Ramadan nous rend encore plus humains, plus sensibles à la misère humaine et aux inégalités économiques et sociales. Côté humanisme, que du bénéf ! Côté spirituel, nous assurons le plein de foi pour l'année. Que du bonheur ! Aadel Essaadani Acteur culturel, il a été à l'origine de nombreux événements et festivals. Mais alors quoi ? Notre humanité double-t-elle d'intensité quand arrive Ramadan ou bien serions-nous plus insensibles le reste de l'année, ou les deux à la fois ? Nous n'arrivons tellement pas à tenir, quoi que ce soit, dans la durée, y compris la foi, qu'il nous faut des piqûres de rappel de temps en temps. A croire que notre croyance est à ce point instable. Et que notre culture de l'éphémère tous azimuts finit par reprendre le dessus à chaque fois. «Il n'y a que Dieu qui sait ce qui adviendra»... Thématiques en congé Il n'y a pas que les questions de spiritualité qui sont concernées. Ramadan fait office de piqûre de rappel, aussi, pour d'autres domaines de lutte . Les militant(e)s des droits humains travaillent toute l'année à défendre quelques causes. À essayer de faire le plaidoyer et d'installer le débat autour de quelques questions cruciales pour la société marocaine : égalité des genres, héritage, polygamie, sexualité hors mariage, liberté de conscience... Pendant le mois sacré, toutes ces thématiques doivent prendre congé. Elles n'ont pas de place dans les longues discussions familiales ou dans les cafés. Le côté conservateur ressort même chez les plus alcooliques d'entre nous. Cela commence par les fameux 40 jours nécessaires pour «nettoyer» le sang de toute trace d'alcool rédhibitoire à la pureté ramadanesque. Quitte à y revenir aux premières heures de l'Aïd, déjà. Nous ne sommes pas à une contradiction près. Contrôle social accru Des thèmes sont tus pendant ce mois sacré car Ramadan arrive, dès le premier jour, avec un air nouveau. Un air parfois malsain, car plus permissif à un contrôle social global. Qui mange, qui ne mange pas ? Qui le fait, qui ne le fait pas ? Qui donne les signes de le faire ? Qui n'a pas l'air de le faire ? Qui n'a pas l'air fatigué alors qu'il le devrait ? Qui pue du bec ? Qui sent la cigarette?... Tant de questionnements dans les yeux de la famille, des voisins, des chauffeurs de taxis, de l'épicier du coin... Rajoutons à cela notre propre paranoïa. Que l'on soit «fautif» ou pas, nous nous surveillons quand nous allons chercher quelque chose de pas habituelle à des heures pas habituelles. Acheter une baguette de pain à 11 heures du matin peut être un motif suffisant pour attiser les soupçons ! Compteurs à zéro Pour les militants, Ramadan met les compteurs à zéro. Le logiciel change. L'universel laisse toute la place au local. Les libertés fondamentales sont remplacées par la «liberté» de se surveiller collectivement. Nous avons un mois qu'on doit laisser passer sans pouvoir entretenir les impacts positifs de batailles complètement ou partiellement gagnées pendant l'année. Ramadan vient nous rappeler que nous sommes d'abord musulmans et que même les lois doivent avoir leurs référentiels islamiques. Et que nous n'avons pas le droit de heurter la sensibilité d'un autre musulman en mangeant devant lui. Le contrôle social remplace, en toute «légitimité religieuse», le libre arbitre. La défense des droits et libertés au Maroc est obligatoirement cyclique. On peut militer pour des libertés fondamentales pendant 11 mois. Ramadan vient une fois par an pour faire une coupure et remplir les gens de foi, de conservatisme, de moralisme et de contrôle social. Alors que le mois sacré pourrait être plus utile à rappeler «que Dieu tient en Sa miséricorde celui qui accomplit une action et la perfectionne». C'est aussi un autre aspect, plus positif, de notre culture. La Culture est la solution.