Selon la Fédération des transporteurs, certains opérateurs, y compris des grands, pratiquent des prix inférieurs au coût de revient. Une plainte déposée auprès du Conseil de la concurrence pour pratiques anticoncurrentielles. Sept ans après la libéralisation du transport routier de marchandises, le secteur traverse une rude épreuve. La suppression du monopole de l'ex-Office national de transport (ONT) et l'ouverture du marché devaient, en théorie, se traduire par une amélioration du climat des affaires, à travers plus de transparence et la modernisation du secteur. Mais dans la pratique, les résultats ne sont pas parfaitement conformes aux attentes. En plus, comme dans tout processus de libéralisation, celui des transports a eu ses effets pervers. Car qui dit ouverture à la concurrence dit forcément guerre des prix et donc aussi des pratiques déloyales. Et c'est précisément ce que semblent aujourd'hui dénoncer des professionnels du secteur. Raison pour laquelle d'ailleurs la Fédération nationale du transport routier (FNTR) a saisi récemment le Conseil de la concurrence à travers une correspondance où elle fait état d'agissements anticoncurrentiels de certaines entreprises de la place, et non des moindres, qui pratiquent des prix anormalement bas, parfois même inférieurs au coût de revient de la prestation. Une pratique sanctionnée par la loi 06-99 sur les prix et la concurrence. Selon la fédération, certains transporteurs connus facturent leur prestation à moins de 5 DH le kilomètre roulé au moment où le coût de revient moyen de la profession est compris entre 7,80 et 8,20 DH. Le phénomène est d'autant inquiétant que, selon la fédération, des sociétés de grands groupes bien organisés et structurés ainsi que des multinationales figurent parmi les clients des transporteurs accusés de dumping. On recense une centaine d'entreprises opérant dans le domaine de la distribution et de l'agroalimentaire «qui n'hésitent pas à faire appel aux tarifs douteux du transport de marchandises», s'alarme Larbi Ziati, président délégué de la FNTR. Les professionnels du secteur connaissent parfaitement les tarifs pratiqués au profit de groupes leaders sur le marché agroalimentaire. «La filiale d'un grand groupe facture ainsi la traction des semi-remorques à 5 DH le km roulé et l'ensemble routier pour transport frigorifique à 5,80 DH le km roulé, des prix largement inférieurs au coût de revient de toute entreprise de transport opérant dans le circuit formel» , témoigne un professionnel. Plus inquiétant encore : l'offre de transport low-cost est abondante. Autrement dit, les transporteurs à bas prix sont nombreux et «les chargeurs mettent à profit leur position dominante pour tirer encore davantage les prix vers le bas», signale M. Ziati. Cette situation pousse certains opérateurs à regretter la période d'avant la libéralisation où les tarifs étaient définis par un office public, l'ONT en l'occurrence. A l'époque, cet organisme fixait les prix des prestations (voir encadré) qui s'avèrent être plus rentables pour les professionnels. Comme s'en souvient cet opérateur : «Entre 1998 et 2000, l'office fixait le tarif de la tonne à 104,20 DH, sachant que le prix du gasoil ne dépassait guère les 5 DH, aujourd'hui le prix du même service est facturé à moins de 100 DH alors que le prix du gasoil, lui, est passé à 7,19 DH». Le ministère de l'équipement veut réactualiser les coûts de référence Et ces transporteurs low-cost ne sont pas forcément des petits. On y trouve également des grands connus sur la place pour avoir recours aux mêmes pratiques. Paradoxe : même la SNTL, pourtant société étatique et censée donner l'exemple en respectant les règles, est soupçonnée ouvertement par la fédération de pratiquer les coûts anormalement bas. A la FNTR, on parle de 6 DH le kilomètre, sachant que le ministère de l'équipement et du transport qui se trouve être également le tuteur de la SNTL, a fixé un coût de référence de 8 DH, déplore M. Ziati. Des soupçons que nous n'avons malheureusement pas pu confronter avec la version de la SNTL. Or, pour éviter une éventuelle anarchie au moment de la libéralisation, les pouvoirs publics avaient mis en place un dispositif de régulation du marché. Depuis 2003 et jusqu'en 2009, le département du transport publiait régulièrement des notes d'informations sur les coûts de référence relatifs aux prestations de transport routier de marchandises. Le ministère se penche actuellement sur l'actualisation de ces informations, mais il n'est pas sûr que ces coûts de référence soient automatiquement pris en compte, parce que plusieurs transporteurs ne s'y sont jamais conformés. La question est de savoir comment des transporteurs parviennent à offrir des services à un prix aussi bas. Pour les professionnels, cela ne peut se faire qu'au détriment de l'Etat et du personnel. A côté des grands opérateurs, dont l'assise financière leur permet d'accuser le coup, «on trouve aussi de petites entreprises de l'informel qui ne déclarent pas leurs employés et ne paient pas leurs charges fiscales», affirme M. Ziati. Ce qui explique, selon la FNTR, que les efforts des pouvoirs publics pour intégrer les opérateurs de l'informel dans le circuit n'ont pas donné les résultats escomptés. «Seuls 27 183 camions de 8 tonnes et moins ont intégré jusqu'à présent le système réformé (formel), sachant qu'au moment de l'entrée en vigueur de la réforme le nombre de ce parc était estimé entre 60 000 et 70 000», dénonce la FNTR. Le problème est de savoir où mettre la limite entre la liberté du commerce et les obligations éthiques et légales. On le sait, l'une des faiblesses de notre économie réside dans la chaîne logistique et transport défaillante et trop coûteuse, grevant ainsi la compétitivité des produits. Logiquement, le low-cost est de bonne guerre. Alors comment préserver la pérennité du secteur des transports tout en assurant la compétitivité du produit transporté ? Voilà une équation pas facile à laquelle devra répondre très rapidement le ministère du transport.