Une nouvelle génération de réalisateurs a pris le relais, elle tente de donner un nouveau souffle à la production audiovisuelle amazighe. Plan large sur un cinéma qui gagne à être connu. Il y a une trentaine d'années, le monde de l'audiovisuel a vu naître le cinéma amazighophone au Maroc. Des débuts timides et des films réalisés avec les moyens du bord. «Tamghart wurgh» (La femme d'or, 1993) de Lahoucine Bizguaren, «Tigigilt» (L'orpheline) de Mohamed Mernich, «Boutfounast et les 40 voleurs», (le propriétaire de la vache et les 40 voleurs) de Mohamed Salout..., sont autant de films connus des amateurs du cinéma amazigh. Le succès des premières productions a fait des émules. Selon les acteurs du milieu, une vingtaine de sociétés de production ont signé plus de 150 films de 1992 à 2008. La raison du succès de ces premiers films ? L'authenticité de ce cinéma, qui relate notamment la vie rurale et sa simplicité, la nature et le vécu local, expliquent plusieurs experts en la matière que nous avons consultés. Un autre facteur explique l'engouement du public pour ces productions : des personnages attachants, auxquels le public peut s'identifier: Lahoucine Ouberka, Ibba Mamas, de son vrai nom Amina Elhilali, ou encore Fatima Joutan dans ses rôles dans «Tadgualte» (La belle-mère) et dans «Ajj angh a Tafqqirt» (Laissez-nous maman), sont quelques-uns des acteurs qui ont marqué les débuts de cette créativité audiovisuelle amazighe et des figures incontournables pour les amateurs de ce cinéma. Film industry, la SNRT s'y met Et enfin, pour rendre à César ce qui est à César, force est de constater que les efforts et la persévérance de ceux qui y ont cru et qui continuent à y croire en tant que producteurs et réalisateurs ont très largement contribué au développement de ce cinéma. L'évolution de la filmographie amazighe a aussi été marquée au milieu des années 2000 par le projet Film Industry de la SNRT. Rappelons que ce projet, dont le tournage d'une partie des films avait eu lieu dans la région d'Agadir à partir de février 2005, a été initié par un triptyque formé par Ali'n production, la Société nationale de radio-télévision et le ministère de la Communication. La démarche avait généré pas moins de trente films dont deux longs-métrages: «Tizza Wwoul» de Hicham Ayouch, qui a participé à plusieurs festivals internationaux à l'étranger, et «Taghssa» (Le squelette) de Yassine Fennane, grand prix du Festival international du film amazigh dans la ville algérienne de Sétif en 2008. Les festivals nationaux ont aussi contribué à la dynamique de la création cinématographique amazighe. Le premier festival du film amazigh fut organisé en 2006 à Casablanca par l'Association marocaine pour la recherche et l'échange culturel. Le festival Issni N'ourgh (couronne d'or en amazigh) du film amazigh a vu le jour pour sa part en 2007, grâce à un trio d'organisateurs composé de Rachid Moutchou, Rachid Bouksim et Latifa Mzik. Autant d'événements devenus au fil des années des rendez-vous incontournables qui stimulent la créativité des réalisateurs et artistes du cinéma amazigh. Nouvelle génération de réalisateurs Quel bilan aujourd'hui ? Plutôt mitigé, si l'on se fie au nombre de longs-métrages, considérés comme le format le plus «noble» dans le cinéma : selon les acteurs du domaine, ils seraient au nombre d'une vingtaine. C'est peu. En revanche, le volume de de films vidéo produits culmine à près de 400 unités, fabriqués pour la plupart dans la région d'Agadir, tandis qu'on recense plus de 70 téléfilms. Malgré de nombreux défis, le cinéma amazigh tente ainsi de persévérer avec une nouvelle génération de réalisateurs qui revisite la culture et le patrimoine marocains et qui se distingue par sa touche artistique. "Adios Carmen", du réalisateur Mohamed Amin Benamraoui, produit par Mohamed Bouzzagou, illustre bien ce nouveau souffle créatif. Immersion dans la culture locale à travers la langue Que répondre à ceux qui estiment que la langue pourrait être une barrière pour le développement du cinéma amazigh ? Non, assure Rachid Bouksim, directeur artistique du Festival international Issni N'ourgh du film amazigh. L'expert rappelle dans ce contexte l'expérience de la série 1899, un feuilleton télévisé germano-américain en huit épisodes de 50 minutes créé par Jantje Friese et Baran bo Odar, et mis en ligne le 17 novembre 2022 sur Netflix Films. Une des particularités de ce film est l'utilisation de plusieurs langues, un procédé qui permet d'immerger le spectateur dans les cultures locales. Chaque personnage du feuilleton vient d'un endroit différent et a une langue qui lui est propre. «Cela prouve bien que la langue utilisée dans un film n'est pas un frein face à l'adhésion du public», conclut Rachid Bouksim. «La manière avec laquelle est filmée l'histoire au cœur de la production est le facteur le plus important pour la réussite du projet». Décentraliser le fond central du cinéma national In fine, le développement du cinéma amazigh passe par une aide matérielle spéciale, car le nerf de la guerre reste encore une fois l'argent. De l'avis de Rachid Bouksim, le Fond central du cinéma national gagnerait à être décentralisé, de manière à ce que chaque région dispose de ressources dédiées sur lesquelles elle pourrait avoir la main. En attendant, la diversité culturelle du Royaume et les efforts réalisés en faveur de la langue amazighe permettent d'être optimiste quant à l'avenir et l'attention qui sera portée à ce cinéma.