La raison sociale de l'entreprise se confond avec celle de son propriétaire. Une stratégie de gestion des ressources humaines y est souvent inexistante. Il faut savoir situer une entreprise familiale selon sa taille, petite, moyenne ou grande. C'est ce critère qui va impacter le mode de gestion de ces entreprises. Au Maroc comme dans beaucoup d'autres pays, les entreprises familiales constituent la majeure partie du tissu économique. Sur la place, leur dénomination sociale s'efface devant le non du propriétaire fondateur. La gestion est paternaliste, surtout dans les petites structures. Le sociologue Ahmed Al Motamassik souligne que les successions y sont souvent difficiles. La principale cause est que la sphère familiale prend le dessus sur la sphère professionnelle. La solution est donc de privilégier la compétence. Explications. Finalement, travailler en famille est-il un atout ou un risque ? Cela dépend des ambitions, des horizons, des projets et du référentiel des valeurs des acteurs en question. Pour certains c'est une opportunité de sécurité avec l'espoir de succéder au patriarche PDG. Ils apprécient avant tout le fait de travailler pour eux-mêmes avec une volonté de pérennisation. Pour d'autres, cela peut être perçu comme une contrainte et une limitation de leur liberté d'entreprendre, d'agir et de réaliser leurs rêves. Cependant la perception qui prévaut et que le travail en famille est une aubaine et une chance à saisir. Qu'est-ce qui caractérise une entreprise familiale ? Comme le nom l'indique, une entreprise familiale appartient généralement à une famille. On peut dire qu'elle est caractérisée par deux éléments essentiels : le contrôle (intégral, majoritaire) du capital par une ou plusieurs personnes physiques appartenant à une même famille et l'exercice par la famille de fonctions significatives dans la gouvernance de l'entreprise : conduite directe des affaires ou supervision des managers opérationnels. Si, en amont, elle est la propriété personnelle du père, en aval, elle, est regardée comme appartenant à toute une famille. Parfois, c'est l'impression qu'en donne le propriétaire. Comme nous l'avons mentionné précédemment, le caractère familial de l'entreprise est lié à la pérennité du contrôle exercé par la famille sur l'entreprise. Celui-ci peut se consolider ou au contraire s'affaiblir au cours du temps. Comme toute entreprise, la firme familiale passe par des phases successives et est confrontée à des décisions stratégiques majeures, à un rythme plus ou moins rapide. Toutefois, l'entreprise familiale est souvent victime de stéréotypes. C'est l'entreprise d'un «bouchekara», doté d'un management paternaliste ou dirigiste. On a aussi l'habitude de dire que l'entreprise familiale n'entretient pas de bonnes relations avec ses salariés. Ce qui n'est pas toujours vrai. L'important c'est de voir si l'entreprise est bien gérée ou non, tant sur le plan économique et financier que social. Crée-t-elle vraiment de la valeur ou pas ? On constate bien d'ailleurs des cas de réussite au Maroc où souvent on nomme l'entreprise par le nom de son patron et non pas par sa dénomination sociale. Dans certaines entreprises du genre, même si l'organisation est bâtie selon les normes de gestion moderne, le patron reste vénéré et sa parole est d'or. Ce type de managers est en général un paternaliste qui aime considérer ses collaborateurs comme ses propres enfants. Il faut également ajouter, que ce soit ici ou ailleurs, que le tissu économique d'un pays est souvent constitué d'entreprises familiales, c'est dire que leur poids est aussi important dans une économie. Aux Etats-Unis, les affaires familiales sont carrément des institutions. Cependant, il faut savoir situer une entreprise familiale selon sa taille, petite, moyenne ou grande. C'est ce critère qui va impacter le mode de gestion de ces entreprises, le style de management, les enjeux, les sortes de conflits à gérer… Pouvez-vous nous donner quelques exemples ? Pour commencer, la moyenne entreprise familiale est souvent confrontée à un déficit de gestion de ressources humaines. J'entends par là que les postes de responsabilité sont souvent assurés par les membres de la famille. Les «étrangers» ont rarement la possibilité d'accéder à ces postes, encore moins d'espérer des évolutions de carrière dans ces entreprises. Cela devient pour eux des postes de transition (je suis dans ce poste en attendant de trouver mieux ailleurs). Le deuxième élément est d'ordre économique et financier. Ces entreprises veulent préserver ce statut