Alors que les inconvénients du cumul des fonctions politiques sont connus, cette pratique boulimique ne connaît pas de frein. Il est urgent que la loi, plutôt permissive dans ce domaine, vienne mettre un terme à cette situation pour rendre leur crédibilité à nos institutions. Treize ministres d'un gouvernement relativement pléthorique et des députés en nombre surélevé se présentent aux prochaines élections locales. Ce n'est pas tant le fait lui-même qui surprend, que la récurrence d'une situation problématique de cumul des fonctions. Le constat génère un débat d'idées ancien entre deux courants. Se réclamant d'un libéralisme «généreux», certains, favorables à l'association de principe de la ministrabilité à la députation, représentation locale et professionnelle, réfutent le principe de l'incompatibilité. Plus pragmatiques, ses tenants arguent d'une rationalité constitutionnelle et politique : la distribution rationnelle des pouvoirs. Protéger l'indépendance des parlementaires Il est peut être prestigieux mais narcissique de prétendre à la présidence d'une commune, à la députation et à la ministrabilité. C'est une forme de de «pantagruélisme» politique. Mais en termes d'organisation du travail, comment concilier toutes ces fonctions dans le temps et l'espace quand on sait qu'elles exigent professionnalisme et entière disponibilité ? Comment négliger une fonction de représentation locale sans trahir la confiance des électeurs en droit d'attendre plus dans la gestion de leur localité ? C'est dire que la question du cumul des fonctions se pose en termes tant juridique, que politique et éthique. Par définition, l'incompatibilité est l'interdiction de cumuler certains emplois ou certaines fonctions. Les législations distinguent deux types d'incompatibilité, selon la fonction politique considérée. L'incompatibilité du mandat parlementaire avec d'autres fonctions (à ne pas confondre avec l'inéligibilité) oblige l'élu à «choisir» entre son mandat et la fonction incompatible. Le fondement de ce genre d'incompatibilité réside dans la nécessité de protéger l'indépendance des parlementaires aussi bien à l'égard des autorités publiques que des intérêts privés. En France, il a fallu attendre la loi du 30 décembre 1985 pour introduire un régime de «limitation» des cumuls. Autrement dit, les parlementaires doivent se contenter d'un autre mandat important (député européen, conseiller régional, conseiller général, conseiller de Paris, maire d'une commune de plus de 20 000 habitants, notamment). En réalité cette loi a laissé subsister la possibilité de détenir trois mandats. Si bien qu'une limitation plus stricte a été proposée par la commission Vedel en 1993, avant d'être décidée plus tard, en 1999, par le gouvernement Jospin. En matière d'incompatibilité, les dispositions légales sont plutôt permissives du cumul L'interdiction de cumuler la fonction ministérielle et une autre activité publique offre une autre approche de l'incompatibilité. Ainsi, l'article 23 de la Constitution française de 1958 prévoit que «les fonctions de membre du gouvernement sont incompatibles avec l'exercice de tout mandat parlementaire, de toute fonction de représentation professionnelle à caractère national et de tout emploi public ou de toute activité professionnelle». En application de cette disposition, l'ordonnance organique du 17 novembre 1958 stipule : «Pour chaque membre du gouvernement, les incompatibilités (…) prennent effet à l'expiration d'un délai d'un mois à compter de sa nomination. Pendant ce délai, le parlementaire membre du gouvernement ne peut prendre part à aucun scrutin. Les incompatibilités ne prennent pas effet si le gouvernement est démissionnaire avant l'expiration dudit délai». En mai 1962, les députés MRP, en désaccord avec Charles De Gaulle sur sa politique européenne, présentèrent leur démission du gouvernement constitué en avril, ce qui leur permit de retrouver immédiatement leur siège. Maurine Faure, ministre de la Justice dans le premier gouvernement Mauroy en 1981, qui a duré moins d'un mois, a retrouvé son siège parlementaire après avoir renoncé à faire partie du second gouvernement Mauroy (cf. Joel Mekhantar, Droit politique et constitutionnel. Editions Eska, Paris, 1999, p. 371). Au Maroc, les dispositions légales relatives aux incompatibilités, notamment parlementaire (et par ricochet gouvernementale), sont plutôt expressément permissives du cumul. Alors que l'article 11 de la loi organique relative à la Chambre des représentants du 4 septembre 1997 prévoit que «le mandat de membre de la Chambre des représentants est incompatible avec la qualité de membre du Conseil constitutionnel ou de membre du Conseil économique et social (…)». L'article 12 précise : «L'exercice de toutes fonctions publiques non électives, à l'exception des fonctions gouvernementales, dans les services de l'Etat, des collectivités locales, des établissements publics, est incompatible avec le mandat de membre de la Chambre des représentants (…)». Dans un pays où le discours politique fait de la démocratie, de la décentralisation et du développement local, son credo, il est anachronique de ne pas trancher sur la question du cumul des fonctions politiques. Les inconvénients de celui-ci sont pourtant connus : impossibilité de s'y consacrer à plein temps d'où le recours à la délégation, confusion des intérêts nationaux ou locaux, non renouvellement de l'élite, féminisation insuffisante, éparpillement, abus d'influence. Il est grand temps que, sur la question et tant d'autres impliquant la crédibilité des hommes et des institutions politiques, le vent des réformes souffle sur notre rivage