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En Couv'. Le football, nouvel outil du soft power marocain
Publié dans La Vie éco le 05 - 04 - 2023

L'effet mobilisateur du sport est prouvé et éprouvé au fil des temps. De l'athlétisme au football, le Royaume a su, depuis longtemps, jouer sur cette corde. Aujourd'hui c'est d'une arme diplomatique qu'il s'agit.
Quelle est la probabilité de voir s'afficher en public, ensemble, le directeur général de la DGED (renseignements extérieurs), le patron de la DGSN/DGST (Sûreté nationale et renseignement intérieur), le ministre des Affaires étrangères du Maroc ? Quasi nulle. Inexistante pour tout dire. Pourtant cela a eu lieu en décembre dernier, à l'occasion de la Coupe du Monde. L'image des trois hauts responsables, qui a d'ailleurs fait le tour des réseaux sociaux et des médias, se suffit à elle-même. C'est l'image d'un pays sûr, politiquement et institutionnellement stable, que le Royaume a tenu à renvoyer à l'occasion de ce rendez-vous mondial du football. Elle en dit long aussi sur le pouvoir du sport, du ballon rond en particulier, pour la promotion du soft power d'un pays, voire renforcer le repositionnement économique et géostratégique des Etats. Le cas le plus souvent cité dans ce sens, et le plus proche de nous, est l'Espagne pour qui l'année 1982 représente un véritable tournant dans son Histoire. Cette même Espagne avec laquelle le Maroc est déterminé à organiser la Coupe du Monde 2030, en trio avec le Portugal. Peu de gens le savent, c'est peu avant ces images des trois hauts responsables marocains, dont les missions n'ont a priori rien à voir avec le sport et encore moins le foot, que s'est décidée cette triple candidature. «Cette soirée du 18 décembre 2022, nous étions, avec des hauts responsables nationaux et internationaux, dans un lieu huppé à Doha. C'est à ce moment-là qu'on nous a informés qu'un accord définitif venait d'être conclu entre le Maroc, l'Espagne et le Portugal pour la présentation d'un dossier de candidature conjointe pour l'organisation de la Coupe du Monde de 2030. Les trois parties se sont également mises d'accord pour que le Maroc soit associé effectivement à la préparation du dossier», confie, bien plus tard, un ancien diplomate marocain. L'annonce n'a pas été faite en son temps. C'est un coup diplomatique qu'il fallait savoir bien exploiter. Le timing et le lieu de cette annonce est, en soi, un cas d'école en termes d'anticipation et de diplomatie proactive. Surtout que la candidature commune a été annoncée par le Souverain en personne, par un message lu par le ministre Chakib Benmoussa, à un moment solennel, au moment où il recevait, à Kigali, le «Prix de l'Excellence» de la Confédération africaine du football.
Coup de maître
Cela à l'instant même où tout le monde étudiait les chances du Maroc, au demeurant très grandes, d'organiser la CAF de 2025. Une organisation que lui disputent, dans les conditions que l'on sait, son voisin, l'Algérie. Un coup d'éclat diplomatique. C'est le moins que l'on puisse dire pour qualifier la gestion de cette annonce. Et Dieu sait combien le Maroc pourra gagner, en image, certes, mais aussi en points de croissance et paliers de développement si, et il y a de fortes chances que cela arrive, le trio ibéro-nord-africain organise le Mondial de 2030. Même plus, il est fort à parier que, à cet horizon, un match de la Coupe du Monde joué à Dakhla serait une chose tout à fait banale. Ce serait la consécration de la diplomatie sportive et du soft power marocain. L'Algérie, soit dit en passant, a, elle aussi, compris les enjeux du sport comme vitrine diplomatique. Le sinistre épisode du petit-fils Mandella à l'ouverture de la dernière édition du CHAN est édifiant.
Bref, hormis dans de rares cas où l'organisation de la Coupe du Monde relève uniquement du soft power, même si pour cela il faut casser la tirelire, le cas du Qatar est patent, la portée de l'événement mondial va au-delà. C'est un Game changer. Comment oublier, en effet, qu'en 2018, le Président américain Donald Trump est allé jusqu'à menacer de représailles tous ceux qui n'auront pas voté pour la candidature tripartite USA-Canada-Mexique. Le principal challenger de cette candidature sous haute tension n'était autre que le Maroc.
Les observateurs de la scène internationale et régionale ont même noté à l'époque un début de froid dans les relations entre le Maroc et l'Arabie saoudite, dont le président de la fédération locale a fait un véritable pressing pour obtenir le vote d'une grande partie des pays arabes et musulmans pour... la candidature nord-américaine. Personne n'a compris comment le Maroc a pu tenir tête aux Etats-Unis au risque de voir cet entêtement se répercuter sur les relations entre les deux pays.
Une question d'image
On apprendra plus tard sous la plume de Jared Kushner, véritable fourmi ouvrière de la relance des relations entre le Maroc et Israël, que c'est ce dernier qui craignait que ce vote «forcé», de juin 2018, allait compromettre un dossier sur lequel il travaillait. Le conseiller du Président Trump craignait surtout une détérioration des relations entre son pays et le Maroc. Il appréhendait déjà l'accueil que lui réserverait le Roi Mohammed VI, courant 2019, à Rabat, après ce coup peu délicat. Mais J. Kushner a été agréablement surpris par «l'accueil chaleureux» qu'il «n'attendait pas», alors qu'il craignait «une réponse froide à la suite du lobbying agressif exercé par [...] Donald Trump pour remporter la candidature pour la Coupe du Monde de football 2026 face à Rabat». La suite, on la connaît. Reconnaissance par les Etats-Unis de la marocanité du Sahara et tout ce qui en est suivi depuis. Preuve d'abord que le football peut changer l'économie d'un pays, voire la géopolitique mondiale. Pourquoi, sinon, un pays comme les Etats-Unis où ce sport est loin d'être populaire, insiste pour organiser, pour la deuxième fois dans son histoire, le Mondial de 2026! Evidemment, il y a l'image. Le Mondial étant de loin une campagne de promotion d'un pays, l'organisateur, à l'échelle mondiale qui s'étend sur plusieurs semaines. Une campagne de com' pour laquelle, on le sait, un pays peut donner cher. Encore une fois, le Qatar en donne l'exemple. Cible d'un bashing organisé en Europe, sur fonds des droits de l'Homme, peu avant le début des compétitions, l'on a appris plus tard que de juteux contrats de gaz ont été conclus en plein Mondial.
Pour le Maroc, le Qatar 2022 aura servi de propulseur pour son soft power. Il y a eu certes l'épopée incroyable de l'équipe nationale, mais aussi tout le volet organisation que les services marocains ont assuré pour le compte du pays hôte. Les hommes d'Abdellatif Hammouchi, de la DGSN, l'ont encore montré une fois de plus au monde entier pas plus tard que lors du match de samedi dernier, ils font désormais montre d'un savoir-faire, osons-le, inégalé en tout cas en Afrique et dans la région dans l'organisation des manifestations sportives de haut niveau. En réalité, et c'était le cas lors du dernier Mondialito, en plus du volet sécuritaire, c'est tout un travail transversal et coordonné dont les autorités publiques ont fait montre. Et évidemment, le public et les aficionados du ballon rond ont joué le jeu. Une belle image de notre pays.


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