Où est passé le tant espéré élan provoqué par l'exploit de l'équipe marocaine de football ? À croire que notre nature (ou culture) nous rattrape dès que nous baissons la garde ! Alors, comment faire pour que «Niya» devienne notre leitmotiv commun pour avancer ensemble ? Aadel Essaadani Acteur culturel, il a été à l'origine de nombreux événements et festivals. La dernière Coupe du monde de foot a remis au goût du jour un mot : «Niya». Un mot très ancien, popularisé à nouveau par le sélectionneur de l'équipe marocaine, Walid Regragui. Il lui permettait, en répondant aux questions des journalistes, de résumer le mode opératoire de l'exploit de l'équipe marocaine en un seul mot, justement. Dir Niya et siiiiiir Niya, comme d'autres mots arabes, a plus qu'une signification, selon les contextes. Ici, Regragui l'employait pour dire que ses joueurs et lui avaient fait ce qu'ils devaient faire. Qu'ils avaient préparé sérieusement cette Coupe du monde. Qu'ils avaient la conscience tranquille. Qu'ils avaient mis du cœur à l'ouvrage et qu'ils laissaient Dieu, l'excellence, le hasard ou la chance accomplir le reste. Enfin, qu'ils se soumettaient à la volonté divine tout en espérant l'orienter par le travail. La Niya était aussi le mot d'ordre du coach envers ses joueurs : les gars, si vous travaillez sérieusement, rigoureusement, vous pouvez aller à la bataille, l'esprit tranquille, parce que vous auriez fait ce que vous deviez faire. À la recherche de l'élan disparu Mais alors, pourquoi l'élan s'est-il aussitôt estompé ? Avons-nous une nature ou une culture tellement ancrée qu'une Coupe du monde ne serait pas un événement assez puissant pour la changer ? Pourquoi cet état d'esprit qui nous a animés, tous, pendant la Coupe du monde, a disparu dès la fin de celle-ci ? Nous aurions tellement rêvé que la fierté d'être le premier pays africain et arabe demi-finaliste devienne un moteur pour tout le reste. Et que la Niya pouvait devenir un leitmotiv pour aller de l'avant dans tous les autres domaines. La réponse est d'une triste évidence : nous sommes une société élastique. Car quel que soit le mouvement temporaire qu'il réalise, l'élastique revient à sa posture initiale. Comment évoluer dans ces conditions ? Cette élasticité est provoquée par notre incapacité à capitaliser nos expériences, heureuses ou malheureuses. Un mélange d'amnésie et de résistance au changement. Tout ça sur fond de fainéantise intellectuelle, tellement douillette que tout ce qui pointe en dehors de cette zone de confort paraît dangereux. S'approprier les mots pour agir Tout comme la Niya, nous ne retenons des caractéristiques de l'élastique qu'une partie de la définition. Alors que la Niya peut être un formidable moteur pour le développement, nous ne retenons que ce que nous dicte nos anciennes habitudes, «la bonne intention est meilleure que l'action». Nous nous contentons de l'intention, car l'action nécessite un travail et une rigueur sur la durée. L'élastique a, lui aussi, son côté positif. Il peut être souple, flexible, non cassant... Mais nous ne retenons que sa propension à revenir au niveau zéro à chaque fois. Jusqu'à ce qu'il perde à jamais son élasticité. «Nous vivons les mots quand ils sont justes», disait Jean Giono. Peut-être que tant que nous ne les vivons pas complètement, tout effet d'appropriation est impossible. Et pourtant, c'est cette appropriation qui fait que les mots «passent» à l'action et ne demeurent que des réceptacles creux pour un moment de communication qui se transforme très vite en nostalgie. La culture est la solution.