Notification de comparution, saisie conservatoire, récupération de dettes, ventes aux enchères…, ils interviennent dans toute la procédure d'exécution des jugements. Ces auxiliaires de justice sont au nombre de 1 379. Depuis 2006, ils sont recrutés sur concours et doivent avoir une licence en droit Ils sont souvent craints par la population à cause des actes qu'ils accomplissent chaque jour pour le compte des tribunaux du Royaume comme auxiliaires de justice : notification et exécution des ordonnances, jugements et autres arrêts des tribunaux, remise de convocation de comparution, notification de mise en demeure, recouvrement des sommes objet de condamnation, ventes aux enchères publiques, saisies conservatoires… Cette série de tâches «ingrates» revient à ces auxiliaires de l'appareil judiciaire que sont les huissiers de justice, un métier relativement récent puisqu'il n'apparaît au Maroc qu'en 1990. Une rectification à faire d'abord : contrairement à une idée fort répandue, l'huissier de justice n'est pas un fonctionnaire, à l'instar du secrétaire greffier -bien que les compétences des deux se chevauchent parfois- mais il est, comme le précise l'article premier de la loi 81/03 du 14 février 2006 réglementant cette profession, «un auxiliaire de justice qui exerce une profession libérale». Il peut, en vertu de cette même loi, se faire assister par la force publique dans l'exécution de sa mission sur autorisation du procureur du Roi. Les huissiers disposent, du moins une partie d'entre eux, de cabinets indépendants, à l'instar des avocats ou des notaires et la loi leur permet d'avoir des clercs et des salariés. Ils ont eu même droit, à partir de 2009, à une représentation nationale qui organise et défend leur cause : l'Ordre national des huissiers de justice au Maroc (ONHJM, qui a remplacé l'association fondée en 1996). Combien le Maroc compte-t-il d'huissiers ? «Ils sont 1 379 à exercer ce métier actuellement, et leur recrutement se fait désormais par concours en non plus par simples nominations opérées par le ministère de la justice, comme c'était le cas avant 2006. Ceux qui réussissent ce concours ne commenceront à exercer qu'après un stage de six mois, trois mois dans les tribunaux et les trois autres dans des cabinets d'huissiers de justice», explique Abdelaziz Fouganni, président actuel de l'ONHJM. Une profession libérale dans un milieu qui ne l'est pas Est-ce suffisant pour tous les tribunaux (Première instance, Cours d'appel, de commerce…) et pour les 2 millions d'affaires que compte le Maroc annuellement (chiffre 2010) ? Corporatisme oblige ou vérité, leur nombre est plus que suffisant, signalent plusieurs huissiers interrogés. Le problème selon eux n'est pas celui du nombre, mais de la répartition sur le territoire national. C'est l'avis de l'un d'eux, Hassan Belkhal. Licencié en droit public, il a commencé l'exercice de ce métier à partir de 1998, alors qu'il préparait un DES en sciences politiques. Il est venu à ce métier par hasard, quand toutes les portes se sont fermées devant lui. La profession est ouverte, donc très concurrentielle, note notre homme avec le recul de ses 13 ans d'expérience. «Le milieu est compliqué. Au lieu de nous laisser travailler en paix, les justiciables essaient de nous influencer par toutes les méthodes. La seule source de notre travail ce sont les avocats, certains sont entourés d'un ou de plusieurs huissiers et les payent bien. D'autres les font plier à leur volonté et selon leurs intérêts. Une chose est sûre : nombre d'huissiers se contentent de vivoter». Il faut dire qu'au-delà de cette «mauvaise image» de «croque-morts» qu'ils traînent, leur rôle dans l'équilibre commercial et économique du pays n'est pas négligeable. Ils sont même à l'origine de rentrées d'argent substantielles dans les caisses des tribunaux, et donc de l'Etat. Les 1 379 huissiers à l'œuvre actuellement (dont 253 à Casablanca) sont en effet au cœur du circuit des contentieux commerciaux, civils et pénaux. Un impayé ? C'est l'huissier qui intervient pour contraindre le client défaillant après jugement du tribunal. C'est lui qui prendra les garanties nécessaires sur ordonnance du tribunal. C'est également lui qui intervient pour contraindre, après jugement du tribunal, le locataire défaillant à payer sa dette. Toutes ces interventions drainent chaque année des milliards de dirhams pour les caisses des tribunaux, via les taxes judiciaires, mais pas uniquement. Au titre de l'année 2010, 7 milliards de dirhams sont venus alimenter les caisses de l'Etat par le biais de ces