Les bénéfices de la profession ont chuté de 60% en 2011 en raison de la baisse des volumes en Bourse. Les sociétés de Bourse de petite taille sont plus affectées que celles adossées aux groupes bancaires. Pression pour faire du chiffre, gel des salaires, suppression des bonus… Les équipes trinquent. S'il y a une activité qui a vraiment pâti de la crise, c'est bien l'intermédiation boursière. Les sociétés de bourse de la place traversent en effet une situation difficile, comme l'attestent leurs résultats au titre de l'année 2011. Le chiffre d'affaires de la profession qui compte 17 sociétés de bourse a chuté de 34% par rapport à 2010, s'établissant à 251 MDH. En cause ? La baisse drastique des volumes de transaction sur le marché boursier. Les échanges sur le marché central et de blocs ont reculé de 34% en 2011 pour atteindre 59,8 milliards de DH, ce qui a mécaniquement réduit les commissions sur transactions, principale source de revenus des intermédiaires boursiers. Celles-ci se sont dégonflées de 37%, à 222 MDH. Et, au final, le bénéfice net de la profession a dégringolé de 60%, à 56,6 MDH, plombé non seulement par la chute du chiffre d'affaires mais également par la non-récurrence des placements pour compte propre réalisés en 2010. Les conditions dans lesquelles opèrent les sociétés de bourse sont donc largement défavorables et la situation s'aggrave année après année car, il faut le rappeler, leur crise dure depuis 2008. Et si certains intermédiaires ont pu tirer leur épingle du jeu en maintenant presque au même niveau les bénéfices dégagés sur ces dernières années (c'est le cas notamment de CDG Capital Bourse et dans une moindre mesure du Crédit du Maroc Capital), les autres ont accusé le coup et affichent des résultats largement inférieurs à ce qui a été réalisé en 2010 (Attijari Intermédiation, Sogecapital Bourse, BMCE Capital Bourse…). Mais même dans le malheur on n'est pas tous égaux : à la lecture des résultats communiqués par les intermédiaires boursiers aux CDVM, un constat se dégage : ce sont les sociétés de bourse de petite taille, qui ne sont généralement pas adossés à des groupes bancaires, qui ont été les plus impactées, à l'instar d'Eurobourse, d'Integra Bourse, de MSIN et d'Alma Finance. Les commissions sur transactions représentent 90% du chiffre d'affaires des sociétés de Bourse En face, par exemple, malgré un contexte morose, Upline Securities et ICF Al Wassit se démarquent en affichant exceptionnellement des indicateurs au vert (voir encadré). Les sociétés de bourse subissent ainsi de plein fouet le contexte de crise actuel, marqué par le manque de liquidité, la baisse du niveau des transactions, l'absence d'opérations sur titres de taille pour dynamiser le marché, le manque de visibilité quant aux perspectives économiques à moyen terme et le comportement prudent des investisseurs quant au placement en actions. Bref, la conjoncture actuelle dans son ensemble favorise l'atonie sur la place casablancaise. Les introductions en Bourse opérées dernièrement (Jet Alu Maroc, Stroc Industrie, Afric Industries) n'ont pas réussi à donner un coup de pouce au marché du fait de leur petite taille. Du coup, le volume des transactions a poursuivi sa décrue, impactant ainsi les commissions d'intermédiation des sociétés de bourse et, par conséquent, leurs résultats. Car leurs revenus proviennent à 90% des commissions d'intermédiation. Le reste est partagé entre la commission de la conservation des titres -pour les sociétés de Bourse dépositaires, les revenus liés à la gestion de portefeuille sous mandat ; ceux issus du conseil en opérations financières et les gains sur opérations de contrepartie. «Ces revenus restent marginaux par rapport à l'activité principale des sociétés de bourse et n'arriveront jamais à compenser les pertes subies sur les commissions d'intermédiation», précise un directeur d'une société de bourse. Il faut souligner que ce contexte de crise a fait suite à une période faste de deux années, que furent 2006 et 2007, pendant lesquelles le marché boursier était sur un cycle haussier, tant au niveau des volumes que des variations, alimenté par des boursicoteurs, à la fois particuliers et institutionnels, cherchant à effectuer des placements de rendement (prudents) et de croissance (risqués). Durant ces années fastes, les introductions en bourse se comptaient également en dizaines. Avec 20 opérations réalisées en 2006 et 2007, et un rush enregistré au niveau des souscriptions, les échanges sur le marché boursier enregistraient des hausses exponentielles. Le volume transactionnel sur les deux marchés (central et blocs) a en effet totalisé 70 milliards de DH en 2006 avant de passer à 163 milliards en 2007. Par ailleurs, les syndicats de placement lors des introductions en bourse, aussi larges soient-ils, permettaient aux sociétés de bourse d'assurer des revenus conséquents liés non seulement à l'intermédiation, mais également à la conservation des titres et au