Le président Mohamed Cheikh Biadillah s'accroche pour garder la deuxième Chambre dans sa configuration actuelle. Aucune élection ni du président et du bureau, ni du tiers sortant n'est prévue dans l'immédiat. Pour les responsables de la deuxième Chambre, le débat est clos. Et qu'on se le tienne pour dit. L'institution sera maintenue dans sa configuration actuelle. Point d'élections, donc. En tout cas pas pour le moment. Par élections, il faut entendre l'élection de la totalité des membres de la Chambre pour se conformer à la nouvelle Constitution ou le renouvellement du tiers sortant et les instances dirigeantes (présidence et bureau), pour rester dans la logique du texte constitutionnel de 1996. C'est que, pour paradoxal que cela puisse paraître, nous avons une moitié du Parlement dont les fondements (la composition et le mode d'élection) et le fonctionnement sont régis par deux textes constitutionnels différents. Voilà qui suscite, n'en déplaise aux réfractaires, un véritable débat constitutionnel et légal qui ne manquera pas, et c'est un risque à prévoir, d'avoir des conséquences fâcheuses sur le fonctionnement même de l'Etat. A la deuxième Chambre, dont le président, Mohamed Cheikh Biadillah, s'apprêtait jeudi dernier, alors que nous mettions sous presse, à donner une conférence de presse pour exposer le bilan de ses trois ans de mandat, ce problème n'a même pas lieu d'être posé. «La situation actuelle de la Chambre est réglée par l'article 176 de la Constitution et l'article 98 de la loi organique de la deuxième Chambre (voir encadré) qui lui permettent de rester en fonction jusqu'aux élections. Et il ne peut y avoir d'élections de la deuxième Chambre sans que ne soient organisées auparavant les élections régionales, professionnelles et des autres collectivités territoriales», affirme d'emblée son président Mohamed Cheikh Biadillah. En d'autres termes, «elle reste telle quelle (NDLR avec la même composition, le même président et le même bureau) par la force de la Constitution et de la loi organique en attendant les prochaines élections», ajoute-t-il. Or, insiste le constitutionnaliste, Abdelkader Bayna, il y a bel et bien problème. «Aujourd'hui, depuis l'ouverture de l'actuelle année législative, le tiers des membres de la Chambre n'a plus, du point de vue constitutionnel, aucun droit d'y siéger». Il s'agit des 90 conseillers élus le 6 octobre 2003 et dont le mandat a expiré légalement le 12 octobre courant. Aucun texte ne permet de proroger leur mandat Versant dans le même sens, le juriste et président du groupe de l'Istiqlal à la deuxième Chambre, Mohamed El Ansari, affirme que, «à supposer que la Chambre continue de fonctionner selon les termes de l'article 176 de la Constitution, mais avec des mécanismes régis par la Constitution de 1996, il est impératif de renouveler le tiers sortant et réorganiser les élections du président (NDLR dont la durée de mandat est fixée à trois ans et qui expire également en ce mois d'octobre). Autrement, l'institution se trouve en situation d'infraction à la Constitution». C'est que, note le constitutionnaliste et ancien député, ancien président du groupe parlementaire USFP, Abdelkader Bayna, «la Constitution de 1996 fixe le mandat des conseillers à 9 ans alors que celle de 2011 le réduit à 6 ans, comme elle réduit leur nombre entre 90 et 120 au lieu de 270 dans l'ancienne formule». En conséquence, «dans les deux cas les 90 conseillers élus en 2003, qui ont passé 9 ans dans la Chambre, n'ont plus qualité de parlementaires. Et aucun texte ne permet de prolonger leur mandat». Bref, le maintien de ces 90 conseillers en poste «n'a pas de fondement juridique. Tout comme le fait de les avoir invités à participer à la cérémonie d'ouverture de la session d'automne du Parlement, le 12 octobre courant, n'en avait pas non plus», note ce professeur de droit constitutionnel à l'université Mohammed V de Rabat. Mais alors que faire de cet article 176 auquel se réfère tout le monde ? «L'article en question stipule que les Chambres actuellement en fonction continueront d'exercer leurs attributions. Il parle de Chambres mais ne dit pas expressément