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Quand des artistes donnent de leur temps pour reconvertir les désÅ"uvrés
Publié dans La Vie éco le 21 - 01 - 2011

La scène artistique marocaine de plus en plus engagée sort de son cadre de travail habituel. Les financements manquent, les actions se multiplient et les initiatives privées s'organisent
Ils sont sortis de leurs ateliers, de leurs bureaux, de leurs salles de répétitions pour aller vers les autres, pour créer des ponts, détruire les barrières, partager, peindre, dessiner, photographier, rencontrer, écrire, débattre et animer des ateliers…. Des artistes connus, reconnus, d'autres moins connus -mais non moins engagés- s'investissent de plus en plus dans des associations culturelles, inventent de nouvelles actions pour démocratiser l'art. «Lorsque j'ai décidé d'aller à la rue et d'exposer mes œuvres, tout le monde m'avait déconseillé de le faire arguant qu'on allait les abîmer. Je l'ai tout de même fait. Sur les dix toiles exposées sur le boulevard El Massira, seulement deux ont été abîmées. Je les ai, d'ailleurs, exposées par la suite», explique Abderrahmane Ouardane, artiste peintre et fondateur de l'association Arkane. Décloisonner l'art et le sortir des musées et des cimaises des galeries, c'est l'un des objectifs de cette association basée sur le partage. «Les artistes peintres, les plasticiens ne se connaissaient pas entre eux. On a même été dire que les artistes de Casa, les artistes de Rabat…, formant ainsi des clans, ne se connaissent pas, ne communiquent pas, n'échangent pas… Avec des amis nous avons décidé de créer des canaux de communication et de faire la promotion de l'art au Maroc. J'entends aussi par communication des rencontres physiques, des échanges. Aujourd'hui nous sommes bien avancés, nous avons établi un programme très précis qui va commencer en février prochain», se réjouit le peintre.
L'univers de l'art contemporain permet aussi de décrypter les modes de fonctionnement de la société. La faire parler, c'est investir ses rues pour qu'elle soit partie prenante. Cela demande de l'énergie et aussi beaucoup d'argent. «Les artistes ont généralement de bonnes idées mais il faut des managers pour faire aboutir les choses, trouver des financements. Le ministère de la culture nous accorde une subvention annuelle de 45 000 DH, ce qui couvre quelques charges. Notre association bénéficie également de subventions d'organismes internationaux. Unicef, GTZ, les missions culturelles européennes nous soutiennent aussi… nous essayons aussi de faire intervenir les villes. Pour les grosses opérations on compte davantage sur le sponsoring. Nous préparons un grand événement qui va se dérouler du 1er au 6 juin prochain, Chaouen Art, un festival méditerranéen des arts plastiques». L'artiste, qui voit tout en grand, promet des installations géantes, des sculptures aussi gigantesques et plein de surprises ! Il est aussi question de laisser des traces à Chaouen avec une sculpture réalisée sur place, qui appartiendra à la ville et sera témoin de ce rendez-vous méditerranéen. Des installations pérennes, du Street art…, le programme est aussi riche que surprenant, promet le concepteur du projet.
Le célèbre et avenant Ouardane n'est pas le seul à s'être engagé dans cette voie. D'autres artistes aussi pleins d'énergie et d'idées novatrices se sont lancés dans de nouveaux projets. Certains sont allés au-delà des murs. C'est le cas de la designer, Khadija Kebbaj, qui a créé avec Hadia Slaoui (professeur universitaire), Extramuros, une association qui mène, en collaboration avec l'association Initiative urbaine (Maroc) et l'association Débrouille (France), un cycle de formation artistique qui devrait s'étendre sur l'année 2011 en faveur des jeunes de Hay Mohammadi. Ce quartier parmi les plus peuplés du Maroc compte, selon les chiffres officiels, 27% de chômeurs. «Cette formation vise à former des jeunes en difficulté de travail sur diverses activités artistiques tels que la création, le recyclage, les ateliers d'expression et d'improvisation, les multimédias, la photo et la vidéo», expliquent les initiateurs de ce projet. Des formations censées répondre aux besoins du marché du travail avec des modules de formations très ciblées. «Nous voulons par ce projet contribuer à la problématique de l'insertion professionnelle de jeunes du quartier, en difficulté de travail, renforcer les ressources humaines des associations qui œuvrent dans le domaine de l'enfance en leurs affectant les lauréats de cette formation». La pédagogie des stages, les workshops sont une création de Khadija Kebbaj qui invente de nouvelles actions culturelles pour ouvrir les regards, soulever la curiosité, et permettre à chacun de devenir acteur de sa propre culture, de son propre sort. Il y a quelques mois, l'artiste a animé des ateliers en transformant des objets de récupération en objet d'art. Depuis, l'idée a fait son chemin pour s'installer dans la durée. Les cycles de formations d'Extramuros ont démarré, en novembre dernier, mais, comme souvent, l'argent manque et l'association se mobilise pour trouver rapidement des financements. «Nous avons reçu 15 000 euros de la part de la Fondation de France. Cela couvre la moitié de nos besoins. Nous avons eu des promesses verbales de la part de l'INDH, nous attendons la confirmation pour mener à bien notre projet », confie Khadija Kabbaj dont l'objectif demeure le même, celui d'«amener l'art et la culture dans des quartiers retirés, à ceux qui n'y ont pas accès».
