Un premier workshop a été organisé les 1er et 2 juillet pour réfléchir à la ligne artistique du futur Grand théà¢tre de Casablanca. Cet espace combinerait la diffusion de spectacles internationaux et la promotion des artistes locaux. Casablanca, 21 juin 2016. L'été est là, le tramway arrive, exhibant les couleurs du soleil. A la station Place Mohammed V, il déverse une foule bigarrée, venue en toute hâte découvrir le Grand théâtre qui ouvre ses portes ce mardi. Pour la fête de la musique, CasArts a vu grand : clowns, échassiers, équilibristes et marionnettes géantes naviguent le long de l'esplanade, l'ancienne «Place des pigeons», désormais entièrement piétonne. Quelques acrobaties plus tard, la fanfare burlesque s'immobilise devant un rutilant objet architectural. Sur près de 15 000 m2 carrés, le théâtre flambant neuf déploie sa grande porte et crache rien moins qu'une immense scène. C'est ici que commence dans une poignée de minutes le premier d'une longue cascade de concerts ponctuant la saison chaude. Un agréable contenant, mais surtout, un solide contenu Métamorphosé, le quartier historique de la ville palpite, plein des rythmes nouveaux qu'apporte jour et nuit cet édifice aux allures futuristes, cohabitant harmonieusement avec les bâtisses aînées. «Pour revenir à 2011, je tiens à rappeler qu'aujourd'hui les gens viennent surtout s'occuper de leur paperasse dans ce quartier. Dans cinq ans, ils viendront aussi s'y cultiver, s'y distraire, s'y changer les idées. Ce lieu essentiellement administratif, avec sa Poste, sa Wilaya, son Palais de justice ou sa Banque centrale va se doter d'une toute nouvelle dimension», se réjouit l'architecte Rachid Andaloussi, qui va signer le théâtre CasArts avec son confrère français Christian de Portzamparc. Cette dimension artistique, les créateurs de CasArts ainsi que des acteurs culturels y réfléchissent dès à présent. Car il n'importe pas seulement d'avoir un agréable «contenant», un beau monument au centre-ville de Casablanca. Il faut surtout se préoccuper du «contenu», penser le Grand théâtre comme «un moyen et non pas comme un aboutissement», martèle le militant culturel Adel Essaadani. «Ce qui m'intéresse, ce n'est pas tant l'architecture du lieu que sa fonctionnalité. Les Casablancais seront sans doute très contents de voir éclore un bel espace dans leur environnement urbain, mais ils seront encore plus transportés à l'idée d'y découvrir et d'y faire des choses intéressantes». Début juillet, un premier workshop a justement amorcé une réflexion sur la façon d'impliquer publics, artistes et opérateurs culturels dans l'élaboration d'une ligne artistique pour ce projet. «L'idée étant de faire cogiter ensemble ces différents acteurs et de les amener à s'approprier le théâtre», explique Myriam Hamamsi, la directrice du projet CasArts, au sein de la société Casablanca Aménagement, maître d'ouvrage délégué. «Nous avons commencé par faire visiter le centre-ville aux participants, pour situer le théâtre dans son contexte, détaille l'architecte Aïcha El Beloui, membre de l'association Racines qui a organisé le workshop. Ensuite, nous leur avons proposé des ateliers thématiques autour du théâtre, de la musique et de la danse, pour recueillir leurs attentes concernant chacune de ces disciplines». Aadel Essaadani rêve d'une programmation artistique qui allie, dans un parfait équilibre, spectacles «importés» et créations locales. «CasArts arrive à point nommé pour ébaucher une véritable politique culturelle pour la ville, se félicite le co-directeur de l'Institut des métiers du spectacle. Ce théâtre doit pouvoir aussi bien diffuser des productions internationales que promouvoir nos artistes et les encourager à exprimer la plénitude de leur talent». Et de tonner contre cette fâcheuse manie qu'ont, par exemple, nos festivals de surtout faire reluire les artistes étrangers. Pour lui, 80% de la programmation actuelle résulte d'ailleurs d'une absence d'aide à la création marocaine. CasArts, une locomotive pour les centres culturels «Mais pour le cas du théâtre de Casablanca, nous sommes contents parce que les architectes ont compris ce besoin et réadaptent leurs plans initiaux pour le combler». Concrètement, cette «médina culturelle» comprendrait une immense salle de spectacle, mais aussi une salle de théâtre modulable, aux dimensions et à la capacité plus modestes, pour abriter de jeunes créations. Des espaces de répétition et de formation seraient par ailleurs ouverts aux artistes, qui pourraient alors peaufiner leurs œuvres et partager leur savoir avec le public et les étudiants en arts du spectacle. «Si les choses se font dans les règles de l'art, une équipe de direction artistique serait mise sur pied dès 2013, espère Aadel Essaadani. Ces professionnels des métiers du spectacle pourraient alors réfléchir à un travail assidu avec les écoles, les associations de quartier, pour sensibiliser le jeune public aux arts et à la culture. On enclencherait aussi des partenariats, pourquoi pas avec les neuf centres culturels environnants ? Pourquoi pas avec les anciens Abattoirs ?», fantasme celui qui s'ingénie à transformer ce lieu désaffecté de Hay Mohammadi en fabrique culturelle. Le militant est exaspéré par ces «lieux de culture» frappés de léthargie depuis des années : «Aujourd'hui, le travail des directeurs de théâtre se résume à recevoir des demandes disparates et à les fourrer dans la "programmation artistique". Cela peut être une rencontre politique comme un spectacle scolaire. On saute du coq à l'âne, sans aucune cohérence, sans le commencement d'une idée de ligne directrice. L'idée, maintenant, c'est de lancer des appels à projets, que des associations y répondent et qu'on en sélectionne quelques-unes. Elles devront gérer les centres culturels, mais pas n'importe comment. Il faudra s'acquitter de tâches bien définies, produire deux ou trois pièces théâtrales par an, ou, par exemple, accueillir et former les publics scolaires». Une idée que partage amplement la directrice du projet CasArts : «Je suis tout à fait pour ce principe. On délègue bien la gestion de l'eau, pourquoi ne ferions-nous pas de même pour le service public culturel ?, hasarde Myriam Hamamsi. Que les pouvoirs publics régulent, investissent et que les passionnés, les experts gèrent avec un cahier des charges précis, pendant des périodes renouvelables, ce serait l'idéal». Le Grand théâtre de Casablanca serait ainsi une sorte de locomotive, fournissant l'énergie et travaillant de concert avec un réseau de centres culturels qui seraient administrés par des associations et non plus par des fonctionnaires. «Au Maroc, nous sommes dans l'enfance de l'art, poétise M. Essaadani. Ce que nous voulons, c'est l'émergence de véritables lieux de culture, dirigés par des gens passionnés, compétents et conscients de leur mission envers le public».