que les conseillers en poste continueront à exercer leurs fonctions même après expiration de leur mandat. Auquel cas la situation actuelle de la Chambre aurait été acceptable», argumente M. Bayna. Pour lui, le problème va plus loin à cause des effets juridiques et légaux induits par une telle situation. «Tout ce qui est fondé sur le faux est obligatoirement faux et vain», affirme le constitutionnaliste M. Bayna. En d'autres termes, tous les textes de loi qui seront votés par au moins un de ces 90 membres dont le mandat a expiré peuvent être frappés de nullité et être facilement invalidés par le Conseil constitutionnel. Il faut deux années pour élire une nouvelle Chambre Que dire alors des textes structurants que le gouvernement s'apprête à déposer au Parlement au cours des mois à venir ? La loi organique de la régionalisation, les textes relatifs aux autres collectivités territoriales, la loi organique relative au conseil économique et social, la loi organique sur la grève, la loi organique des syndicats…, en d'autres termes tous les textes relatifs aux collectivités locales, au développement régional et aux affaires sociales ? Tous ces textes sont, en effet, déposés en priorité (art. 78 de la Constitution) devant le bureau de la Chambre des conseillers. Cela alors que, explique un haut cadre de la Chambre, «au stade où en sont les choses actuellement, il faut au moins deux années pour élaborer, adopter et promulguer les lois électorales, organiser les élections communales, régionales et professionnelles et, enfin, les élections de la deuxième Chambre». En attendant, ajoute la même source, «les élections pour le renouvellement de la présidence et du bureau de la Chambre peuvent, elles, avoir lieu sans attendre et sans problème». Seulement, observe encore une fois Abdelkader Bayna, «si le président, un ou plusieurs membres du bureau sont désignés parmi les 90 conseillers dont le mandat a expiré, c'est toute la Chambre qui se retrouvera en infraction à la Constitution, et ses actes ne sont plus constitutionnels». Que faire dans ce cas ? Ce constitutionnaliste estime que pour couper court à ce débat, le président de la Chambre aurait dû saisir pour avis le Conseil constitutionnel. Et si nous étions dans la nouvelle configuration de la Cour constitutionnelle (on attend toujours une loi organique qui donnera forme à la nouvelle Cour constitutionnelle), celle-ci aurait pu s'auto-saisir pour régler cette question. La situation étant autre, le seul scénario possible aujourd'hui, explique ce professeur de droit constitutionnel, est d'organiser sans plus tarder des élections de renouvellement du tiers sortant, dans l'esprit de la Constitution de 1996, c'est-à-dire selon l'article 38 du même texte. A moins que le tenant de la thèse qui stipule que la Chambre devrait rester telle qu'elle est apporte un fondement juridique qui appuie cette thèse. Et si on faisait sans les 90 conseillers sortants ? «On pourrait tout aussi bien ne pas tenir compte de ces 90 conseillers dans les délibérations et votes de la Chambre», avance le président du groupe de l'Istiqlal à la Chambre, Mohamed El Ansari. Selon lui, on pourrait parfaitement libérer ces conseillers et considérer leurs postes comme étant vacants. On se retrouverait dans ce cas avec un nombre proche de celui stipulé dans la nouvelle Constitution, soit 180 conseillers. Encore faut-il que le président de la Chambre saisisse le Conseil constitutionnel qui pourrait statuer sur la vacance de ces 90 sièges. Un hic, toutefois : le président de la Chambre, Mohamed Cheikh Biadillah, comme il l'a lui même affirmé à La Vie éco, fait partie du courant qui opterait plutôt pour garder le statu quo. En d'autres termes, ce n'est certainement pas lui qui prendrait l'initiative pour faire évoluer la situation. Cela, d'une part. D'autre part, affirme M. Bayna, «que cette institution puisse fonctionner avec un siège, ou même un nombre réduit de sièges vacants pour quelque motif légal que ce soit, cela est à la limite acceptable. Mais faire fonctionner la Chambre avec 90 sièges vacants, cela relèverait de l'aberration. Aucun Etat qui se respecte ne permettrait