Naoufal Belcadi affiche la mine des grands jours. Il vient de livrer une chorégraphie à l'occasion de la Fête du Printemps, cérémonie marquant la fin du premier semestre en langue chinoise. Emmitouflé dans son habit traditionnel blanc assorti d'une soie bleu ciel avec des rayures rouge et noir, l'étudiant nous plonge dans l'histoire ancestrale de la Chine. Mais détrompez-vous ! Nous ne sommes pas à Shanghaï, ni à Changzhou encore moins à Pékin, mais bien au Maroc. Plus précisément, à l'Institut Confucius de Rabat qui se trouve au sein de la faculté des Lettres et Sciences-Humaines de l'université Mohamed V- Agdal. Les Marocains sous le charme du mandarin ... Depuis 2009, la grammaire chinoise ne constitue plus un mystère pour de nombreux Marocains. Réussir cette première expérience n'était pas une mince affaire, surtout pour une langue dont la simple vue des caractères plombe souvent les envies de découverte. « Durant la première année, on a dénombré 180 inscrits. Mais le manque d'encadrant constituait un handicap majeur. Il y avait au début une dame qui n'était pas polyglotte. Sur les 180 inscrits, seuls 80 ont pu continuer le cursus. Par la suite, face à la demande, la commission nationale pour la diffusion de la langue chinoise dans le monde (Hanban) nous a envoyé trois professeurs chinois », se souvient, le professeur Mohamed Salhi vice-doyen de la faculté des Lettres de Rabat et directeur de l'institut. Après trois années d'exercice, ces difficultés ne sont plus d'actualité. Aujourd'hui, les cours sont dispensés par cinq professeurs de chinois dont trois volontaires. « Les quatre professeurs titulaires restent souvent trois ans au sein de l'institut. Les volontaires sont pour la plupart des étudiants en dernière année de licence arabe qui dispensent des cours pour un délai de un an », renchérit-il. Plusieurs Marocains semblent être séduits par le mandarin – nom officiel de la langue chinoise –. Leur engouement pour le chinois est plus que manifeste. A titre d'exemple, l'administration a dénombré pas moins de 200 inscrits après l'ouverture de l'Institut. Au cours du premier semestre de l'année universitaire en cours, il y a eu 194 inscrits avec respectivement 129 en première année, 14 en classe médium, 36 en deuxième année et 15 en troisième année. La majeure partie des cours ont lieu dans les quatre salles réservées au sein de la Faculté des Lettres. Une grande salle est aussi aménagée au niveau d'une annexe de l'Université de Souissi. Les étudiants sont répartis en dix groupes. Chaque groupe a droit à deux heures de cours par semaine. Ils ont le choix entre mardi, mercredi, jeudi , vendredi entre 15 h -17 h et 17h -19h ou bien le samedi matin. ... Et de la culture chinoise Les frais d'inscription s'élèvent à 200 dirhams l'année – toutes les activités inclues – pour les étudiants, professeurs et fonctionnaires de l'université Mohamed V-Agdal. Pour les autres étudiants en provenance d'autres établissements, c'est 300 dirhams l'année et 1 500 dirhams pour les fonctionnaires. En dehors de la grammaire chinoise, l'Institut consacre une large fenêtre aux cultures et aux traditions chinoises. Des cours de poésies, de danse, de représentations théâtrales, d'arts martiaux, et même l'art culinaire chinois sont enseignés aux étudiants. « L'Institut dispose de matériels sophistiqués pour faciliter l'acquisition de connaissances aux linguistes. Nous avons même eu un orchestre qui est parti une fois en Chine pour y délivrer quelques prestations », nous souffle Salhi avant de nous indiquer que « ces activités sont exigées par Hanban. Les épreuves proviennent de Pékin et sont corrigés par Pékin. Chaque année on choisit à partir des résultats de l'examen, 35 étudiants qui partent en séjour linguistique et de découverte sur mois et 20 jours à Pékin ». Le prochain concours aura lieu le 24 mars prochain dans les 120 pays qui abritent les Instituts Conficius. Bourses et stages de formations En vertu d'une convention entre l'université Mohamed V-Agdal et l'université des Etudes internationales de Pékin, des bourses d'études de courte