placement. Conséquence de cet emballement, les revenus des sociétés de bourse avait atteint des niveaux exceptionnels : 194 MDH en 2006 et 305 millions en 2007 ! Depuis 2008, leurs bénéfices ont dégringolé de 64% Puis est venu le temps des vaches maigres. En 2008, baisse des volumes échangés en bourse de 33% et décrue des revenus des sociétés de bourse de 30%. En 2009, les volumes n'ont atteint que 64 milliards de DH, en recul de 41% par rapport à 2008. Conséquence : un effritement des revenus des sociétés de bourse. Les 17 opérateurs de la place ont ainsi réalisé un bénéfice agrégé de 101 MDH sur la même année, en baisse de près de 50%, comparativement à 2008 qui était elle-même catastrophique. En 2010, l'espoir revint. Cette année-là, le volume échangé sur le marché s'est apprécié de 42%, à 91 milliards de DH, grâce certes à la reprise des introductions en bourse avec la compagnie d'assurance CNIA Saada et le distributeur tunisien Ennakl automobiles, mais surtout grâce au retrait des holdings Ona et Sni qui a engendré une forte injection de cash sur le marché, ce qui a poussé les investisseurs à replacer leurs liquidités dans d'autres valeurs, d'où l'augmentation des volumes. Les sociétés de bourse ont bénéficié de cette année exceptionnelle pour améliorer leur résultat net qui s'est établi à 141 MDH, en hausse de 39% par rapport à 2011. Retour des beaux jours ? Non, juste un incident de parcours heureux (de l'exceptionnel donc) dans un marché à l'économie marquée par la déprime. Dès le début de l'année 2011, on dut déchanter. Le printemps arabe, les mouvements de contestation au Maroc, la réforme de la Constitution, les élections… le tout dans un contexte économique très morose. Les Marocains avaient la tête ailleurs que dans le jeu de la bourse. Ces facteurs ont donc replongé les investisseurs dans la prudence et l'attentisme, d'autant plus que les fondamentaux du marché n'encourageaient pas la prise de risque. En effet, malgré les baisses de 2008 et 2009, la place casablancaise est restée parmi les plus chères de la région et la croissance bénéficiaire des sociétés cotées s'essoufflait à cause de la crise. Pour ne rien arranger, «les grandes capitalisations de la cote qui avaient un potentiel de croissance intéressant sont devenues de moins en moins attractives. Il s'agit notamment de Maroc Telecom, Attijariwafa bank, la BCP et les valeurs du secteur cimentier», note un professionnel. Au final, donc, après trois ans de crise, tempérée par une année qui leur a permis de reprendre quelque peu leur souffle, les sociétés de bourse font grise mine : depuis 2008, les volumes ont chuté de 45%, leur chiffre d'affaires s'est effondré de moitié et leurs gains ont, eux, fondu de 64%. Dans comment ces professionnels vivent-ils la crise, du directeur au trader, de l'analyste au responsable back-office ? Disons-le d'emblée, le contexte actuel ne favorise ni recrutement, ni augmentations de salaires, encore moins une distribution des primes. La conséquence directe de ce ralentissement d'activité est une concurrence acharnée sur les volumes pour drainer des commissions, à laquelle se livrent les patrons des sociétés de Bourse afin de maintenir un niveau de rentabilité correct et de conserver leur part de marché. Conséquence de cette course : une énorme pression exercée sur les équipes pour atteindre des objectifs de plus en plus difficiles. Le stress est devenu le mot d'ordre qui qualifie l'ambiance au sein des sociétés de bourse, que ce soit au niveau des équipes d'analyse et de recherche qu'à celui des traders des salles des marchés, des gestionnaires sous mandat, ou encore des commerciaux. Ces derniers, dont la fonction est de démarcher la clientèle et d'essayer de la convaincre de placer son épargne en bourse, ont du mal à mener à bien leur mission. L'un d'entre eux raconte : «Les gens ne font pas du tout confiance à la bourse à l'heure actuelle. Du coup, je trouve beaucoup de difficultés à attirer la clientèle ciblée par ma hiérarchie et à atteindre mes objectifs». Faisant face à une clientèle des particuliers en perte de confiance d'un côté, et à des institutionnels qui désertent de plus en plus le marché actions en faveur des produits de taux, de l'autre, ces commerciaux ne savent plus quoi faire et manquent d'arguments pour attirer la clientèle. Même quand une opportunité certaine se présente en bourse, comme la prise de contrôle d'une société de la cote par un industriel de renom, genre d'opérations qui fait automatiquement augmenter les cours, les investisseurs, les particuliers surtout, adoptent un comportement de prudence, comme le confirment plusieurs traders. «Leurs ordres de bourse se font au compte-gouttes et il leur arrive souvent d'annuler leurs opérations juste avant l'ouverture du marché», précise l'un d'entre eux. Dans le contexte actuel, ces investisseurs veulent juste encaisser les dividendes distribués après la tenue des assemblées générales, rien de plus. Cela complique inévitablement