pareille situation». Quelle est donc la solution ? Personne n'en a pour le moment. «De toutes les manières, ce n'est pas à la Chambre de chercher la solution. Tant que le gouvernement ne s'est pas empressé de trouver lui-même une solution, nous allons continuer à fonctionner comme nous l'avons toujours fait», affirme ce haut cadre de la deuxième Chambre. «Les parties que cette situation incommode peuvent toujours saisir le Conseil constitutionnel», ajoute cette source de la Chambre des conseillers. «Nous sommes devant un dilemme. Et il revient au gouvernement de le dénouer», affirme pour sa part le juriste et conseiller istiqlalien Mohamed El Ansari. Or, il se trouve que le gouvernement a déjà anticipé cette situation mais n'a fait les choses qu'à moitié. Un décret daté du 15 mars 2012, promulgué, mettait déjà fin aux mandats des membres des conseils communaux et d'arrondissements, les membres des conseils provinciaux et préfectoraux, les membres des conseils régionaux, les membres des Chambres professionnelles et les représentants des salariés. Bref, il s'agit du renouvellement des différents collèges électoraux de la deuxième Chambre. Ce décret est resté suspendu, depuis sa promulgation, à la fixation, par voie réglementaire, de la date de sa mise en œuvre. C'est-à-dire, celle des prochaines élections. Cet acte règlementaire doit être publié forcément au moins 45 jours avant la date des élections. En attendant, une première prise de bec Au fait, et pour reprendre les termes d'une étude réalisée dernièrement par le professeur Abdelkader Bayna, trois scénarios semblent plausibles pour sortir de cette impasse. Un quatrième scénario qui voudrait que la totalité des membres du conseil soit renouvelée avant le 12 octobre courant est aujourd'hui exclu. Les trois options étant donc de maintenir l'actuelle configuration et continuer à se référer à l'article 176 de la Constitution relatif aux mesures de transition, ou de procéder à la dissolution de la Chambre et élire ses 120 membres parmi les collèges électoraux actuels ou, enfin, d'attendre l'organisation des élections communales, régionales et professionnelles. Le premier scénario nous renvoie à l'impératif renouvellement du tiers des membres dont le mandat est arrivé à terme. Il y va, insiste ce constitutionnaliste, de l'interprétation démocratique aussi bien de la Constitution de 1996 que de celle promulguée le 1er juillet 2011. Cela d'autant qu'en septembre dernier, il a été procédé, dans des conditions similaires, au renouvellement des présidences et membres des bureaux des conseils régionaux. Le deuxième scénario, la dissolution, peut être justifié par le fait que le renvoi de la totalité des membres de la Chambre ne peut être admis qu'à l'occasion de sa dissolution pure et simple. Ce qui n'est pas le cas aujourd'hui. Le dernier scénario veut que l'on attende jusqu'à l'organisation des différentes échéances locales régionales et professionnelles, voire, et c'est un autre débat, jusqu'à expiration, en 2015, du mandat de ces différentes instances élues. Ce scénario rejoint le premier dans cette absolue nécessité de renouveler le tiers sortant. En attendant, la polémique enfle à propos de cette situation pour le moins problématique. La polémique, jusque-là, animée en dehors de la Chambre, n'a pas encore gagné l'hémicycle. Mais ça ne saurait tarder. En atteste cette reprise particulièrement agitée, mardi 16 octobre, des questions orales. C'est d'ailleurs, une autre question constitutionnelle, l'application de l'article 100 notamment, qui a été à l'origine de cette toute première prise de bec, une heure à peine après le début de la séance, entre, d'une part, le trublion président du groupe de l'UC, Driss Radi et le non moins sulfureux président du groupe du PAM, Hakim Benchemmass et d'autre part, le ministre de la justice, Mustapha Ramid. L'altercation entre les deux conseillers et le ministre a poussé le président de la séance, l'Istiqlalien Mohamed Faouzi Benallal, à la suspendre. Auparavant, les partis de l'opposition, l'UC et le PAM en premier ont décidé de se retirer de la séance. Et dire que ça ne fait que commencer.