À l'occasion de son 10e anniversaire, le Musée Mohammed VI d'art moderne et contemporain (MMVI) de Rabat accueille, jusqu'au 3 mars 2025, l'exposition « COBRA : Un serpent à multiples têtes ». Une occasion pour nous d'évoquer la peintre marocaine Chaïbia Talal, reconnue par certains membres du mouvement comme l'une des leurs. Suivez La Vie éco sur Telegram Fruit d'une collaboration entre la Fondation nationale des musées (FNM) et le Musée Cobra des Pays-Bas, l'ambitieuse exposition «COBRA : Un serpent à multiples têtes» regroupe plus de cent œuvres (100 artistes du mouvement Cobra), célébrant l'audace révolutionnaire d'un groupe qui a bouleversé l'art en Europe et au-delà. Un serpent qui siffle une nouvelle ère Le mouvement Cobra, dont le nom découle des premières lettres de Copenhague, Bruxelles et Amsterdam, est né en 1948, dans le contexte effervescent de l'après-guerre, à Paris. Fondé officiellement au Café Notre-Dame par des artistes et poètes danois, belges et néerlandais, Cobra trouve ses racines dans un désir de rupture avec les conventions artistiques de l'époque. En réaction aux avant-gardes parisiennes et au surréalisme révolutionnaire, les fondateurs, dont Christian Dotremont, Karel Appel, Asger Jorn et Constant, prônaient un art spontané, libéré de toute rigidité théorique et ouvert à tous. Dotremont avait d'ailleurs décrit le mouvement comme une «collaboration organique expérimentale» qui refusait les dogmes et embrassait l'expression la plus libre. Durant sa brève existence entre novembre 1948 et novembre 1951, le mouvement s'est affirmé par une série d'expositions entre Copenhague, Bruxelles et Amsterdam, soutenu par la publication de la revue Reflex. Cobra prônait un art collectif et sensible, teinté de marxisme et de rejet du formalisme. Dans leurs œuvres, peintures comme poèmes, les membres de Cobra partageaient une utopie artistique où la liberté individuelle de l'artiste primait, permettant une expression intuitive détachée des contraintes académiques. L'exposition du MMVI permet ainsi de découvrir l'univers créatif de figures emblématiques, telles que Jorn, Appel, Constant, Alechinsky et Corneille, qui ont su donner vie à une esthétique vibrante et profondément humaine. À travers un parcours articulé en plusieurs sections, l'exposition «COBRA : Un serpent à multiples têtes» donne à voir l'évolution de cette aventure artistique. Les œuvres, qu'il s'agisse de peintures, sculptures, gravures, dessins ou photographies, révèlent la pluralité des inspirations de Cobra et témoignent de son lien avec l'art africain, notamment nord-africain. L'esprit de Cobra, par sa recherche de l'instinct et de la spontanéité, s'exprime ici dans une esthétique délibérément enfantine, colorée et intuitive. Chaïbia, une voix marocaine dans l'esprit de Cobra Les membres du groupe Cobra avaient un jour reconnu Chaïbia Talal comme une des leurs. En effet, Chaïbia partage avec eux cette volonté d'expression pure… Chaïbia, dont l'art naît d'un rêve où elle se voit entourée de couleurs et de figures mystérieuses, exprime une quête d'authenticité similaire. Sa peinture, souvent décrite comme «naïve», se caractérise par un instinct chromatique et des formes brutes qui traduisent un engagement libre et anticonformiste, en écho à l'esprit Cobra. Sa rencontre avec Pierre Gaudibert, critique d'art et peintre, propulsa son œuvre sur la scène artistique parisienne, où elle marqua les esprits par sa singularité et sa vitalité. Malgré les étiquettes condescendantes, Chaïbia a su s'imposer par son approche directe et intuitive, devenant une ambassadrice singulière de cet esprit d'insoumission créative au Maroc. Son art, imprégné des traditions populaires et du quotidien, incarne l'expression d'un vécu hors des sentiers académiques, rejoignant en cela l'utopie collective de Cobra. Rappelons qu'à travers «COBRA : Un serpent à multiples têtes», le MMVI offre bien plus qu'un hommage à ce mouvement : il révèle combien l'art peut être un vecteur de libération et de dialogue interculturel. Ainsi, l'exposition témoigne de la puissance de Cobra, rappelant que l'art est avant tout un terrain d'insoumission et de rencontre, un espace où la spontanéité révèle les multiples facettes de l'humanité.