Dix ans de festival et quinze films en compétition n Etoile d'or pour le film sud-coréen, «The journals of Musan», du réalisateur Park Jungbum. Hommage au cinéma français avec la projection de 75 films n Des films en audio description pour les malvoyants. La Xe édition du Festival international du film de Marrakech s'est déroulée du 3 au 11 décembre entre strasses, glamour et cinéma. Côté paillettes, il y avait, entre autres, Eva Mendes, Sophie Marceau, Riccardo Scamarcio, Hélène de Fougerolles, Marion Cotillard et Catherine Deneuve que les photographes se sont arrachés…À côté de cette traditionnelle vitrine, le cinéma était dignement représenté à travers John Malkovich, Francis Ford Copolla, Tony Gatlif, les frères Dardenne, Suzanne Sarandon, Costa Gavras…A l'heure du tapis rouge, les cinéphiles avaient chacun son chouchou, son héros, son super-héros ou son anti-héros. Le maître de cérémonie, John Malkovich, était entouré d'un jury composé de l'actrice égyptienne Yousra, le réalisateur et metteur en scène marocain, Faouzi Bensaidi, l'actrice Irène Jacob, immortalisée à jamais dans le film Rouge de Kieslowski. Il y avait aussi Maggie Cheung, la comédienne fétiche de Kar Wai (elle a joué dans 2046, In the mood of love et Nos années sauvages). Une touche british avec John Alexander qui a joué dans le magnifique film Sense and sensibility (Raison et sentiment). Le réalisateur, scénariste et metteur en scène français, Benoit Jacquot, était également présent contrairement à Eva Mendes qui a annoncé sa défection quelques jours avant la tenue du festival. Le jury s'est aussi doté de la sensibilité de l'acteur, réalisateur et producteur mexicain, Gael Garcia Bernal (il a joué dans La Mala educacion d'Al Modovar) et enfin du charme avec l'acteur italien Riccardo Scamarcio qui a joué dans Eden à l'Ouest de Costa Gavras. 15 films en compétition, 15 nationalités et 15 regards différents se sont confrontés pendant 9 jours. Samedi 11 décembre, le gotha du cinéma a accordé au film sud-coréen The journals of Musan, du réalisateur Park Jungbum, l'Etoile d'or (Grand prix) de cette Xe édition. Le film raconte la galère d'un Coréen du nord incapable de trouver un travail à cause du numéro de sa carte d'identité qui révèle son origine et vit avec un chien, sa vie de marginal dans la société capitaliste, sud-coréenne. Une histoire émouvante et éloquente à la fois qui a séduit le jury. Le film mexicain, Beclouded, du réalisateur Alejandro Gerber Bicecci et le film belge, Beyond the steppes de la réalisatrice Vanja d'Alcantara, ont remporté, ex aequo le Prix du jury. Animal kingdom du réalisateur australien David Michôd et When we leave de l'Allemand Feo Aladag ont obtenu en ex aequo aussi le prix de la meilleure interprétation. Des sujets forts ont rassemblé les films en compétition. Conflit coréen dans The journals of Musan, Seconde Guerre mondiale dans The Edge, survie dans Beyond the steppes… Alors que le film sud-coréen collait à l'actualité, le film australien qui a remporté le prix d'interprétation est un échantillon d'audace. Audace éventuellement dans le sujet et dans son traitement et c'est probablement cela qui lui a valu son succès. L'histoire se passe à Melbourne où vit paisiblement une famille de criminels jusqu'au jour où le neveu, Joshua, l'infiltre et doit faire le choix entre les liens de sang et la justice. Du Mexique nous est parvenu un film à l'odeur de la terre. Alejandro Gerber Bicecci nous a laissé entrevoir un Mexique des petites gens, des prostituées et des alcooliques. Des hommes d'une grande brutalité mais très respectueux de leur terre. Beclouded raconte l'histoire de trois adolescents : José, Felipe et André, liés par un drame qu'ils ont vécu dans leur enfance et qui a changé le cours de leurs vies. Une magnifique fresque, pleine d'idées colorées. Le Festival du film de Marrakech continue de défricher les territoires cinématographiques de jeunes réalisateurs et le résultat n'est pas toujours heureux. L'année dernière le film marocain The man who solde the world des frères Nouri a beaucoup déçu. Cette année c'est le film Mirages du jeune réalisateur Talal Selhami produit par Nabil Ayouch, qui a tenté sa chance pour cette édition 2010. Mirages nous convie à l'univers féroce du travail où un jeune chômeur se transforme en tueur en série pour éliminer ses adversaires. L'idée nous rappelle étrangement celle du Couperet de Costa Gavras (2007). Un film inspiré du roman, Le contrat, de Donald Westlake. Dans Mirages, Selhami nous raconte l'histoire de cinq jeunes Marocains venus d'univers différents et qui se retrouvent en compétition pour décrocher un