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Après le français et l'anglais, faut-il se mettre au chinois ?
Publié dans La Vie éco le 31 - 01 - 2011

Etudiants, cadres du privé, fonctionnaires, nombre de Marocains se mettent au chinois ces dernières années. La place de la Chine dans l'économie mondiale explique cet engouement qui va aller crescendo, prédit-on.
La langue chinoise n'est plus du «chinois» pour les Marocains ! Elle devient accessible, elle se fraie son chemin, timidement mais sûrement, dans le paysage linguistique marocain. Après la déferlante des produits chinois sur le marché marocain et l'installation d'une communauté chinoise de commerçants, notamment à Casablanca, c'est au tour de la langue chinoise de se faire une place dans les écoles et autres centres d'apprentissage des langues, tout comme le français, l'anglais, l'espagnol ou l'allemand. Pour le moment, il n'y a pas de statistiques sur le nombre de Marocains qui se sont mis à apprendre le chinois. Même Zhenxiao Jiang, l'attaché culturel auprès l'ambassade de la République populaire de Chine à Rabat, que nous avons contacté, se dit incapable de nous livrer une estimation. A part les quelque 400 étudiants qui ont suivi des cours depuis deux ans à l'Institut Confucius créé et domicilié à la Faculté des lettres et des sciences humaines de Rabat, ce responsable culturel a une vague idée de ce qui se fait au niveau des écoles privées. Deux certitudes seulement. Primo, quelque 80 étudiants marocains bénéficient annuellement de bourses d'études en Chine, pour y aller étudier la langue en s'inscrivant dans les universités chinoises. Deuzio : «S'il y a maintenant intérêt pour la langue chinoise au Maroc c'est parce que la Chine commence à devenir une puissance économique non négligeable dans le monde. Au Maroc, particulièrement, les produis chinois sont partout. Il va sans dire que beaucoup de Marocains, attirés par le marché chinois, tentent leur chance avec cette langue pour faciliter la communication une fois en Chine», estime M. Jiang.
Dans 5 ans, la moitié du contenu disponible sur internet sera rédigée en langue chinoise
Globalement, la langue chinoise pourrait bien faire l'objet d'un large débat au Maroc. Faut-il en introduire l'apprentissage dans le système d'enseignement public ? La place de la Chine dans le monde, la part grandissante qu'elle occupe dans le commerce au Maroc et surtout son impact sur le monde de l'information sont des éléments qui militent pour cette option, à moyen terme bien entendu. Il suffit de rappeler que dans cinq ans, la moitié du contenu disponible sur le Net sera rédigé en chinois.
Le démarrage de l'apprentissage de la langue chinoise au niveau de l'université marocaine a commencé en 2009 par le biais de l'Institut Confucius établi pour la première fois au Maroc, suite à un accord signé en mars 2008 par l'Université Mohammed V Agdal et l'ambassadeur de Chine au Maroc. 350 000 dollars ont été alloués comme fonds d'amorçage de cet institut et trois professeurs chinoises y enseignent actuellement. Le ministère de l'enseignement au Maroc est d'ailleurs conscient d'une nécessaire ouverture sur l'Asie, notamment la Chine, puissance économique et politique dans le monde.
Nous nous sommes rendus le 18 janvier dernier au siège de l'institut pour suivre de visu un cours de langue chinoise et rencontrer étudiants et professeurs. C'était un jour de grève dans l'ensemble des universités marocaines, mais les professeurs chinoises et la directrice du centre, Mme Yang Gang, y étaient à pied d'œuvre. L'institut est dirigé conjointement par cette dernière et Mohamed Salhi, qui est en même temps vice-doyen de la Faculté des lettres chargé de la recherche et de la coopération. C'est un polyglotte, spécialiste notamment de la langue et de la littérature espagnoles, mais il ne maîtrise pas assez la langue chinoise. Des Instituts Confucius (IC), il en existe dans 82 pays à travers le monde, celui du Maroc «est venu un peu en retard par rapport à beaucoup de pays africains. Le nôtre est le 18e dans le continent», précise M. Salhi. Mais il y a une raison à ce retard. «La Chine que j'ai visitée à plusieurs reprises, a toujours considéré le Maroc comme un pays développé, et la coopération pour elle doit commencer d'abord, avec les pays sous-développés», explique-t-il. Les études ont démarré en octobre 2009 avec quelque 170 apprenants, étudiants, fonctionnaires, cadres… 180 autres suivent les cours depuis octobre 2010. Dans une salle, une trentaine d'étudiants écoutent, des supports français-chinois entre les mains, les explications du professeur Ces supports sont produits et importés de Chine, sorte d'assimilés avec des lettres de l'alphabet chinois et une transcription française. Mais il y a aussi un support audiovisuel avec data show. La prononciation du chinois est un peu difficile, selon les étudiants, et cet instrument multimédia les aide beaucoup dans leur apprentissage. Yang Gang est au Maroc depuis septembre 2010, à l'appel de l'IC, «car elle parle français et la communication avec elle est plus facile. L'année dernière on avait une seule professeur qui ne parlait que chinois, ce qui nous posait pas mal de problèmes», signale M. Salhi.
