La visite du chef du gouvernement espagnol Pedro Sanchez, les 1er et 2 février, a permis de développer une vision commune entre les deux pays, notamment dans le domaine économique. La réunion de haut niveau Maroc-Espagne s'est clôturée ce jeudi avec une déclaration conjointe en 74 points, et qui englobe aussi bien la gouvernance du partenariat bilatéral, le domaine diplomatico-stratégique, l'économie et les liens humains et culturels. Les deux gouvernements ont procédé à la signature de 19 protocoles d'accord allant de la migration aux ressources hydriques, en passant par le tourisme et la gestion des archives.
Il s'agit d'un grand pas pour le rapprochement des deux pays. La veille de la réunion, s'est tenu le forum économique Maroc-Espagne, avec la participation des membres de la CGEM et de la CEOE (Confederación Española de Organizaciones Empresariales), ainsi que des investisseurs espagnols au Maroc. La rencontre a été clôturée par les discours du chef du gouvernement espagnol Pedro Sanchez, et du chef du gouvernement marocain Aziz AKhannouch.
L'Espagne est le premier partenaire commercial du Maroc, et le Maroc concentre plus de 50% des exportations africaines de l'Espagne. Si ces données suffisent à révéler l'intensité et l'imbrication économiques des deux pays, "la véritable ampleur de cette relation est mesurée par une autre valeur, celle des 17.600 entreprises espagnoles qui exportent au Maroc", a assuré dans son discours Pedro Sanchez.
"L'Espagne est aujourd'hui le troisième investisseur au Maroc, ce qui a un impact direct sur l'emploi. Cette réalité est visible dans des secteurs comme le textile, l'agriculture ou l'industrie automobile, où plus de 20.000 emplois directs ont été générés. Dans ce sens, il existe aujourd'hui 674 entreprises espagnoles avec au moins 10% de capital marocain et 529 entreprises marocaines filiales d'entreprises espagnoles", a poursuivi le chef du gouvernement espagnol.
Pedro Sanchez a aussi expliqué que «le Maroc peut jouer un rôle clé pour les entreprises espagnoles en tant que plateforme d'entrée en Afrique subsaharienne», surtout après la signature de l'Accord de libre-échange continental pour l'Afrique. Il a dans ce sens annoncé la signature d'un nouveau protocole de financement de 800 millions d'euros, des ressources qui seront destinées à des projets communs réalisés par des entreprises espagnoles du Maroc.
Domaines de coopération
Aziz Akhannouch a, de son côté, rappelé que "l'Espagne est aujourd'hui le premier partenaire commercial du Maroc, sur les importations comme les exportations. Le Maroc est le 3ème partenaire commercial de l'Espagne en dehors de l'Union Européenne, après la Chine et les Etats-Unis, et 1ère destination des exportations espagnoles en Afrique et dans le monde arabe". "Mieux, cette dynamique est en constante progression. Nos échanges commerciaux ont atteint 17 milliards d'euros en 2021. Sur les 9 premiers mois de 2022, ils étaient en hausse de plus de 21%", a-t-il poursuivi.
Pour aller plus loin dans cette relation, plusieurs secteurs sont à développer. "La reconfiguration des chaînes de valeur mondiales, dont nous sommes actuellement témoins, est une réelle piste de croissance pour nos pays respectifs. D'autant plus que la complémentarité économique et notre proximité nous permettent de construire de vrais écosystèmes industriels intégrés durables et innovants", a expliqué Chakib Laâlaj, président de la CGEM. Il a donné plusieurs domaines en exemple comme l'automobile, l'aéronautique, l'industrie pharmaceutique ou encore le textile.
"Je pense aussi à l'enjeu de la sécurité alimentaire qui peut être au cœur de ce partenariat économique rénové. Nous pouvons unir nos forces pour, d'un côté, rendre notre agriculture plus performante et durable, avec une utilisation de plus en plus technologique de pointe, et d'innovation. Et, d'un autre côté, investir davantage dans des usines de transformation et dans des chaînes logistiques compétitives", a souligné le président de l'association patronale marocaine.
Changement de mentalité
Cette alliance entre les deux pays ne devrait pas se limiter à attirer les investisseurs espagnols au Maroc, mais devrait créer "de nouvelles joint-ventures et d'appareils productifs croisés", a défendu le ministre de l'Industrie Ryad Mezzour. «Il appartient aux entreprises des deux pays de renforcer l'intégration industrielle bilatérale et de faire émerger les projets de partenariat, de co-investissement et de joint-ventures les plus fructueux pour l'intérêt mutuel», a déclaré le ministre.
Mais cet espoir ne réussira pas sans un changement de mentalité chez les entrepreneurs des deux royaumes. "A côté de tout ce qu'on a bâti, nous avons besoin de concrétiser une nouvelle image, une image de partenariat d'égal à égal entre entreprises marocaines et espagnoles. On ne sera plus concurrents sur les marchés internationaux, on sera autant que possible partenaires. Et cela, c'est un vrai changement de paradigme", a expliqué Saâdia Slaoui Bennani, PDG du cabinet de consulting Valyans.
Soufiane CHAHID
L'info...Graphie Investissement espagnol : Maroc, porte d'entrée vers l'Afrique C'est l'un des principaux sujets abordés lors du forum économique Maroc-Espagne. Le Maroc capte près de 30% des investissements espagnols en Afrique, et au vu de sa proximité et de son ouverture, il pourrait constituer dans l'avenir une plateforme industrielle pour les entreprises espagnoles désirant pénétrer le marché africain. En 2021, le gouvernement Sanchez a lancé une nouvelle stratégie pour l'Afrique, visant à renforcer les liens économiques avec un ensemble de nations africaines d'ici 2023.