huissiers de justice (voir encadré). En 2010, quelque 2 millions d'affaires ont été traitées par les tribunaux du pays. 67% de ces affaires ont eu lieu dans la seule ville de Casablanca, dans lesquelles les huissiers ne sont intervenus pourtant que dans une proportion de 7%. Ils sont payés sous formes d'honoraires selon une tarification jugée humiliante Le hic, se désole ce huissier membre du conseil régional des huissiers de Marrakech, est que «cette intervention qui contribue à alimenter grassement le Trésor n'est pas récompensée à sa juste valeur : par exemple, 90% des huissiers n'avons pas perçu, depuis 5 ans, les 3 dirhams que le ministère de la justice nous doit en guise d'honoraires pour chaque notification faite pendant cette période». A les en croire, ces huissiers n'auraient, non plus, jamais profité des différents programmes dont a bénéficié le personnel de la justice pour la formation et l'équipement, Les huissiers de justice ne sont pas certes pas des salariés, mais ils sont payés selon une tarification établie par arrêté du ministère de la justice : pour la notification d'une convocation de comparution devant un tribunal dans une affaire pénale, le tarif est fixé à 3 dirhams, et dans une affaire civile il est de 30 DH. Il est de 50 DH pour une saisie conservatoire et 100 DH pour une constatation. L'huissiers bénéficie, en outre, d'un pourcentage sur le recouvrement d'une dette qui va, selon les cas, de 2 à 4%, avec un plafond de 4 000 DH, quel que soit le montant de la dette recouverte. «Une tarification de misère», se plaint My Abdallah El Khalifa, ex-secrétaire greffier en chef à Marrakech, converti depuis 16 ans au métier d'huissier de justice, et actuellement membre du conseil régional de la profession. Pourquoi alors cette conversion si l'huissier est si mal payé ? «Pour avoir ma liberté, j'avais passé 25 ans comme secrétaire greffier, je n'en pouvais plus», explique-t-il. Pour justement revoir cette tarification, «humiliante», selon le président de l'ONHJM, ce dernier est en négociations depuis deux ans avec le ministère de tutelle. Un accord est conclu sur la base de 90 DH pour toute notification, et de 300 DH pour toute constatation. Sauf que cet accord «bute sur le refus d'exécution du ministère des finances qui nie même l'existence d'un tel accord», accuse M. Fouganni. Ça nous rappelle un peu le bras de fer entre les secrétaires greffiers des tribunaux et les ministères de la justice et des finances qui a duré plusieurs mois et qui a bloqué pour un certain temps le travail de nos prétoires. Cela dit, nombre d'huissiers de justice, en dépit de cette tarification jugée «ridicule», ne s'en sortent pas mal, voire gagnent grassement leur vie. Il s'agit d'une minorité en fait, celle qui a le monopole sur les actes de notification et d'exécution des jugements, les deux principales sources de revenus. «Ce monopole vient du fait que certaines personnes, entreprises ou compagnies d'assurances imposent à l'avocat les huissiers qu'elles veulent en contrepartie de commissions», accuse cet huissier de justice exerçant à Rabat. Résultat : une minorité travaille bien… au détriment de la majorité. Parfois dans l'irrespect de la loi, car la masse de travail qu'elle doit effectuer est énorme, et puisqu'elle doit le faire dans un temps limité (avis de paiement, récupération des chèques, notification de comparution…), «certains de ces huissiers les confient alors à leurs subordonnés (clercs), ce qui est interdit par la loi. Un huissier, dans ce cas, peut gagner jusqu'à 50 000 DH par mois !», poursuit notre source. Un autre huissier de justice explique que nombre de ses pairs font fortune dans les affaires de vente aux enchères, en recourant à des «méthodes qui n'honorent pas le métier». Ils seraient de connivence avec les «richards de la justice», qui choisissent eux-mêmes l'expert chargé de l'évaluation du bien à vendre aux enchères, lequel expert fixe une valeur nettement inférieure à la valeur réelle de ce bien. La marge de bénéfice est souvent très large. Et pour évincer d'autres concurrents, ces «richards de la justice» achètent tous les exemplaires du journal qui a publié l'information de la vente, quitte à payer un prix élevé. «Le jour de la vente, seule une poignée d'acheteurs se présente, ce richard de la justice sait à l'avance que le bien lui appartiendra». Combien gagne l'huissier de justice dans cette affaire ? «Tout dépend de la générosité de l'acheteur», conclut notre interlocuteur. Une chose est sûre, être huissier de justice nourrit son homme… si on a des relations.