L'institution a publié un avis relatif à l'état de la concurrence dans le marché du livre scolaire au Maroc. Le constat est sans appel : ce marché est très concentré, verrouillé en amont, dépendant des subventions étatiques, et caractérisé par le gaspillage ainsi qu'une baisse de qualité des contenus. Suivez La Vie éco sur Telegram Le Conseil de la concurrence (CC) s'est saisi d'office pour donner un avis sur le fonctionnement concurrentiel dans le marché du livre scolaire. L'institution présidée par Ahmed Rahhou s'est ainsi proposée de réaliser, à travers cette saisine, une analyse du cadre législatif et réglementaire de ce marché, de la structure de l'offre et de la demande, du niveau de concentration, ainsi que de la structure du prix livre scolaire. Les résultats de cet examen ont été restitués dans un document de 75 pages, mis en ligne sur le site du conseil. Le constat est sans appel : le marché du livre scolaire au Maroc est caractérisé par une série de dysfonctionnements qui affectent la concurrence. Parmi ces dysfonctionnements, le conseil cite en premier le modèle économique sous-tendant le marché du livre scolaire qui «est devenu contreproductif», car reposant sur une offre et une demande «artificiellement soutenue par des fonds publics et semi-publics» et en «total déphasage» avec les réalités économiques du marché. Le rapport pointe également du doigt une production du livre scolaire «massifiée», oscillant entre 25 et 30 millions d'exemplaires de manuels «jetables», programmés et conçus à être utilisés une et une seule fois, soit une consommation de 3 à 4 livres en moyenne par élève et par an. Ce qui «occasionne un énorme «gaspillage de ressources, de matières et d'énergie pour le pays». De plus, le rapport constate qu'aucun manuel scolaire sur le marché n'est doté d'un support numérique complémentaire. «De véritables positions de rentes» Autre constat édifiant : le niveau de concentration du marché du livre scolaire est élevé, malgré une multiplicité apparente des maisons d'édition, avec une forte concentration géographique au niveau de Casablanca et subsidiairement au niveau de Rabat. Le rapport souligne ainsi que «les 4 premiers groupes d'éditeurs contrôlent plus de 53% du marché du livre scolaire et si on y intègre le 5ème, cette part monte à 63%». Le marché du livre scolaire est par ailleurs «entièrement verrouillé en amont», donnant lieu à la création de «véritables positions de rente» acquises par les mêmes éditeurs sélectionnés depuis une vingtaine d'années. Leurs parts de marché sont restées quasiment inchangées durant cette période. Concernant l'ouverture à la concurrence du marché du livre scolaire, le rapport considère qu'il est «tronquée», dans la mesure où l'Administration a maintenu la détermination des conditions d'entrée à ce marché via la définition des termes des cahiers des charges formant appels d'offres, ainsi que la fixation des prix des livres scolaires demeurés inchangés durant plus de vingt ans. Un produit essentiellement commercial Le Conseil de la concurrence notre en outre que «l'ouverture partielle du marché en amont du livre scolaire a transformé, dans les faits, le livre scolaire d'un outil pédagogique en un produit essentiellement commercial», constituant la première source de revenus des éditeurs et des libraires. Ainsi, sur un chiffre d'affaires global du marché de l'édition estimé à 800 millions de dirhams, plus de la moitié provient du marché du livre scolaire (400 millions de dirhams). La «forte dépendance» des maisons d'édition du livre scolaire s'est accentuée récemment, poursuit la même source, du côté de l'offre par l'octroi de subventions par l'Etat, à hauteur de 101 millions de dirhams, en vue de réduire la hausse des prix de vente publics des manuels scolaires à seulement 25%. Et ce, explique-t-on, pour répondre aux demandes d'augmentation des prix formulées par les éditeurs suite à la hausse des coûts de leurs intrants, comme en témoignent les prix du papier qui ont connu une augmentation de plus de 103%. Cette forte dépendance se situe également du côté de la demande du livre scolaire qui est largement supportée par des fonds publics et semi-publics mobilisés dans le cadre de l'opération «un million de cartables» de l'INDH. Sur un budget total de 550,5 millions de dirhams au titre de l'année scolaire 2022-2023, une enveloppe de 370 millions de dirhams a été consacrée à l'acquisition du livre scolaire. Baisse de qualité Le développement quantitatif du marché du livre scolaire s'est effectué au détriment de la qualité de sa forme et de son contenu, déplore par ailleurs le Conseil de la concurrence. Le livre scolaire est ainsi réduit à un «simple produit commercial où les considérations du coût de production l'emportent largement sur le contenu». Ainsi, les droits d'auteur récompensant la production intellectuelle du contenu de ces livres ne dépassent guère une moyenne de 8% du prix du livre scolaire. Le rapport souligne également que les prix du livre scolaire fixés par l'Etat n'ont pas été révisés depuis la période 2002-2008. «La procédure légale et réglementaire de fixation de leurs prix n'a pas été respectée dans la majorité des cas». Seuls les prix de 9 livres sur un total de 381 ont été fixés suite à l'avis favorable de la commission interministérielle des prix et publiés au BO. Les prix des 372 livres scolaires restants ont été directement fixés par le MEN, suite aux appels d'offres lancés, et sans passer par ladite commission. De plus, les prix des livres scolaires ont été maintenus «artificiellement bas» au détriment de leur qualité physique et de leurs contenus, comme en témoigne la «mauvaise qualité» du papier avec un grammage de plus en plus réduit, occasionnant des surcharges de pages et des illustrations en deçà des standards. De fait, les livres scolaires sont devenus «peu attractifs pour les élèves», voire «répulsifs pour certains», ce qui les prive des apprentissages fondamentaux que ces livres sont censés leur apporter. Et le conseil d'ajouter : «Le dirigisme administratif a engendré un manque de créativité pédagogique dans la mesure où il a poussé les éditeurs à maintenir les mêmes outils pédagogiques à l'exception de quelques changements à la marge. Au fil du temps, les effets de la régulation administrative ont fini par inhiber toute initiative de concurrence entre les éditeurs». Recommandations Il est à noter qu'à partir de ce diagnostic, le Conseil de la concurrence a formulé une série de recommandations, en vue de développer le marché du livre scolaire en le rendant plus transparent et plus attractif. Le Conseil de la concurrence préconise, entre autres, de réviser «radicalement» le modèle économique sous-tendant le marché du livre scolaire, en l'intégrant en tant qu'élément central des politiques publiques de réforme de l'enseignement. Il est également recommandé de mettre sur pied un nouveau cadre légal et réglementaire «permettant d'offrir la visibilité et la lisibilité aux acteurs concernés». En effet, souligne le rapport, l'expérience a montré que la régulation administrative actuelle du marché du livre scolaire n'offre ni sécurité juridique ni visibilité aux opérateurs industriels désirant investir dans le marché de l'édition de façon générale et du livre scolaire en particulier. Il est par ailleurs proposé de mettre en place une politique résolue de réutilisation des livres scolaires, dont la durée de vie devrait être pluriannuelle et s'étendre sur deux ou plusieurs années scolaires. Enfin, les mécanismes d'allocation des ressources financières publiques et semi-publiques destinées au livre scolaire sont «à réviser et à réorienter substantiellement». Pour ce faire, le Conseil de la concurrence estime que la mise en œuvre du chantier Royal de la généralisation de la couverture sociale et l'institution du RSU pourraient être l'occasion de prévoir une allocation ciblée et dédiée au livre scolaire parallèlement au processus de dynamisation de la concurrence sur ce marché.