Dans la ville de Rabat, il est devenu normal de croiser des migrants subsahariens dans chaque rue. Depuis quelques années, «les Africains», comme les appellent les jeunes, plus nombreux que jamais, ne se cachent plus. Ils sont de plus en plus nombreux à travailler dur pour gagner leur vie. Cordonniers, maçons ou ouvriers du bâtiment, au noir. Ils, ce sont ces subsahariens, clandestins de nuit, travailleurs corvéables et taillables à merci le jour. Une image assez particulière à Hay Nahda, tout près du quartier Takaddoum, qui abrite une forte communauté de subsahariens. Des camions qui transportent des ouvriers pour un travail journalier dans les champs ou dans des chantiers de construction, transportent aussi des ouvriers subsahariens. Pourtant, rien n'est gagné d'avance pour ces migrants qui rêvaient autrefois d'Europe. Certains ont vu leur rêve de la terre promise d'Europe se briser sur la forteresse de Ceuta et Melillia. On se souvient encore des évènements de ces deux enclaves espagnoles au Maroc. D'une étape de transit, Rabat est devenue en quelques années, un espace d'accueil de milliers de subsahariens. A Douar Lhajja, des dizaines de subsahariens s'entassent dans des maisons exiguës. Souvent ils sont beaucoup plus nombreux que le chiffre qu'ils avancent au propriétaire qui leur loue la chambre. Une maison, louée au noir à un prix exorbitant. « S'entasser à plusieurs dans une même chambre est le seul moyen d'avoir un gîte, sinon dans la rue on ne sait jamais ce qui peut arriver », affirme Mamadou, un subsaharien originaire du Mali qui ne veut rien dire sur son itinéraire. Pour ce jeune homme de 28 ans, qui tient fièrement à faire savoir qu'il est un bon musulman, sa vie, il la gagne dignement. Dès 7 heures du matin, il quitte la chambre qu'il partage avec une dizaine d'autres clandestins, vers la médina de Rabat où il pose son petit matériel de cordonnier. Cet endroit, il l'a adopté depuis plus de trois ans. Les gens ici ne trouvent aucune objection à donner leur chaussure en manque d'un talon à Mamadou. Il a même réussi à se faire beaucoup de clients. Dès qu'il arrive sur son lieu de travail dans une petite cour à coté d'un four traditionnel, il nettoie la place à coup de balai et de détergent. Ici le soir, l'endroit devient un dépotoir pour les ordures des habitants du coin. Quand le muezzin appelle à la prière d'Adohr, il fait une pose pour faire sa prière à la mosquée du quartier. L'après midi, il continue son travail jusqu'à la prière d'Al asr, puis il ferme boutique. Il ramasse ses outils de travail, qu'il confie à un artisan du coin et prend la direction de Takaddoum : « on ne sait jamais, il vaut mieux rentrer tôt chez soi ». Insécurité Douar lhajja est un bidonville construit en dur qui abrite la plus forte densité urbaine au Maroc. Dans ce quartier chaud de Takadoum, où la police ne pénètre plus aussi souvent qu'avant, depuis la dissolution des GUS, pour arrêter un délinquant, il faut mobiliser toute une brigade et demander d'autres renforts. La prostitution existe bel et bien aussi dans ce monde où la misère et l'exclusion font légion. Si certains essayant de s'en sortir par le travail et les petits boulots, d'autres perdent espoir et sombrent dans la dépression, surtout après l'échec d'une tentative de passage vers l'autre rive où plusieurs de leurs compagnons de route ont trouvé la mort par noyade. Dans les petites ruelles exigües, le marché de la prostitution des jeunes femmes africaines est condamné à la récession. Faute de pouvoir étaler leur marchandise hors de ce ghetto, elles se contentent de pratiquer leur activé sur place. Ailleurs, le risque d'être arrêtées par la police les oblige à ne démarcher que les clients du coin. À 5 DH ou 10 DH la passe, il y a juste de quoi payer le loyer. Souvent, ce sont des jeunes femmes congolaises ou camerounaises qui vivent dans le même endroit avec un frère ou un proche parent. Dans cette communauté, la naissance d'enfants ajoute un autre facteur, celui de la démographie. Au quartier Takaddoum, la police mène de temps à autre des rafles de subsahariens en situation irrégulière. Selon Hicham Rachidi qui milite au sein du réseau migre Europe pour les droits des migrants : « au Maroc on n'a pas de clandestins mais des sans papiers ». Pourtant des papiers, certains d'entre eux en ont. Le HCR qui dispose d'une représentation à Rabat, délivre des centaines de titres de réfugiés à des subsahariens de diverses nationalités. Pour ces derniers, ils se pressentent comme des demandeurs d'asile et non pas comme des migrants illégaux. Souvent, le bureau du HCR à Rabat, devient le lieu de sit-in pour des dizaines de subsahariens qui ont vu leurs demandes d'asile rejetées. A plusieurs reprises, la police intervient pour mettre fin à un sit-in de réfugiés subsahariens qui campaient depuis des semaines devant le HCR au quartier des ambassades à Rabat, pour réclamer une aide financière. A en croire les responsables de ce bureau, parfois des réfugiés tentaient violemment d'entrer dans les locaux du HCR, blessant même des agents de sécurité. Une situation que les ONG des droits de l'Homme dénoncent : « comment peut-on admettre que le HCR appelle la police pour déloger des demandeurs d'asile ? », s'insurge Rachidi. Selon le HCR à Rabat, Il y a 600 personnes bénéficiant d'un statut de réfugiés au Maroc et 1.200 demandeurs d'asile. La très grande majorité est originaire de la RDC et de la Côte d'Ivoire. A Rabat, le chiffre de 10.000 migrants Africains est avancé par des sources sécuritaires, parmi eux des étudiants, des femmes et des enfants. Chaque dimanche matin, l'église évangélique de Rabat devient le point de convergence de centaines de jeunes migrants originaires du Togo, du Bénin et du Mali, qui constituent l'essentiel des fidèles de la messe du dimanche. Longtemps désertée par les fidèles, cette chapelle revit une deuxième vie depuis quelques années, avec la venue de milliers de migrants de l'Afrique de l'ouest. L'église a même sa chorale 100% africaine. Takaddoum : Zone franche pour les malfrats Au quartier Takaddoum, des réseaux de crime organisé se sont formés au sein de cette communauté et commence même à les exploiter. Les Nigérians sont les plus montrés du doigt. Certains s'adonnent au trafic de stupéfiants sous la supervision de marocains, pour d'autres, le chemin le plus facile est l'escroquerie ou la falsification de billets de banques. Dans ce quartier, à Jbel Raissi, Traoré affirme qu'ils sont 32 à dormir dans une même chambre. Il affirme avoir été pris dans une rafle de la police, il y a quelques années et emmené jusqu'à Oujda. De là, il est rentré à pied pendant des semaines. Il ne peut pas retourner dans son pays.