familial et, en aucun cas, elles n'envisagent la perte de contrôle effectif en cas d'augmentation de capital ou de recherche de nouveaux moyens de financement. Troisième élément, le mode de gouvernance est très limité, même si la politique RH est souvent soucieuse de développer un environnement de travail conviviale, personnalisé, de dimension humaine. Parfois, l'interaction entre la famille et l'entreprise peut nuire au bon fonctionnement des relations humaines lorsque les jeux de pouvoirs relevant de la sphère familiale privée interfèrent avec la gestion de l'entreprise. Ajoutons à cela un handicap majeur qui réside dans la difficulté de recruter les meilleurs candidats faute de pouvoir proposer des projets de carrière construits. Il existe un plafond «naturel» à tout salarié non issu de la famille actionnaire, et c'est justement sa non-appartenance à ladite famille… En ce qui concerne la petite entreprise, il faut dire que les freins se situent à tous les niveaux : pas de perspectives de carrière, absence de fidélisation, niveau des salaires généralement peu élevé, manque de gouvernance… L'entreprise familiale peut-elle est gérée de manière rationnelle comme d'autres qui ne le sont pas ? Absolument. Les entreprises marocaines sont de véritables laboratoires en la matière. Certaines ont pu faire la transition dégâts vers un style de management moderne. D'autres ont tenté mais ont échoué. D'autres encore ont préféré rester sur l'ancienne configuration au détriment de leur survie. La complexité croissante des affaires et des organisations a complètement chamboulé les styles de management. L'efficacité est alors recherchée par une plus grande autonomie de l'individu et son adhésion aux valeurs et aux objectifs de l'entreprise. Aujourd'hui, la tendance veut que l'approche en matière de gestion repose beaucoup plus sur le social que sur le managérial. Dans le premier cas, il s'agit d'articuler le management autour de la mise en valeur des individus en favorisant les échanges et les relations humaines. Les valeurs prônées sont alors la responsabilisation, la communication et la souplesse. Le deuxième cas, le style managérial, repose sur une approche systémique selon laquelle le management repose sur des techniques, des méthodes et des concepts définis. Les valeurs s'orientent dans ce cas vers l'adaptabilité, les compétences et la direction par objectifs. Vous avez évoqué les enjeux de pouvoir qui peuvent nuire à l'entreprise, avez-vous connaissance d'exemples vécus ? Tout à fait. Comme je l'ai souligné, quand la sphère familiale prend le dessus sur la sphère professionnelle, les dégâts peuvent être importants. Très souvent, un successeur a beau être très imprégné des meilleures pratiques de gestion des entreprises, il se retrouve malheureusement freiné par des contingences d'ordres familial et socioculturel. Pour exemple, un dirigeant de PME familiale a essayé de faire du management participatif en impliquant son fils dans la gestion de l'entreprise. Sauf que les décisions du fils ne plaisaient pas toujours au père. Pire encore, le fils a commencé à perdre sa légitimité auprès de son équipe. Du coup, un conflit non déclaré s'est produit entre le père et son fils. Conséquence, cette situation a engendré une perte de confiance chez le fils, qui a fini par déprimer. La morale est que le conflit entre le père et son successeur est souvent surdéterminé parce que ce n'est plus seulement un conflit professionnel à gérer mais plutôt un conflit personnel et familial. Combien de fois assiste-t-on à des conflits de succession ou à des problèmes de mauvaise gestion qui menacent la pérennité de l'entreprise, suite au décès du père. Et quand bien même le chef d'entreprise avait la présence d'esprit de préparer sa succession, la continuation n'est pas toujours aisée. Comment gérer cet aspect de lien familial ? Un des principes fondamentaux à respecter est de créer des relations de travail objectives quel que soit le degré de parenté. Il convient de faire le distinguo entre vie privée et vie professionnelle même si c'est difficile à mettre en oeuvre… mais c'est aussi la méthode la plus efficace. Surtout que la légitimité de chacun à la fonction qu'il occupe évitera les jalousies du reste du personnel. Famille ou pas, les personnes doivent aussi faire l'affaire au sein de l'entreprise. Ce n'est pas parce qu'il est le fils qu'il doit forcément occuper tel poste. Quitte à ce qu'il fasse des erreurs, qu'il se forme. Il occupera le poste en question, une fois qu'il aura les compétences pour l'occuper.