Deux questions se posent : Le chinois est-il facile à apprendre ? Et pourquoi des Marocains veulent-ils apprendre le chinois ?
En Chine, pas moins de 25 universités enseignent la langue arabe
Pour la directrice de l'IC, le chinois n'est pas aisé, notamment au niveau calligraphique, et il demande beaucoup de précision au niveau de la prononciation. «La grammaire est souple et n'a rien à voir avec la grammaire française. Mais pour lire un journal en chinois, il faudra maîtriser au moins 3 000 mots». Sui Xin, l'une des deux professeurs du chinois à l'IC (elle parle arabe et non le français sachant qu'en Chine pas moins de 25 universités enseignent la langue arabe) ne considère pas le chinois comme une langue difficile.
Selon elle, «les étudiants marocains arrivent à prononcer facilement le chinois, ils sont même arrivés à apprendre rapidement et à réciter des chants chinois». Maintenant, pourquoi apprendre la langue de Confucius ? Les raisons diffèrent. Tous les étudiants rencontrés considèrent que cette langue dominera le monde dans les années à venir, et supplantera même l'anglais, langue de communication internationale. Ces étudiants sont convaincus que la Chine est suffisamment développée au niveau économique pour imposer sa langue à l'international.
Yang Gang réfute cette assertion et considère que ce sont les pays développés d'Europe qui essayent de coller à la Chine cette image de pays développé. «Il y a des régions en Chine où la pauvreté est plus criante qu'au Maroc. Si les instituts Confucius se multiplient à travers le monde, c'est que la Chine veut s'ouvrir sur les autres cultures et faire connaître la sienne, millénaire, aux autres peuples», s'insurge-t-elle.
Déjà, nos étudiants de l'IC de Rabat ont appris à la lettre ces principes confucéens et les récitent à qui veut les entendre. Mais ce qui intéresse le plus Mohamed, 22 ans, dans l'apprentissage de la langue chinoise à l'IC de Rabat, c'est son projet d'avoir une bourse pour aller faire des études de sciences politiques en Chine. «J'apprends le chinois pour aller, dit-il, faire un master en Chine. Les diplômes chinois sont internationalement reconnus. C'est la langue de l'avenir».
Les écoles et universités privées ainsi que des instituts de langue s'y mettent aussi
Les actions de séduction pour rapprocher la langue et la culture chinoises des Marocains se multiplient. Une délégation, forte de cinquante personnes, s'est déplacée à Rabat à la Faculté des lettres en décembre 2010 pour justement présenter la vingtaine d'établissements universitaires établis à Shangai.
«A Shanghai, explique Hafid Boutaleb, président de l'Université Mohammed V, il y a trois types d'universités. Celles dites nationales financées par l'Etat, qui sont de niveau mondial. Les deux autres, universités de villes et universités locales, sont financées respectivement par les villes et les préfectures et sont de bonne qualité». Et les prix ne sont pas exorbitants, comparativement à ceux des Etats-Unis. Avec 5 000 dollars l'année, ces universités offrent des opportunités indéniables pour drainer de plus en plus d'étudiants marocains.
L'Université Mohammed V n'est pas la seule à avoir initié des partenariats avec des universités chinoises ou avec l'Institut Confucius. L'enseignement privé commence aussi à s'intéresser à ce qui peut devenir un gisement d'avenir. En décembre dernier, le groupe privé Universiapolis d'Agadir a signé un partenariat avec l'Université Wuhan de Chine. Cette convention entre les deux universités a prévu, entre autres, la mise en place de cursus, communs diplômants en management (MBA), un échange d'enseignants et d'étudiants entre les deux institutions, la possibilité pour les étudiants d'Universiapolis de poursuivre leurs études à l'Université de Wuhan, ainsi que la création d'une antenne de Wuhan au campus d'Agadir et le développement d'un centre culturel chinois à Agadir. Cela dit, nombre d'établissements d'apprentissage des langues ont ouvert des classes pour le chinois. «Un début timide et l'on ne compte que quelque centaines d'apprenants», selon le directeur d'un centre de langues situé en plein Casablanca. Dans le Sud du Maroc, toujours à Agadir, un institut de langues, LIAL (l'institut allemand des langues d'Agadir), a été fondé par une Allemande, Heike Johannsen-Tarhbalouti. Cette dernière est lauréate de l'Université de Tübingen en Allemagne et de l'Université de Pékin des langues et culture, mais aussi de Guo Jia Han Ban/ Institut Confucius de Chine. Elle a travaillé comme manager en Ressources humaines de Siemens Guangzhou China, et est actuellement gérante et directrice de LIAL.
Plusieurs langues sont enseignées dans cet institut dont le japonais et le chinois. Pour cette Allemande (voir entretien) ayant passé une quinzaine d'années en Chine, l'apprentissage du chinois au Maroc est encore à ses débuts. Mais tout indique que les années prochaines, l'engouement pour cette langue sera encore plus grand.


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