Un point commun entre histoire, idéologie, religion, politique, culture et économie pourrait se résumer en un seul mot : influence. Chez nous, elle pourrait finir par fabriquer des monstres. Aadel Essaadani Acteur culturel, il a été à l'origine de nombreux événements et festivals. L'influence prend différents synonymes selon le domaine où elle s'exerce et selon son niveau d'agressivité. En religion, elle est prédication, conseil ou prosélytisme. En politique, elle est idéologie ou endoctrinement ; en économie, marketing ou publicité; en culture, transmission ou rayonnement. Elle peut être aussi, de manière transversale, autorité, emprise, entraînement, hégémonie, mainmise, pouvoir ou prépondérance. Mais ce qu'elle ne peut pas être, c'est indépendance, liberté, émancipation ou esprit critique. Une expression, plus sophistiquée, a même été créée pour désigner les procédés et les moyens d'exercer cette influence : Soft power. La rendant ainsi une science en soi.
Un nouveau métier, rendre plus bête ! Or, ce mot «influence» est devenu récemment très à la mode. Il s'est même mué en métier, voire en rêve pour beaucoup de jeunes et de moins jeunes. Les réseaux sociaux permettent, à présent, de monnayer cette influence. Et pour les chanceux, avec beaucoup d'argent. Que nous dit alors la fulgurante prolifération de ces influenceuses et influenceurs dans notre pays ? Elle nous dit que nous devrions nous inquiéter de ne pas nous inquiéter! Que, déjà, le niveau moyen de notre intelligence était très moyen, là il plonge dans les abysses de l'esprit. Fellag disait: «Quand un peuple coule, quand il arrive au fond, il remonte. Nous, quand on arrive au fond, on creuse !» Et ces influenceurs nous aident à creuser la tombe de notre intelligence collective, ou ce qu'il en reste. Nous devrions nous inquiéter, car ce phénomène nous renseigne sur notre trop facile «capacité» à devenir influençables. Ou bien, même si nous avons l'intime conviction que nous ne le sommes pas aussi facilement que cela, nous devrions nous inquiéter de cette «habileté» à perdre beaucoup de temps dans les insignifiances. Ministère d'inintelligence Rien de nouveau sous notre beau soleil, cependant. Les influenceurs ont toujours existé. L'influence de Marx, de Smith, d'Einstein, de Taha Houssein, ou de chez nous d'Abdallah Laroui ou de Mohamed Abed El Jabri est toujours là. Sauf qu'avant on les appelait Intellectuels. Peut-être que le nouveau «concept» d'influenceurs serait un néologisme pour désigner ceux qui rêveraient exercer cette influence sur le plus grand nombre, par la bêtise. Une activité qui attaquerait la partie vacante de notre cerveau, la plus vulnérable. Et peut-être que cette vacuité prend de plus en plus de place. Aiguillonner, conditionner, conduire… Et peut-être, sans tomber dans un complotisme béat, que cela arrangerait ceux qui voudraient aiguillonner, conditionner, conduire, déteindre, endoctriner, entraîner, gouverner (facilement), incliner, infléchir, influer, manier, mener, prédisposer, peser, suggestionner, etc. Et certainement que c'est le rôle de l'état et du ministère de la Culture que de rendre les Marocains moins influençables. Car à trop vouloir gouverner facilement des gens dociles, on les expose, et nous avec, au risque de devenir influençables à toutes autres doctrines, plus dangereuses. Ou, du moins, à les rendre moins productifs et plus perméables, avec conviction, à toutes formes de radicalisme. La culture est la solution.