Le ministère a du mal à mener son chantier à cause de la diversité des interlocuteurs. En dépit de leur résistance, les transporteurs sont d'avis que la réforme doit prendre en compte la sécurité des voyageurs, favoriser la compétitivité et lutter contre les situations de rente. L'Etat confirme sa volonté de réformer le secteur du transport routier de voyageurs en supprimant l'agrément, condition obligatoire jusqu'à aujourd'hui pour accéder à la profession, pour le remplacer par un autre système basé sur des critères économiques et professionnels. L'annonce a été réitérée par le chef de l'Exécutif, Abdellilah Benkirane, lors de la rencontre avec plusieurs associations professionnelles organisée jeudi 31 janvier par le ministère de l'équipement et du transport. Cette volonté déclarée depuis l'arrivée aux affaires de ce gouvernement s'est déjà manifestée à travers plusieurs actions dont la publication de la liste des détenteurs d'agréments, les annonces de l'adoption de cahiers des charges, entre autres, pour le transport touristique, ou la création d'un mode de transport de luxe (VIP). Ces annonces ont suscité l'hostilité d'une grande partie des transporteurs, et pour être précis, des entreprises de transport de voyageurs non structurées. Le lancement de l'appel d'offres pour le transport VIP dont le but était théoriquement d'attirer de nouveaux investisseurs dans le secteur avait provoqué une grève de plusieurs jours, obligeant le gouvernement à reculer. Pour calmer les esprits, le ministère de l'équipement et du transport a pris l'initiative d'inviter les instances professionnelles à réfléchir sur cette inévitable réforme. Sauf que, comme le souligne un observateur présent lors de cette réunion, s'il est avéré que si le ministère est décidé à réformer le secteur dans les plus brefs délais, il a en face de lui «une profession incapable de sortir une proposition, à cause justement de ce système de rente». Le gouvernement peut avoir les coudées franches s'il fait preuve de pédagogie Même en désaccord, le groupe des récalcitrants constitué des petites entreprises individuelles exploitant des agréments personnels et des investisseurs détenteurs d'agréments achetés à prix fort, dont certains sont aujourd'hui à la tête d'entreprises de grande taille, sont obligés de faire front commun pour défendre leurs acquis. Les loueurs d'agréments sont sur la même longueur d'onde car ils risquent de se retrouver sans ressources une fois le système de rente démantelé. Seules les quelques sociétés structurées sont favorables à la réforme. Elles ont même approché la Confédération générale des entreprises du Maroc (CGEM) pour entamer une réflexion sur la base d'une étude à commanditer, mais la volonté du gouvernement de passer rapidement à l'action risque de les prendre de court. Echaudé par les grèves, Aziz Rabbah, ministre de l'équipement et du transport, comprend toutefois les risques d'un passage en force. Il a insisté sur l'impératif de réviser le cadre juridique qui date de 1963 mais a pris soin de souligner que «la réforme doit se faire dans le cadre d'un partenariat entre le gouvernement et les représentants du secteur du transport afin de pouvoir assurer une meilleure gestion de la période transitoire». Il semble que le ministre ne prêche pas dans le désert. En dépit du débat houleux sur plusieurs points, les transporteurs se sont en effet accordés sur les finalités de la réforme escomptée : prendre en compte la sécurité des voyageurs, favoriser la compétitivité, encourager l'investissement et être en mesure d'enrayer l'économie de rente qui gangrène le secteur. De l'avis des experts, le gouvernement peut avoir les coudées franches pour mener à bien sa réforme s'il fait preuve de pédagogie. Pour ce faire, il est suggéré qu'il faudrait présenter un schéma de réforme avec de nouveaux critères d'accès à la profession précis, une nouvelle architecture des lignes desservis basée sur le besoin des citoyens et une période de transition de quelques années pour permettre à ceux qui le voudraient de s'adapter et aux autres de trouver une porte de sortie. Car, il ne faut pas l'oublier, ce ne sont pas les transporteurs qui sont responsables de la situation actuelle, c'est l'administration elle-même qui a depuis plusieurs décennies laissé pourrir la situation.