La nouvelle a été annoncée, mardi, en grande pompe : le Maroc, l'Espagne et le Portugal présentent une candidature conjointe pour abriter la Coupe du Monde 2030. Une initiative, première du genre, dont les dividendes sont innombrables. Décryptage. Depuis plus d'une semaine, les médias de tous bords spéculaient sur l'éventualité d'une candidature conjointe du Maroc, avec l'Espagne et le Portugal, pour abriter la Coupe du Monde 2030. Mardi après-midi, SM le Roi Mohammed VI a mis fin aux spéculations dans un message, prononcé par le ministre des Sports, Chakib Benmoussa, à l'occasion de la remise du Prix de l'Excellence de la Confédération Africaine de Football (CAF) pour l'année 2022, décerné au Souverain à Kigali, au Rwanda. Rabat, Madrid et Lisbonne, anciens frères-ennemis, s'allient officiellement pour organiser cet événement, convoité par les pays du monde entier. Une première candidature du genre, réunissant un Etat africain et deux Etats européens et qui permet de relier l'Afrique et l'Europe, le Nord et le Sud de la Méditerranée, le continent africain et le monde arabe et l'espace euro-méditerranéen. Dans Son discours, le Souverain a affirmé également que cette initiative, qui illustre la conjugaison des efforts et les potentialités des deux continents, «dispose de tous les atouts pour aboutir», notant qu'elle sera la démonstration d'une alliance de génie, de créativité, d'expérience et de moyens.
Enjeux géopolitiques majeurs Ceci dit, la candidature, dont l'annonce a été déléguée au Maroc - ultime signe de confiance de ses voisins du Nord -, intervient dans un contexte mondial marqué non seulement par la crise économique et les tensions géopolitiques, mais également par une montée des idéologies xénophobes et racistes, surtout en Occident. «Cet acte conjoint vient donc rappeler les valeurs de cohésion inter-Etats, mais aussi interculturelles entre l'Occident et l'Afrique, alors que le communautarisme extrémiste gagne du terrain dans le monde entier», nous indique Tajeddine Houssaini, professeur des relations internationales à l'Université Mohammed V de Rabat, notant que cette initiative permettra également de consolider les relations entre les trois pays sur tous les fronts. «Jusqu'à aujourd'hui, les relations entre le Maroc, l'Espagne et le Portugal, qui contrôlent les deux rives de la Méditerranée, portaient sur plusieurs volets stratégiques, de la coopération militaire, au commerce, en passant par le tourisme, l'Education et la R&D. Mais en ajoutant le sport et particulièrement le football, qui réunit les peuples, le partenariat entre ces pays franchira un nouveau cap», explique notre interlocuteur. Sur le plan politique, Mohamed Badine El Yattioui, professeur de géopolitique à l'Université américaine des Emirats Arabes Unis à Dubaï, estime que cette candidature tripartite balaye d'un revers de main les spéculations sur l'effondrement du partenariat maroco-espagnol au cas où le gouvernement de Perdo Sanchez ne serait pas réélu. «On a une forme de garantie et de partenariat à long-terme entre les deux pays», affirme-t-il. Dans ce même sillage, Tajeddine Houssaini alerte, néanmoins, contre les réactions haineuses de certains pays, dont l'Algérie «qui essayera sans doute d'utiliser l'alliance maroco-européenne pour mettre en doute l'engagement du Maroc envers l'Afrique». Sauf que l'Africanité du Royaume se traduit, selon Tajeddine Houssaini, par les multiples accords signés avec les pays du continent. En effet, depuis 2000, Rabat en a conclu, dans différents domaines de coopération, plus de 1.000, apportant ainsi son expertise et partageant son savoir-faire avec ses pairs africains, conformément aux ambitions du nouveau modèle de coopération Sud-Sud. Des projets qui prennent des formats réels en se concrétisant de manière effective dans les délais prévus. Houssaini souligne également que «le voisinage du Maroc connaît pertinemment le paysage politique du Royaume et ses défis. Rabat aspirait à une Coupe du Monde maghrébine, mais l'agressivité algérienne empêche la concrétisation d'une telle option». D'autant que, selon notre politologue, le Maroc représente à travers cette candidature «tout le Continent, comme en témoignent les messages inclusifs que contient le discours Royal».
Coup de boost à l'emploi et aux infrastructures Dans un tout autre registre, cet acte conjoint s'annonce prometteur sur le plan économique, surtout en termes de création d'emploi. Si les trois pays disposent d'un partenariat de mobilité professionnelle exemplaire, nos experts estiment que l'organisation d'une Coupe du Monde implique l'ouverture de moult chantiers titanesques qui seront ponctués par l'échange des compétences, ouvrant ainsi des opportunités de travail de part et d'autre. Qui dit mégas-projets, dit de grandes enveloppes budgétaires. Et sur ce point, Tajeddine Houssaini, professeur des relations internationales à l'Université Mohammed V de Rabat, est catégorique : «Il faut s'attendre à une ruée d'investisseurs». Le Maroc dispose d'un terrain fertile à l'investissement, surtout avec la nouvelle Charte qui commence, d'ores et déjà, à booster son attractivité, sans oublier sa récente sortie de la fameuse liste grise du GAFI. Il ne faut pas s'étonner de voir également certains projets passer à la vitesse supérieure, notamment celui du tunnel ferroviaire sous-marin reliant le Maroc et l'Espagne. Sur une longueur de 42 kilomètres dont 27,8 sous l'eau, le pipe devrait, pour rappel, voir le jour en 2030, selon le calendrier initial annoncé par les deux parties. Côté tourisme, les perspectives sont également de taille. Déjà, après l'exploit de l'équipe nationale au Qatar, l'image du Maroc a rayonné à l'international, suscitant la curiosité des touristes de tous les continents, qui manifestent leur intérêt de visiter le pays des Lions de l'Atlas. Aujourd'hui, avec cette candidature tripartite annoncée en pompe, les choses prêtent encore plus à l'optimisme. «Tous les pays qui ont organisé une Coupe du Monde auparavant ont vu leur tourisme exploser, non seulement pendant la période de la compétition, mais même avant et après», souligne Houssaini, tout en donnant l'exemple du Qatar qui, tout au long de 2022, a observé le nombre de visiteurs augmenter régulièrement d'un mois à l'autre.