durée (2 mois) ou de moyenne ou longue durée (5 ans) sont offertes à des ressortissants marocains et chinois. Beaucoup d'étudiants chinois apprennent actuellement le français, l'anglais ou l'arabe à la Faculté des Lettres de Rabat. Des cadres marocains font des déplacements à Pékin pour y effectuer des stages de formation. Cette année, et pour la première fois au Maroc, l'université a ouvert une licence en littérature chinoise. Une vingtaine d'étudiants vont se spécialiser en langue et culture chinoise. Les meilleurs feront le master et le doctorat en Chine pour revenir dispenser des cours. Ouidianne Elqafia fait partie de cette première promotion. Toute souriante elle nous explique son choix. «Je suis une amoureuse de la culture asiatique et chinoise en particulier. C'est une langue difficile et je me suis lancée un défi de la maîtriser. Je souhaite après la licence devenir traductrice au Maroc.» Hormis le HSK, les étudiants peuvent aussi postuler pour le « Chinese Bridge », un concours artistique qui dévoile les talents des étudiants en démonstration théâtrale, chants, danses, etc. Les meilleurs sont notés à l'échelon international via internet et les gagnants séjourneront quelques temps à Pékin. Oumouss El Mehdi étudiant à la faculté des Sciences de Rabat et qui est en 3e année à l'Institut est le premier Marocain à participer à ce concours. Un privilège qu'il savoure toujours. « En juillet 2011, j'ai eu la chance d'être le premier représentant du Maroc dans une compétition internationale du « Chinese Bridge » à Chanchan en Chine. C'était magnifique. J'ai pu me comparer à d'autres étudiants en provenance d'autres horizons », se remémore-t-il, le visage jovial. Vu l'engouement grandissant des Marocains pour le chinois, les responsables de l'institut ont ouvert depuis le 1er octobre 2012 un deuxième institut à la faculté des Lettres de l'Université Hassan II de Casablanca et qui a été inauguré le 18 janvier dernier. Durant le premier semestre, l'institut a accueilli 186 étudiants. Ils sont scindés en trois catégories : étudiants et fonctionnaires de l'Université Hassan II, étudiants des autres universités, et hommes d'affaires, secteurs privés, etc. Deux professeurs chinois assurent les cours. «Un autre professeur chinois va rejoindre l'équipe pédagogique fin février 2013 et 2 autres enseignant chinois débuteront en septembre. On espère atteindre le nombre 360 d'ici 2013 et ouvrir une filière d'études chinoises d'ici 2ans », déclare Khalid Benajiba directeur de l'institut. C'est un secret de polichinelle de dire que le chinois est une langue difficile. Elle renferme 50 000 caractères dont 3 000 sont les plus utilisés. Mais c'est peu pour décourager les sinophiles. Les motivations économiques dominent Dans le microcosme chinois, chaque étudiant a sa propre motivation. Pour certains comme Hicham Daidai ingénieur géomètre à l'Agence nationale de la conservation foncière du cadastre et de la cartographie (ANCFCC), c'est une question de défi, « j'ai une motivation personnelle pour l'apprentissage des langues, surtout les plus difficiles ». Pour Hanane Essoumni – ingénieur aussi à l'ANCFCC-, c'est une envie de découverte, « J'en ai entendu parler à la faculté. Je suis venue voir comment cela se passe ». Pour Lamiaa qui prend des cours dans une école privée à Casablanca, c'est la passion des langues, « j'ai toujours eu un engouement pour l'apprentissage des langues ». Chez Mehdi Trifaya (13 ans) 5e année au Lycée Descartes, c'est l'espoir de voir un rêve se réaliser, « je souhaite effectuer plus tard des études en économie. Je vois la Chine comme la future première puissance économique. L'apprentissage du chinois me permettra de participer aux échanges économiques entre le Maroc et la Chine » déclare-t-il. D'ailleurs le facteur économique prédomine chez la majeure partie des étudiants interrogés. La future première puissance économique fait déjà rêver. Après le commerce et les nouvelles technologies, l'Empire du milieu étend désormais ses bases dans le monde du savoir. Le pays du Dragon avance doucement, mais sûrement.