Ils invoquent la hausse du coût de l'énergie pour expliquer l'évolution des prix. Ils ont surtout profité de la situation pour augmenter fortement leurs marges. L'extension de la capacité de production consécutive à l'ouverture de nouvelles unités pourrait inverser la tendance. Difficile de ne pas s'en étonner. Sur les dix dernières années, les prix du ciment ont augmenté en moyenne sur tout le Maroc de plus de 25% ! C'est ce que font apparaître des statistiques de l'Association professionnelle des cimentiers (APC) et de la direction de la promotion immobilière du ministère de l'habitat. Normal ? Pas tant que cela ! Même les spécialistes de la construction, qui ont pris depuis longtemps l'habitude de voir les prix du ciment augmenter une à deux fois par an, se disent étonnés par l'ampleur de la progression décennale. Depuis 2002, le prix du ciment CPJ 35 (utilisé pour le béton courant non ou faiblement armé) est passé de 926 DH à 1 155 DH la tonne, à fin 2010. Le prix du CPJ 45 (pour structures porteuses hourdis) a, lui, grimpé de 1 004 DH à 1 245 DH sur la même période. Enfin, depuis le début 2011, le prix du sac est majoré d'au moins 1,50 DH, selon les régions, soit 30 DH la tonne. Pour expliquer cette hausse, les cimentiers évoquent en priorité une forte augmentation de leurs coûts, notamment ceux de l'énergie. Ce poste, qui représente en moyenne les deux tiers des charges variables de l'industrie cimentière, est en effet de nature à impacter lourdement les coûts de production. Le prix de l'électricité industrielle, dont les cimentiers sont gros consommateurs, a enregistré des hausses non négligeables sur les dernières années. «Une augmentation allant jusqu'à 10% a été appliquée dès 2006, et une nouvelle hausse de 10 centimes par kilowattheure a été imposée trois ans après», rappelle un professionnel. Il est toutefois à préciser que les industriels avaient précédemment bénéficié d'une baisse des prix (allant jusqu'à 26% pour la haute et la très haute tension au début des années 2000), ce qui, pourrait-on penser, amoindrit l'impact des hausses ultérieures. Le taux de marge plafonne à 10% au niveau mondial Quoi qu'il en soit, jugeant que le renchérissement de l'énergie était de nature à dégrader leurs revenus, les cimentiers ont procédé à des réajustements de prix. Et l'on constate effectivement que les plus importantes hausses de tarifs du ciment sur la décennie passée concordent avec les périodes marquées par l'augmentation du coût de l'énergie, c'est-à-dire à partir de 2005 (voir graphique), les révisions opérées avant cette date demeurant minimes. Mais il semblerait que les cimentiers aient eu la main lourde dans leurs hausses tarifaires. En effet, en toute logique, les augmentations de prix (qui selon les professionnels ne couvrent qu'une partie du renchérissement des prix de l'énergie) auraient dû se limiter à préserver les niveaux de marge ou à les faire croître légèrement, ce qui aurait déjà été une prouesse dans le contexte de hausse du coût énergétique enregistrée depuis 2005. Loin de là, depuis cette date, les taux de marge des cimentiers ont considérablement augmenté. Les états de synthèse des trois cimentiers cotés à la Bourse de Casablanca, Lafarge, Ciments du Maroc et Holcim en apportent la preuve chiffrée. Le taux de marge nette de Lafarge qui était de seulement 24% en 2006 est passé à près de 34% en 2007 et s'est même hissé à 43% en 2008 (année du pic du cours du Coke de pétrole) avant de revenir à 32% en 2010. De même pour Ciments du Maroc, la marge contenue encore à 25% en 2006 a été propulsée à 42 % en 2009 avant de redescendre en 2010 mais de culminer quand même à 27%. Seul Holcim Maroc a vu son taux de marge passer de 22% en 2006 à 18,9% en 2009 et même 18,6% un an après. Et encore, le fait d'avoir pu réaliser une marge nette à deux chiffres vaut déjà à cet opérateur, à l'instar de Lafarge Maroc et de Cimar, de se distinguer très nettement, sachant que les taux de marge les plus courants de par le monde et même chez les plus grands groupes plafonnent à 10%. A la décharge des cimentiers marocains, il faut préciser que l'effet prix n'est pas le seul à avoir dopé les niveaux de marge sur les dernières années. Le phénomène a été amplifié par le boom de la demande de ciment. De 2005 à 2010, les ventes de ciment ont en effet crû de plus de 40%, passant de 10,3 millions de tonnes à près de 14,6 millions de tonnes, saturant les capacités de production des opérateurs. Et elles ont encore augmenté de plus de 7% sur les six premiers mois de l'année. Les frais fixes unitaires ont donc été réduits, permettant des gains en marge nette par tonne de ciment vendue. Enfin, à cet effet prix et effet volume se sont ajoutés «des gains de productivité que les cimentiers sont parvenus à générer en déployant d'importants efforts pour réduire les coûts et optimiser l'utilisation de l'outil industriel», renchérit un analyste. Il n'en demeure pas moins que ni la bonne gestion opérationnelle, ni l'excellente santé de la consommation n'ont décidé les cimentiers à faire des gestes sur les prix. Certes, une baisse appréciable de 3% a bien été concédée sur le prix du CPJ 45 en 2009, mais elle est loin de compenser les hausses, dépassant 10%, enregistrées en 2005, ainsi que les augmentations qui ont suivi juste après. Et pour la suite ? La donne risque de changer pour les cimentiers. Il est vraisemblable que les niveaux de profits actuels ne seront pas tenables sur les années à venir. La raison en est que les arrivées de nouveaux producteurs qui se poursuivent à l'échelle nationale (notamment l'espagnol Lubasa et Ciments de l'Atlas qui devrait bientôt inaugurer sa deuxième cimenterie) devraient contribuer à renforcer la capacité produite. Celle-ci devrait atteindre dans les mois qui viennent 20 millions de tonnes de ciment, selon les estimations de l'APC, pour un marché qui n'en absorbe pour le moment que 15 millions, ce qui établira, par la force des choses, le taux d'utilisation de l'outil industriel à 75%. Or, les cimentiers n'ont pu enregistrer de confortables niveaux de marges jusqu'à présent que grâce à un taux d'utilisation moyen des machines de 80%, seuil au-dessus duquel la rentabilité est maximale. En étant à un moindre taux d'utilisation, les niveaux de marge vont immanquablement baisser. L'exercice 2010 qui a connu une stagnation de la consommation apporte déjà les prémices de cette tendance avec des taux de marge qui ont baissé jusqu'à 14 points de pourcentage pour les cimentiers cotés.