Que propose notre pays à ses citoyens en matière d'action culturelle ? Quelle offre est faite au Marocain pour se construire et nourrir son cerveau ? Ce qui nous manque vraiment, c'est faire société, la culture y contribue. Aadel Essaadani Acteur culturel, il a été à l'origine de nombreux événements et festivals. Sommes-nous un pays normal? Si oui, pourquoi, malgré tout ce qu'on nous raconte, avons-nous le désagréable sentiment que nous ne vivons pas vraiment dans un pays normal ? Ce serait trop long et rébarbatif d'analyser cela sous plusieurs angles. Essayons donc de décortiquer notre pays point par point, pour mieux le comprendre et mieux nous comprendre. Analysons notre action culturelle Prenons un angle, au hasard d'une chronique, celui de l'action culturelle. Elle peut être révélatrice du mauvais traitement fait à notre égard. Que propose notre pays à ses citoyens en matière d'action culturelle ? Mis à part l'identité par-ci, le folklore par-là, l'histoire millénaire par-ci et les traditions ancestrales par-là, quelle offre est faite au Marocain pour se construire, nourrir son cerveau, se divertir, créer et maintenir le lien avec les autres...? Pour ne pas aller jusqu'à dire débattre, s'exprimer et régler pacifiquement nos contradictions. Ne rentrons même pas dans l'appréciation de la qualité, parlons de quantité. Les gouvernements des pays «normaux» font en sorte d'avoir une action culturelle, des programmations artistiques et des festivals tout au long de l'année. Permettant ainsi à tous les publics d'avoir la possibilité d'aller voir des spectacles de théâtre, de danse, de cirque... ou des concerts de musique en été comme en hiver, en automne ou au printemps. Chez nous, nous avons une excroissance de festivals de mai à septembre, et puis presque plus rien d'octobre à avril. Non-fonctionnement de nos infrastructures La réponse la plus simple réside dans le fonctionnement, ou le non-fonctionnement, de nos infrastructures culturelles. Je ne connais aucune maison de la culture, maison de jeunes ou centre culturel municipal marocain qui lance, en septembre ou octobre, son programme annuel pour la saison jusqu'à juin. Et pour cause, cela demande un travail de programmation pendant toute l'année d'avant. Ça demande également, entre autres, une vision, un budget annuel et des professionnels de la culture. Pour résumer, ça demande une véritable politique culturelle. Nos lieux «fonctionnent» encore à la demande de ceux qui veulent organiser quelque chose quelque part. Il ne peut y avoir de cohérence de programmation ou de direction artistique dans ces conditions. Et encore moins une prise en considération des différents publics dans la programmation d'un lieu. Des «normalités» qu'il faudrait organiser Ça ne fait pas de nous un pays «anormal» pour autant. D'abord, nous manquons de définition pour la normalité d'un pays, ensuite, nous avons d'autres qualités et beaucoup de potentiel. Mais nous continuons tout de même et en secret à rêver de devenir un pays normal. Un pays dans lequel tout citoyen pourrait, en plus de vivre en paix, se nourrir le cerveau ou se divertir, intelligemment ou pas. Que des «normalités» qu'il faudrait organiser et qui ne le sont pas vraiment. Trois hypothèses de réponse : peut-être que ces normalités ne sont pas organisées parce qu'on n'y pense pas, ou bien parce qu'on ne considère pas qu'elles sont importantes ou alors les directeurs de ces lieux n'ont aucun égard envers les publics qu'ils devraient servir. Ce qu'ils oublient tout simplement, c'est que le travail qu'ils devraient faire n'a pas que l'action culturelle comme finalité, mais d'abord celui de faire société. «Il s'agit donc de faire une société, après quoi nous ferons peut-être du bon théâtre», disait Jean Vilar. La Culture est la solution.