42% de taux de marge nette pour Cimar en 2009, 36% pour Lafarge et 24% pour Holcim. Depuis 2007, les prix augmentent régulièrement sous prétexte de la flambée du coût des intrants. Une enquête menée par l'Autorité de la concurrence, il y a près de trois ans, avait soupçonné une entente sur les prix. La communauté boursière s'est toujours accordé à considérer que les actions des cimenteries cotées à la Bourse de Casablanca sont des valeurs de fond de portefeuille qu'il faut absolument détenir. Et pour cause, dans un pays qui connaît un déficit de logements évalué à un million d'unités, le potentiel du marché reste très prometteur. Mais ce n'est pas la seule raison. Au Maroc, l'industrie du ciment est un filon juteux, très juteux. Les fondamentaux solides de ces sociétés, le secteur stratégique dans lequel elles opèrent et surtout les niveaux de rentabilité qu'elles dégagent en font en effet des stars de la cote casablancaise, à côté d'autres valeurs phare comme les bancaires et les sociétés immobilières. Au vu des résultats publiés par les trois cimenteries cotées, Lafarge, Cimar et Holcim, durant ces dernières années, un élément saute aux yeux : les taux de marge nette qu'affichent ces opérateurs sont très élevés par rapport à d'autres industries au Maroc mais également en comparaison avec les cimentiers étrangers, ce qui soulève la question des prix pratiqués sur le marché national du ciment et du business model adopté par les trois sociétés cotées du secteur. Ainsi, à fin 2009, le chiffre d'affaires social réalisé par Cimar s'est élevé à 2,8 milliards de DH, et son résultat net à 1,17 milliard, ce qui donne un taux de marge nette de 42%, des niveaux plus proches de ceux des activités de services que de production industrielle de biens. Lafarge Maroc n'est pas en reste. Elle affiche un chiffre d'affaires de 4,5 milliards de DH et un résultat net de 1,16 milliard, induisant une marge nette de 36,2%, toujours sur une base sociale (résultats de l'activité ciment, hors contribution des filiales béton, plâtre et granulat). Quant à Holcim, elle réalise la marge la moins importante du secteur coté, mais qui reste tout de même élevée : 24,1% en 2009, émanant d'un chiffre d'affaires de 2,32 milliards de DH et d'un bénéfice net de 560 MDH. On serait presque désolé pour ce niveau «aussi bas» ! Les prix du ciment augmentent chaque année de 3 à 4% depuis 2007 Quand on compare ces taux avec ceux que réalisent les opérateurs étrangers du ciment, on ne peut qu'affirmer que les taux de rentabilité des cimenteries marocaines sont très élevés. Même en faisant le parallèle avec les ratios de leurs maisons mères. En effet, Lafarge monde n'affiche en 2009 qu'un taux de marge nette de 6,6%, sachant qu'historiquement il se situait aux alentours de 10%. Le groupe Italcementi, dont la filiale marocaine est Cimar, a réalisé en 2009 une marge nette de 4,3% seulement et prévoit de passer à 4,7% au titre de l'année 2010. Enfin, la maison mère de Holcim, Holcim Ltd., a réalisé le meilleur taux de marge des trois opérateurs mondiaux, soit 9,3%. D'autres exemples existent et confirment l'important décalage entre les marges marocaines et étrangères. En Turquie, par exemple, Akçan SA a obtenu en 2009 une marge nette de 10,5%. Suez Cement en Egypte (filiale d'Italcementi) affiche, elle, un taux de 19% en 2008 (dernier chiffre disponible). Enfin, Ciments Français, opérateur appartenant lui aussi au groupe Italcementi, a dégagé en 2009 une marge de 8% seulement. Qu'est-ce qui explique qu'un cimentier au Maroc peut réaliser une marge supérieure à 30% alors qu'ailleurs celle-ci est au mieux de 10% ? Le premier élément est le prix de vente du ciment sur le marché local. Ce dernier a évolué de manière significative durant ces dix dernières années. «Depuis 2007, il y a eu chaque année un relèvement du prix du ciment, voire deux relèvements, avec des hausses de 3 à 4% à chaque fois. Ceci alors qu'avant 2007, les augmentations étaient moins importantes et plus espacées dans le temps», affirme un bétonier indépendant. Nous avons essayé