poste de travail, sauf que les candidats doivent passer un ultime test pour se départager. Maquillé sous forme d'accident, le test se transforme en véritable cauchemar. Le film prend une tournure tout à fait inattendue. Des scènes d'une rare violence se succèdent. Une violence injustifiée et c'est l'une des faiblesses majeures du scénario. Il faudrait, par contre, saluer le jeu des comédiens Mariam Raoui et Karim Saïdi qui augurent d'une belle carrière cinématographique. Le réalisateur russe, Alexey Uchitel, a signé une histoire touchante, extrêmement humaine. C'est-à-dire aussi cruelle que douce sous le nom assez austère de The Edge (Lisière). L'histoire se passe en 1945 dans un village isolé en Sibérie où «les traîtres de la mère patrie» y sont condamnés à abattre des arbres qu'on transfère par la suite dans des locomotives à travers l'immense Taïga. Ignat, le héros du film, est affecté dans ce village pour y assurer la maintenance. Cet homme brutal fera la rencontre d'une Allemande qui vit en sauvage dans une locomotive abandonnée. Les deux protagonistes vivront une histoire avec les haines partagées, les frayeurs de la guerre et l'amour qui peut rassembler deux êtres humains sans préjugés. Une histoire magnifique tissée dans The Edge. Un film qui avait toutes ses chances pour avoir un prix. Des prises de vue, justes, sublimes, un jeu juste qui rejoint des dialogues vifs, un récit bien ficelé et plein de rebondissements et qui évolue chaque instant. Loin de la Russie et de ses misères, un film belge. Marieke, Marieke (c'est aussi le titre de la célèbre chanson de Jacques Brel), est cet autre film en compétition que nous a proposé la réalisatrice, Sophie Schoukens. Marieke est une jeune fille de 20 ans qui a perdu son père étant très jeune. La jeune chocolatière s'évade tous les soirs dans les bras d'hommes, d'hommes vieux, qui ont déjà une vie derrière. Ce qui est intéressant dans le personnage de Marieke, c'est qu'elle est borderline et conserve jusqu'au bout son mystère. La jeune femme n'a rien d'une fille dépressive, elle est pleine de vie et à chaque fois qu'elle passe une nuit avec un homme, elle le prend en photos ou, plutôt, elle emporte des bouts de son corps avec elles, des parties intimes sublimés à travers son jeune regard. Ce film est construit autour de chansons et notamment celle de Frank Sinatra, Fly me to the moon. «Les hommes que Marieke se choisit, lui donnent ça, une part du ciel», explique la réalisatrice qui n'a malheureusement remporté aucun prix. Quant aux contacts directs, et loin des «Master classes» formatés, Francis Ford Coppola a tenu à rencontrer des étudiants et à «discuter » avec eux s'estimant lui-même étudiant et toujours en apprentissage. L'appel du grand réalisateur ne s'est pas fait attendre, les cinéastes en herbe étaient nombreux tout autant que leurs questions. De belles rencontres et des laissés-pour-compte ! La leçon de cinéma de Coppola est aussi une leçon de vie, merveilleusement racontée. Avec les frères Dardenne, l'échange était malheureusement moins fructueux, l'animateur ayant monopolisé la parole ! Si certains étudiants ont eu la chance d'assister à ces master classes, d'autres ont été beaucoup moins chanceux. C'est le cas de ce groupe de 23 étudiants casablancais de la Faculté des lettres et des sciences humaines Ben M'sik de l'Université Hassan II qui sont venus assister au FIFM avec plein de promesses de rencontres. L'hébergement n'étant pas pris en compte, les étudiants se sont débrouillé pour trouver un lieu décent pour dormir. Et pour mériter leurs invitations, ils se sont donné volontiers au jeu de la figuration pour les répétitions des cérémonies jusqu'au soir où ils sont conviés, pour de vrai, à une soirée officielle. Mais l'excitation s'est vite muée en cauchemar lorsque la responsable de la salle leur a demandé de quitter «discrètement» les lieux en leur expliquant que leur rôle se résumait à garder des places pour des personnes «importantes». Sur ce malheureux épisode, ils sont retournés à Casablanca sans avoir rien vu. Seulement cinq d'entre eux ont résisté et ont pu, après intervention de leur université, assister à un master classe. Par ailleurs et comme tous les ans le festival perpétue la belle tradition des hommages. Un moment riche en émotion a été vécu à l'évocation de Larbi Doghmi et de sa carrière. Abderrahmane Tazi a aussi été célébré lors de cette édition mais également de grands cinéastes internationaux, comme Harvey Keitel, James Caan et l'inimitable Kiyoshi Kurosawa. Quant aux amoureux du cinéma français, ils se sont délectés avec un bouquet de 75 beaux films. Que du bonheur !