le travail des traders qui, dans leur majorité, ne savent plus où donner de la tête. Notons au passage que c'est le produit des transactions passées à travers les traders qui génère la commission d'intermédiation et, donc, le chiffre d'affaires des sociétés de bourse. De ce fait, en ces temps de vaches maigres, la pression exercée sur ces professionnels afin de relancer la clientèle, de l'inciter à saisir une occasion de placement et surtout de faire attention au moindre mouvement d'achat et de vente sur les valeurs de la cote, est encore plus contraignante que celle pesant sur les commerciaux. Le directeur de la salle des marchés d'une société de bourse de la place le reconnaît d'ailleurs volontiers. «Plus on passe des transactions, plus on génère des commissions et plus on gagne de l'argent. Il est donc normal d'exercer une pression sur mes collaborateurs en ces temps de crise en vue de démarcher le maximum de clients et de les inciter à revenir sur le marché». Certains patrons ont cédé à la pression, d'autres sont restés optimistes Un trader, lui, explique que «des réunions quotidiennes sont tenues avec le directeur et les gestionnaires de portefeuille afin d'évaluer la situation et de comparer le volume quotidien réalisé avec celui de la veille. On discute également avec les analystes à propos des valeurs qu'ils recommandent pour le placement. Pendant les années fastes, le dynamisme du marché était tel que ces réunions étaient beaucoup moins fréquentes». Auprès des analystes, ce sont d'autres difficultés qui sont relevées. En temps normal, les clients se basent en effet, dans une grande mesure, sur leurs recommandations avant de prendre une décision d'achat ou de vente. Mais dans ce contexte morose leurs avis sont regardés d'un œil sceptique et plusieurs sociétés de bourse ont réduit la cadence de leurs publications. «Du moment que la crise est toujours installée sur le marché boursier, nous ne pouvons évaluer certaines valeurs, surtout les plus volatiles d'entre elles, en raison principalement du manque de visibilité sur l'évolution de leur activité, explique un analyste senior. Du coup, nous préférons prendre du recul en attendant que la situation se redresse». Un autre analyste souligne : «Nous produisons nos notes de recherche à la demande des clients. Mais depuis quelques années, nous ne recevons plus autant de demandes qu'auparavant. Du coup, nous avons pris l'initiative de valoriser des sociétés cotées et de présenter les notes à nos clients sans qu'ils les demandent. Mais, désintéressés, ils peuvent même aller jusqu'à remettre en cause nos valorisations et nous accuser d'être des manipulateurs». Il ne faut toutefois pas généraliser, cette politique prônant d'exercer la pression sur les équipes des sociétés de bourse pour atteindre les objectifs n'est pas adoptée par tous les patrons des entités de la place. Certains optent en effet pour une logique différente. Pour eux, il faut certes garder les mêmes ambitions et définir des objectifs optimistes, sans pour autant s'alarmer s'ils ne sont pas atteints. En ce sens, le directeur d'une société de bourse précise que «les traders, les contrepartistes et les gestionnaires de portefeuille travaillent au même rythme que les années précédentes. J'ai conscience que la crise est passagère et que la bourse suit des cycles. D'ailleurs, on est à la sortie du cycle baissier. Donc, il n'y a pas lieu de mettre de la pression à mes employés tant qu'on n'est pas déficitaire. En même temps, la cadence de production au niveau du département d'analyse et recherche a été accentuée afin d'alimenter le marché en recommandations». Exception ? Peut-être. Il existe néanmoins un point commun entre les sociétés de bourse concernant le management des ressources humaines, les revalorisations de salaires, la distribution des primes… En effet, on précise de manière unanime que l'effectif des employés est stable et qu'il ne sera étoffé que si le besoin s'exprime. Les salaires sont également contenus à leur niveau d'il y a deux ans en moyenne. Aucune augmentation ni revalorisation n'a été opérée par une bonne partie des patrons des sociétés de bourse, surtout ceux dont les sociétés dégagent des résultats déficitaires. D'autres directeurs ont augmenté légèrement le salaire de leurs employés, en guise d'«encouragement» afin qu'ils ne baissent pas les bras en ces temps de crise. Dans le même ordre d'idées, les primes annuelles versées habituellement aux employés au titre de la participation aux résultats sont en stand by. Quand on est déficitaire… Pour conclure, le directeur d'une société de bourse avertit : «La situation n'est pas près de s'arranger. Ce n'est pas de sitôt que l'activité au sein de la place boursière reprendra des couleurs. Il faut que le marché baisse d'environ 25% de plus pour qu'il puisse redécoller sur de bonnes bases. Par conséquent, les volumes continueront à baisser et à impacter négativement les résultats des sociétés de bourse de la place».