de retracer l'évolution des prix de ce matériau en nous adressant à l'association professionnelle des cimentiers, qui nous a opposé une fin de non recevoir, arguant ne pas les avoir ! Ces hausses de prix sont-elles naturelles dans un marché censé être concurrentiel? On peut répondre par l'affirmative quand on sait que la demande a toujours été -jusqu'à cette année- plus importante que l'offre. Avec une consommation nationale du ciment qui est passée d'un peu plus de 6 millions de tonnes en 1995 à 14,5 millions en 2009, et une capacité de production des opérateurs qui arrivait à peine à satisfaire cette demande, on peut en effet comprendre que les prix soient orientés à la hausse. Mais est-ce justifié de les relever sans cesse au moment où les investissements d'infrastructure de l'Etat pèsent de plus en plus sur son budget suite à l'augmentation du coût des constructions, et où les prix de l'immobilier flambent, les promoteurs répercutant toute hausse des intrants ? Chez les cimenteries, on justifie les relèvements de prix de ces dernières années, non pas par une histoire d'offre et de demande, mais par l'aggravation des coûts de leurs intrants et de leurs facteurs de production. La flambée du cours du coke de pétrole sur le marché international, combustible très utilisé dans l'industrie du ciment, et l'augmentation des prix de l'électricité au niveau local allaient en effet impacter les résultats de ces opérateurs à partir de 2007 s'il n'y avait pas eu de réajustements des prix du ciment. Seulement, ces augmentations n'ont pas servi uniquement à compenser la hausse des charges de production. La preuve en est que les marges des cimenteries ont beaucoup évolué entre-temps. Le taux de marge nette de Lafarge était uniquement de 24% en 2006. Il est passé à 33,7% en 2007 et à 43% en 2008, avant de se stabiliser à 36% l'année dernière. De même pour Cimar, dont la marge était de 24% en 2006 alors qu'elle s'établit fin 2009 à 42%. Certes, cette amélioration ne résulte pas uniquement de la hausse des prix. Les cimenteries font depuis plusieurs années de grands efforts en matière de réduction de coûts et d'optimisation de l'utilisation de l'outil industriel (capacités de production exploitées au maximum, développement des énergies alternatives…). Mais cette bonne gestion opérationnelle ne devait-elle pas inciter les opérateurs à pratiquer des prix plus bas ? Notons aussi que les marges confortables des cimentiers marocains sont la résultante d'un partage du territoire permettant aux différents intervenants de ne pas se marcher sur les pieds et d'éviter une guerre des prix. Cela n'a d'ailleurs pas manqué d'attirer l'attention des officiels, notamment l'Autorité de la concurrence du ministère des affaires économiques et générales, qui a mené une enquête dans le secteur du ciment et dont les résultats ont été rendus publics en juillet 2007. L'enquête a révélé une probable entente sur les prix, et une tarification dans les différentes régions du pays identique chez tous les opérateurs du marché, ce qui constitue une pratique anticoncurrentielle interdite par la loi sur la liberté des prix et de la concurrence. Cette enquête a été lancée après que la commission des infrastructures et de l'intérieur de la Chambre des conseillers a saisi l'Autorité de la concurrence. Cela dit, cette enquête a été rapidement oubliée et les cimentiers n'ont pas hésité à augmenter leurs prix en 2008 et 2009. Ces hausses sont intervenues malgré la détente des cours des produits pétroliers à l'international. Et elles se poursuivent même cette année puisque les opérateurs viennent d'appliquer au cours de ce premier trimestre un petit relèvement de 0,8%. Précisons que le prix du ciment est actuellement aux alentours de 1 000 DH hors taxe la tonne, livrée en vrac en usine pour les gros clients, notamment les centrales à béton. Le sac de 50 kilogrammes de ciment distribué au public est, lui, aujourd'hui à plus de 60 DH, ce qui fait 1 200 DH la tonne. Ceci alors qu'en Egypte et en Turquie le ciment se vend à moins de 700 DH la tonne.