L'Afrique deviendra ainsi une priorité diplomatique pour l'Espagne. Les axes économiques de la stratégie comprennent un plan du gouvernement visant à renforcer les mécanismes de financement pour soutenir les entreprises espagnoles cherchant à se développer en Afrique.
Selon cette nouvelle stratégie, "le Maroc et le Sénégal sont les pays choisis pour déployer les mécanismes de coordination renforcée de l'action extérieure de l'Espagne et pour développer des expériences qui pourront ensuite être reproduites dans d'autres pays", peut-on lire dans le document de référence publié par le ministère des Affaires étrangères espagnol.
"Nous sommes en train de développer un programme ambitieux d'investissement à destination du Maroc", a déclaré durant le forum économique Maroc-Espagne, Reyes Maroto, ministre de l'Industrie, du Commerce et du Tourisme de l'Espagne. Ce programme inclut une enveloppe de 800 millions d'euros pour encourager les entreprises espagnoles à investir au Maroc.
Energie Vers : un partenariat plus vert Plusieurs entreprises espagnoles ont accompagné la transition énergétique du Maroc, parmi lesquelles le groupe Sener qui a participé au développement du complexe Noor Ouarzazate (II et III). Les deux pays veulent aller plus loin dans cette coopération, notamment dans le domaine de l'hydrogène vert. Le Maroc veut se positionner dans la production et l'exportation d'hydrogène vert, et l'Espagne est la destination privilégiée au vu de la proximité géographique et de l'existence des infrastructures (Gazoduc Maroc-Espagne).
En marge de la réunion de haut niveau, les ministres de l'Energie des deux pays ont tenu une réunion. Leila Benali a fait part de la volonté des deux gouvernements de donner à un nouvel élan au partenariat stratégique qui lie les deux pays dans le domaine énergétique, tout en consolidant davantage leur coopération en matière des énergies renouvelables, notamment l'hydrogène vert, l'électricité, le gaz, les mines, l'environnement et le développement durable.
3 questions au Dr Mohamed Badine El Yattioui "Une zone économique commune à Sebta et Mellilia pourrait être perçue comme un piège pour le Maroc"
Dr Mohamed Badine El Yattioui, professeur de géopolitique à l'Université américaine des Emirats arabes unis à Dubaï, a répondu à nos questions concernant le rapprochement Maroc-Espagne.
* La réunion de haut niveau a abouti à la signature de 19 conventions, notamment dans les domaines de l'énergie, du commerce et de l'investissement. Fallait-il s'attendre à plus de la part des Espagnols ?
* On est dans un nouveau paradigme dans les relations entre les deux pays, qui découle d'un changement dans la politique étrangère du Maroc qui veut être plus ferme sur les priorités, dont la marocanité du Sahara. A travers la signature de ces 19 conventions, il y a la volonté de créer un nouvel écosystème maroco-espagnol. Tout cela est un signe positif entre deux pays qui ont beaucoup de choses à partager, et des dossiers à faire avancer. Le secteur privé, à travers la rencontre entre le patronat des deux pays, a un rôle à jouer. C'est une première étape, et on espère que ce type de réunions n'attendra pas huit ans, et que régulièrement on aura ce genre de rencontres.
* Le déplacement de Pedro Sanchez a beaucoup été critiqué par l'extrême gauche espagnole. Le gouvernement espagnol risque-t-il une crise politique en s'alliant avec le Maroc ?
* On connaît les positions de Podemos, parti d'extrême gauche qui soutient les séparatistes du Polisario. Il y a un équilibre fragile, sur le plan interne, au sein de cette coalition. Et on constate qu'aucun ministre affilié à Podemos n'a fait le déplacement à Rabat. Depuis le premier déplacement de Perdo Sanchez pour rencontrer Mohammed VI, les tensions existent au sein du gouvernement à chaque fois qu'on parle du Maroc. On l'a aussi vu lors du vote de la dernière Résolution européenne contre le Maroc. Les élus du PSOE ont voté contre la Résolution, alors que ceux de Pedomos ont soutenu. On va peut-être se diriger vers une crise politique en Espagne, même si je pense que l'intérêt de Podemos est de rester dans le gouvernement, parce qu'il détient des postes importants afin de faire avancer leur agenda. La droite espagnole, avec le PP, a aussi critiqué ce déplacement au Maroc, car elle veut se positionner comme alternative en cas d'élections anticipées.
* La question de Sebta et Mellilia n'a pas été abordée par les responsables des deux pays. Pourtant, certains médias espagnols ont dit que le Maroc a proposé de faire des deux enclaves une "zone économique commune". Croyez-vous que ce soit une bonne idée ?
* Sebta et Mellilia sont des questions importantes pour le Maroc et pour l'Espagne. On voit depuis des décennies que les positions des deux royaumes n'ont pas changé. Cette question de "zone économique commune" peut avoir des avantages pour les deux pays. Mais la question est que si on établit une zone économique commune sans demander à l'Espagne de céder sur la souveraineté, on reconnaît de facto la souveraineté espagnole, ce que le Maroc a toujours refusé de faire. Et en même temps, on se refuse à les revendiquer. Cette zone économique commune pourrait être perçue comme un piège pour le Maroc.