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10 000 subsahariens "sans papiers"… et pas de politique d'immigration
Publié dans La Vie éco le 01 - 08 - 2012

Pays de transit vers l'Europe, le Maroc est progressivement devenu un pays d'immigration du fait du resserrement des politiques migratoires de l'UE. Provenant du Cameroun, du Mali, du sénégal, de la RDC et d'autres pays, ils vivotent de petits travaux. Certains finissent dans la mendicité ou des réseaux de prostitution.
Abdoulay avait à peine 21 ans quand il a quitté Dakar pour Rabat en 2011. Il est l'aîné d'une fratrie de douze enfants. Son père, ne travaillant qu'occasionnellement comme maçon, est marié à trois femmes. Abdoulay quitte l'école et, poussé par son père qui lui donne une somme d'argent, il met le cap sur le Maroc à la recherche d'un travail. «Je ne pouvais plus vivre dans un taudis à Dakar, nous manquions de tout. On nous disait que les Sénégalais sont bien traités au Maroc et y trouvent facilement du travail, je n'ai pas hésité. Je suis jeune et en bonne santé. Mais depuis un an que je suis là, je n'ai fait que des petites bricoles. Ma famille m'a envoyé ici pour travailler et lui envoyer de l'argent, j'ai honte de ne pas pouvoir le faire», raconte Abdoulay d'une voix à peine audible, l'air chétif, à cause de la faim, la fatigue et du manque de sommeil. Où dort-il ? «Dans le vestibule d'un immeuble dont le concierge a eu pitié de moi», répond-il.
Lutumba, lui, est originaire de la République démocratique du Congo. Avec un père mécanicien auto et une mère infirmière, sa vie à Kinshasa n'était pas aussi malheureuse que celle d'Abdoulay à Dakar. Après un bac obtenu en 2000, il voulait même poursuivre des études de commerce. Mais son rêve depuis qu'il était enfant était de regagner l'Europe, comme ses cousins. Son pays étant politiquement instable, il le quitte pour aller au Cameroun voisin. De là, il franchit les frontières du Nigéria, passe par le Niger et traverse le désert pour se retrouver en Algérie, puis au Maroc, au bout de cinq années de périgrinations. Depuis, il y vit sans papiers, sa demande de carte de réfugié auprès du Haut commissariat aux réfugiés (HCR) lui ayant été refusée. «Pas de travail stable, j'ai travaillé dans des call center à Rabat et Casablanca, j'ai été ramassé, avec d'autres subsahariens, dans plusieurs rafles de police et j'ai même été en prison». Malgré ses tribulations, faute de pouvoir partir en Europe, Lutumba ne veut pas entendre parler d'un éventuel retour dans son pays. Employé dans un call center, vendeur ambulant ou mécanicien, il se sent mieux qu'à Kinshasa. «Ici, au moins, les possibilités de travail existent, et les Marocains ne sont pas trop méchants même s'ils se méfient souvent. Le fait que j'aie appris l'arabe m'a beaucoup aidé. A Casablanca on est presque en Europe», confie le Congolais. Il a un seul objectif : trouver un travail stable pour dénicher un titre de séjour. Un parcours du combattant que peu de sans-papiers accomplissent jusqu'au bout.
Comment des milliers de clandestins atteignent-ils le Maroc ?
Comme Abdoulay et Lutumba, ils sont nombreux à vivre en situation irrégulière au Maroc, dans la précarité et avec la peur d'être refoulés aux frontières du jour au lendemain. Fuyant la misère ou les guerres civiles, ils viennent surtout du Cameroun, du Mali, du Sénégal, de la République démocratique du Congo, de Guinée, du Ghana et de la Côte d'Ivoire… Pas de statistiques officielles sur leur nombre, mais ils seraient entre 10 000 et 20 000, selon que l'on se réfère à des sources policières ou à celles d'associations de droits humains. Le nombre des sans-papiers ne seraient pas plus de 10 000, selon une récente étude sur la migration irrégulière subsaharienne au Maroc, fruit d'un travail conjoint entre le Conseil de la communauté marocaine de l'étranger (CCME), l'Institut de recherche sur les politiques publiques (IPPR, institut britannique) et l'Union Européenne. Un chiffre «dérisoire» comparé aux 32 millions d'habitants que compte le pays, indique cette étude (dont les résultats finaux seront révélés en décembre prochain).
Ce qui est sûr en revanche c'est que le Maroc n'est plus seulement un pays de transit vers l'eldorado européen, mais une destination finale. «Les périodes de migration décrites comme étant de transit deviennent de plus en plus longues et de plus en plus d'éléments prouvent que les migrants arrivent au Maroc avec l'intention de s'y installer», note encore l'étude. Certains y sont restés 12 ans, sans le moindre papier.
Autre remarque : nombre de Marocains ne sont pas tendres avec ces migrants irréguliers qui commencent à investir l'espace urbain. Ces «ôazza» (nègres), ces «kouhals» (noirs), ces «doukhalae» (envahisseurs), «doivent rentrer chez eux, le Maroc a assez de problèmes pour avoir en plus ces étrangers à charge», entend-on dire ici et là.
