Devoir s'y prendre à deux ou trois fois avant d'obtenir une décision de justice correcte, est injustifiable. Cela entraîne des longueurs dans l'application d'une justice saine, engendre des coûts supplémentaires pour les justiciables, ce qui induit une perte de confiance dans le système judiciaire. Des dysfonctionnements seront certes toujours regrettables, mais des doublons, qui se contredisent en plus, devraient à l'avenir pouvoir être évités, par une meilleure concertation entre magistrats. Dans la chronique de la semaine dernière consacrée au rôle des magistrats du parquet dans la gestion des affaires pénales, il a été constaté que la machine se grippait par manque d'audace des fonctionnaires. Mais, dans un procès, il y a aussi des juges : on pourrait même dire que c'est LE personnage principal qui va écouter les deux parties (demandeur et défendeur, accusation et défense), gérer et diriger un débat contradictoire, examiner les pièces et documents présentés par les avocats avant de trancher en prenant LA décision judiciaire, arrêt, ordre ou ordonnance selon les cas. Mais si les procureurs sont timorés et prudents, les magistrats eux, font parfois preuve de légèreté lors de la rédaction de leurs jugements, pour rester corrects envers ce corps. Sinon, comment expliquer les cas suivants ? Un notaire, constatant un désaccord entre deux parties lors de la vente d'un bien immobilier, décide de consigner au tribunal la somme rondelette d'un million de dirhams. Procédure simple et rapide : le juge des référés, saisi, donne son accord, mais omet de préciser le montant dans son ordonnance. Une seconde demande est aussitôt déposée, identique à la première, mentionnant le montant. Cette fois, le magistrat (qui a changé entre-temps, son collègue étant parti en vacances) rejette la requête, estimant que dans le cas d'un litige privé, la justice est incompétente ! (On se demande bien quand elle le sera, alors ? Seulement en cas de conflit atomique ?). Un propriétaire, excédé par les retards en paiement de loyers de son locataire, décide de l'expulser, mais constate qu'il a quitté la ville sans laisser d'adresse, non sans avoir fermé à double tour l'appartement loué. Un constat d'huissier confirmera que le local est quasiment abandonné depuis quelques années. Le juge des référés refuse la restitution du local, au motif que la procédure doit être contradictoire. Certes, mais avec qui, si l'une des parties est introuvable ? La situation peut durer des lustres, le préjudice du propriétaire est évident, et le rôle de la justice est justement de proposer des solutions à ce genre de cas. Heureusement, un autre juge statuant sur une nouvelle demande donne raison au propriétaire, ordonnant la restitution immédiate du local loué, estimant «avérée la défaillance du locataire, établie l'inutilisation du local, justifiant ainsi l'intervention de la justice pour mettre fin à un trouble évident de l'ordre public». Voici un juge comme on aimerait tant en voir ! Enfin, dans un cas déjà évoqué concernant le mariage d'une Marocaine avec un étranger non musulman, nous avons constaté que dans le même service, du même tribunal, deux juges ont rendu deux avis contradictoires : le premier refusant la demande de validation de l'acte de mariage français, alors que son collègue acceptait l'homologation du même document, le tout à une semaine d'intervalle… Dans ces trois affaires, les magistrats, six au total, ont eu affaire aux mêmes dispositions juridiques concernant, pour chaque dossier, des textes de loi précis, tout en s'appuyant sur des jurisprudences établies ; mais pour arriver à une lecture différente de ces dispositions, et en faire une interprétation, peut être justifiée légalement, mais impropre matériellement, voire injuste ! Si les cas évoqués sont éloquents, il faut aussi savoir que pareilles situations sont plus fréquentes qu'on ne le croit. Ce qui, du reste, contredit la thèse du magistrat en colère, qui affirmait travailler 14 heures par jour pour rendre des décisions irréprochables. Devoir s'y prendre à deux (ou trois) fois avant d'obtenir une décision de justice correcte est injustifiable. Cela entraîne des longueurs dans l'application d'une justice saine, engendre des coûts supplémentaires pour les justiciables, ce qui induit une perte de confiance dans le système judiciaire. Des dysfonctionnements seront certes toujours regrettables, mais des doublons comme ceux que l'on vient de voir, qui se contredisent en plus, devraient à l'avenir pouvoir être évités, par une meilleure concertation entre magistrats. Voilà peut-être une piste de plus à explorer dans le cadre de la réforme entamée.