Soft Power marocain : précision et efficacité «Le Soft Power marocain à l'international a toujours été lié à cette volonté de leadership africain», souligne Mohamed Badine El Yattioui, ajoutant que cette stratégie d'influence a reposé, entre autres, sur la diplomatie du sport, en particulier le football. Aujourd'hui, le Royaume cueille les fruits d'un travail de longue haleine. Ça a commencé avec la domiciliation de grands événements sportifs, tels que la Coupe du Monde des Clubs, qui s'est tenue après la prouesse des Lions au Qatar, et aujourd'hui, ça se poursuit avec cette candidature très favorite. Les prouesses du Soft power et de la diplomatie sportive du Maroc doivent être salués à leur juste valeur puisqu'ils inaugurent une nouvelle ère pour le Royaume, qui aspire à devenir un modèle continental et régional sur plusieurs fronts.
S. JAFRI & S. CHAHID 3 questions au Dr Mohamed Badine ElYattioui : "Cette candidature permet de consolider le partenariat stratégique Maroc-Espagne"
Dr Mohamed Badine El Yattioui, professeur de géopolitique à l'Université américaine des Emirats Arabes Unis à Dubaï, a répondu à nos questions concernant les aspects géopolitiques de la candidature commune Maroc-Espagne-Portugal.
Pensez-vous que le rapprochement Maroc-Espagne a permis cette candidature ?
Le rapprochement Maroc-Espagne de ces derniers mois a certainement favorisé cette candidature. Les relations avec le Portugal ont toujours été bonnes. On savait que Portugais et Espagnols souhaitaient une candidature ibérique, mais avoir un troisième pays est un plus, compte tenu des exigences de la FIFA. Cette candidature pour la Coupe du Monde est aussi une manière de consolider pour les prochaines années ce partenariat stratégique. Et d'ailleurs, cela permet aussi de sortir des rumeurs disant qu'une fois que Perdo Sanchez ne sera plus au gouvernement, le partenariat avec le Maroc sera remis en cause. On a une forme de garantie et de partenariat à long-terme entre les deux pays.
Quel est le message derrière le fait d'avoir donné à SM le Roi le privilège d'annoncer cette candidature commune ?
C'est une preuve de respect et d'estime envers le leader d'un pays qui devient de plus en plus important du point de vue régional. Et aussi de montrer que le partenariat euro-méditerranéen, euro-africain et euro-arabe peut se concrétiser, et que l'un des acteurs clés de ce changement du côté africain et arabe ne peut être que Sa Majesté le Roi.
Que va apporter l'organisation de la Coupe du Monde au niveau du leadership africain et du Soft Power à l'international ?
Le Soft Power marocain à l'international a toujours été lié à cette volonté de leadership africain. Et cette stratégie d'influence a reposé, entre autres, sur la diplomatie du sport, en particulier le football. Des efforts considérables, d'un point de vue budgétaire, organisationnel et de la gouvernance, ont été faits. Fouzi Lekjaa qui a reçu une feuille de route de la part de Sa Majesté a très bien rempli sa mission avec les performances réalisées dans diverses compétitions. Au-delà des résultats, il y a aussi cette volonté de démontrer que le Maroc a des infrastructures et des capacités d'accueil qui répondent aux standards internationaux.
Infrastructure : Enfin une liaison fixe Maroc-Espagne ? Cette candidature commune à la Coupe du Monde permettra-t-elle enfin de réaliser la liaison intercontinentale Afrique-Europe via le détroit de Gibraltar ? Cette option paraît pertinente car elle facilitera le déplacement de millions de supporters entre les deux pays. Entre pont et tunnel, l'option du tunnel ferroviaire sous-marin, sur le modèle du tunnel sous la Manche, serait la plus appropriée. Du côté espagnol, le dossier avance.
La Société espagnole d'études pour les communications fixes à travers le détroit de Gibraltar (SEGECSA) a reçu en octobre 2022 une dotation gouvernementale de 750.000 euros permettant de mettre à jour l'avant-projet réalisé il y a trois décennies, en intégrant les avancées techniques accumulées ces dernières années. La dernière version de cet avant-projet envisage un itinéraire de 42 kilomètres entre les terminaux Nord et Sud pour unir les deux continents en un peu plus d'une demi-heure. Le transport de passagers et de marchandises se fera au moyen de trains-navettes pour voitures, autobus et camions. La prévision était d'environ 9,6 millions passagers à l'horizon 2030 et le transit de 7,4 millions de tonnes de marchandises.
Si les contours du projet, du point de vue financier et technique, n'ont toujours pas été fixés, la volonté politique est bien présente. Cette volonté a été réaffirmée lors de la dernière Réunion de Haut Niveau entre les deux gouvernements. «Nous allons accélérer les études du projet de liaison fixe du détroit de Gibraltar qui a été lancé par les deux pays il y a quarante ans. Un projet stratégique pour l'Espagne et le Maroc, mais aussi pour l'Europe et l'Afrique», avait déclaré la ministre espagnole des Transports, de la Mobilité et de l'Agenda urbain Raquel Sánchez, lors de ce Sommet Maroc-Espagne.