Des associations pour créer des ponts
Pour créer leur association culturelle, Adam El Mahfoudi, architecte et aquarelliste et Dominique Langlois, plasticienne, ont dû passer par la création d'un centre culturel. L'idée a l'air un peu saugrenu mais c'était le seul moyen pour avoir de l'argent. «Nous voulions créer une association pour organiser des événements culturels mais les banques ne donnent pas d'argent aux associations. C'est ainsi qu'est venue l'idée de créer Casa Del Arte. Aujourd'hui c'est elle qui finance notre association, Arts métisses», explique Adam El Mahfoudi. Depuis, Arts métisses organise de plus en plus d'événements et œuvre pour la promotion de «la diversité culturelle au Maroc, en faisant vivre un espace dédié à la rencontre des différentes cultures artistiques. En passant par la création d'événements et d'ateliers (Festival Matango, spectacles, concerts, workshops avec des Masters Class, conférences, lecture de poésie et présentations de livres) pour transmettre un certain savoir-faire entre artistes professionnels et amateurs, étrangers et marocains. Et surtout favoriser la rencontre de l'autre, apprendre à se connaître et à s'accepter pour plus de tolérance et pour ainsi mieux vivre ensemble dans un monde métissé», explique le couple fondateur de l'association.
La fabrique culturelle des ex-Abattoirs de Casablanca regroupe, quant à elle, des artistes portant des réflexions de tous bords. L'objectif est d'ouvrir des voies de recherche et de dialogue pour réinvestir les lieux et redonner vie à un monument architectural qui fait partie intégrante de la ville. Cet acte de réflexion engage autant le sens de l'esthétique qu'il interpelle la raison et, surtout, embrasse des disciplines variées. Le succès de L'boulevard l'Expo, des performances de danse contemporaine, de break dance, de toutes les formes de street dance qui s'y sont déroulés ainsi que ceux des innombrables workshops…prouve l'urgence et la nécessité de cette démarche. La fabrique culturelle des abattoirs regroupe un collectif composé d'une douzaine d'associations inscrites dans le contexte contemporain qui proposent non seulement d'organiser des rencontres internationales ouvertes et transdisciplinaires, mais aussi de faire émerger une dynamique de groupe autour d'un langage plastique, esthétique, corporel, musical… commun. Réunissant différentes disciplines de création et de réflexion, ce projet vise à dépasser le clivage souvent trop prononcé entre différentes pratiques artistiques.
Parmi les disciplines les plus difficiles à financer, la danse contemporaine. Car rien n'est encore prévu au niveau institutionnel pour former, créer des lieux de résidence… Même si cette discipline se fait de plus en plus de place, les initiatives restent sporadiques, éparpillées, coupées d'un lien commun, d'une synergie. La danseuse et chorégraphe, Ahlam El Morsli, a décidé d'y remédier en créant Le collectif des jeunes artistes marocains. Une association qui lui facilite les contacts, lui permet de «prendre attache avec des institutions internationales. Ça fait tout de suite plus sérieux lorsqu'on se présente au nom d'une association», avoue la jeune danseuse. Même si le point de départ de toutes ces associations reste différent, elles sont toutes résolument novatrices, esthétiques et commencent à se faire écho.


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