nature de son activité». Les fondateurs, directeurs ou gérants de sociétés ou entreprises, quelle que soit la nature de leurs activités, qui auront fait, ou permis de faire, figurer le nom d'un représentant avec mention de sa qualité dans toute publicité faite dans l'intérêt de la société ou l'entreprise qu'ils dirigent ou qu'ils se proposent de fonder risquent une peine d'un à six mois de prison et une amende allant de 10 000 à 100 000 DH. Question : Que faire quand le député ne sait pas vraiment si les activités qu'il exerce sont incompatibles avec son mandat ? C'est une question que s'est posée le législateur et a tenu à y trouver une réponse. Laquelle réponse est contenue dans l'article 18 de la loi organique de la première Chambre.
Ainsi, «en cas de doute sur l'incompatibilité des fonctions exercées avec le mandat de membre de la Chambre des représentants ou en cas de contestation a ce sujet, le bureau de la Chambre des représentants, le ministre de la justice ou le représentant lui-même saisit la Cour constitutionnelle qui décide si le représentant intéressé se trouve effectivement dans un cas d'incompatibilité». Le député qui se trouve effectivement dans un cas d'incompatibilité doit régulariser sa situation dans un délai de quinze jours à compter de la notification qui lui est faite de la décision de la Cour constitutionnelle. A défaut, ladite Cour le déclare démis de son mandat. Autre question : Qu'advient-il quand l'élu de la nation décide de s'adonner à une activité génératrice de revenus au milieu de son mandat? Au cours de son mandat, le représentant doit déclarer au bureau de la Chambre toute activité professionnelle nouvelle qu'il envisage d'exercer. Sera déchu, de plein droit, le représentant qui aura accepté, en cours de mandat, une fonction incompatible avec celui-ci ou qui aura méconnu les dispositions de la loi organique relatives à la question.


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