Mais comment ces milliers de clandestins arrivent-ils au Maroc ? Comment vivent-ils ? Y a-t-il des lois pour les protéger ? D'abord une distinction à faire entre réfugiés et migrants économiques. Les premiers fuient la persécution et la violence qui sévissent dans leurs pays et viennent se réfugier et chercher protection en vertu de conventions internationales signées par le Maroc. Les seconds, par contre, fuient la misère et la précarité économique de leurs pays et choisissent de leur propre chef d'émigrer au Maroc en quête d'un travail. Ce sont ces derniers qui forment le gros de l'émigration clandestine. La frontière avec l'Algérie est pour eux le passage idéal pour rejoindre le royaume. C'est aussi vers ce point que les autorités marocaines procèdent aux refoulements. D'un camp informel situé aux abords de Maghnia, ville frontière algérienne, ils échouent dans un autre camp installé dans la forêt de Sidi Maâfa au sud de la ville d'Oujda. D'autres vont se réfugier dans un camp, à proximité de la ville de Nador, dans la forêt Jbel Gourougou, point de chute idéal pour tenter de joindre l'enclave de Melillia. D'autres vivent dans ce qu'ils appellent des «tranquillos», qui peuvent être des grottes naturelles, des fermes ou des maisons désaffectées aux abords des villes squattées par les migrants.
Il y a un fossé entre ce que dit la loi sur les immigrés clandestins et la pratique
Ils ne vivent plus uniquement aux alentours des villes, on les trouve aussi dans les quartiers populaires périphériques des grands centres urbains : Casablanca, Rabat, Tanger, Fès, Tétouan et Laâyoune. Certains errent dans les rues en quête d'âmes charitables, et finissent dans la mendicité ou des réseaux de prostitution. Mais pour la plupart, «ils vivent en communautés, selon la nationalité ou la tribu. A la tête de chaque communauté il y a un chef, qui coordonne en harmonie avec les autres communautés migrantes», remarque Hicham Baraka, président de l'Association Beni Znassen pour la culture, le développement et la solidarité (ABCDS), une ONG qui se porte au secours de ces clandestins, notamment quand ils sont la cible de rafles policières ou d'actes racistes de la part de certains citoyens marocains.
Il y a une dizaine d'années, poursuit notre interlocuteur, «ils choisissaient les camps de Nador et d'Oujda, avec l'intention de regagner l'Espagne. Maintenant ils viennent pour s'y installer, sans se faire d'illusions quant à un éventuel passage en Europe». Certains trouvent du travail, souvent dans l'informel, avec des salaires dérisoires. «Plusieurs se sont mariés (mariage orf) avec des Marocaines et ont aujourd'hui des enfants», raconte Issam Lahlou, avocat, secrétaire général de la section de l'Organisation marocaine des droits de l'homme (OMDH) de Rabat, et coordinateur du Centre d'assistance juridique aux réfugiés et demandeurs d'asiles. Ce centre n'a pas pour vocation de venir en aide à ces clandestins, mais seulement aux réfugiés qui demandent asile. Cependant, il ouvre ses portes à ces subsahariens à qui il essaye d'apporter, sinon une assistance basée sur la loi, du moins un soutien humanitaire. «Certes la police ne fait que son travail en vertu de la loi en vigueur, mais il est de notre devoir de dénoncer ces rafles et ces refoulements quand ils ne respectent pas un minimum de droits humains», indique M. Lahlou.
En effet, faute de mieux faire en faveur de ces clandestins, les ONG se contentent de dénoncer les brimades dont ils souffrent et la précarité dans laquelle ils vivent. Par exemple, l'ABCDS et l'Association Rif des droits humains (ARDH), suite à la découverte en janvier 2012 de trois corps de Subsahariens noyés dans la lagune de Marchica, située à proximité de Nador et de l'enclave de Mellilia, ont saisi par écrit le ministre de la justice et des libertés et le CNDH pour faire la lumière sur ces noyades «alors que des éléments des Forces auxiliaires étaient sur les lieux», accusent les deux ONG.
L'Association marocaine des droits de l'homme (AMDH), pour sa part, qui reçoit souvent des plaintes, a dénoncé en juin dernier le mutisme des autorités marocaines suite aux exactions commises dans la ville de Taourirt (dans l'Est du pays), par des hordes d'enfants et de repris de justice contre des immigrés qu'ils auraient lapidés. Souvent, selon la même ONG, quand il y a refoulement d'immigrés clandestins aux frontières algériennes, ces derniers «subissent des traitements inhumains, avec des coups et des insultes à connotations racistes et discriminatoires».
Dun autre côté, le Maroc est en train de vivre une contradiction flagrante. «Il a l'obligation morale d'être cohérent avec son attitude de défense des droits des migrants et de faire preuve de compréhension des problèmes auxquels ces derniers sont confrontés, ce qui contredit l'expérience vécue par ceux interrogés», conclut l'étude précitée.
Pris de court par cette immigration qui était à l'origine de nature «transitoire», le Maroc s'est doté d'une législation qui régit l'entrée et le séjour des étrangers dans le pays, ainsi que les mesures liées à la migration irrégulière. C'est la loi 02-03. Cette dernière ne va, certes, pas à l'encontre des engagements du Maroc au niveau international, mais elle considère l'immigration comme un problème de sécurité d'abord. «Entre les dispositions de cette loi et son application, le fossé est énorme. Elle protège bien en théorie les mineurs et les femmes enceintes qui ne peuvent être expulsés, mais cette obligation n'est pas souvent appliquée», souligne M. Lahlou. Sans parler du fait que son contenu est principalement axé sur la sécurité : détention, expulsion et criminalisation de l'entrée ou du séjour irrégulier de migrants (voir encadré ci-dessus).


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