Le texte législatif vital pour ce marché reste, pour l'heure, suspendu. Les pharmaciens d'officine considèrent qu'il est incomplet dans la mesure où il ne met l'accent que sur le volet de la fabrication. Ils appellent à une réglementation du circuit de distribution qui reste assez anarchique. C'est l'impasse pour le projet de loi relative aux compléments alimentaires. La première mouture, élaborée par le ministère de la Santé et de la protection sociale, a été soumise aux pharmaciens d'officine, début novembre, pour examen et proposition d'amendements. Depuis, ce chantier a marqué le pas en raison du départ de Bouchra Meddah, qui occupait le poste de directrice du médicament et de la pharmacie au ministère de la Santé. «A ce jour, nous n'avons pas avancé sur ce sujet, parce qu'il n'y a pas d'interlocuteur au niveau de la direction du médicament et de la pharmacie. Il faut activer d'urgence ce projet, car il est très important de réglementer ce marché des compléments alimentaires», nous déclare Younes Fermach, membre de la Confédération nationale des syndicats des pharmaciens. Ces derniers, en plus des industriels, sont unanimes : la réglementation des compléments alimentaires est plus que jamais nécessaire, en raison de la hausse importante de leur consommation. Cette dernière a connu un boom ces dernières années, en particulier durant la pandémie du Covid-19. La demande a été multipliée par deux, surtout pour la vitamine C et le Zinc, estiment les professionnels. Une demande boostée en période de Covid-19 Outre ces deux produits, ceux favorisant le sommeil et luttant contre le stress et l'anxiété ont été également très prisés durant cette période de pandémie. Les professionnels expliquent cet engouement par trois principales raisons : une prise de conscience de la nécessité de la consommation de ces produits, une meilleure discipline corporelle et le stress de la vie. Parallèlement, et pour répondre à cette demande, le marché a été envahi par des circuits de vente qui échappent à tout contrôle, comme internet et la vente directe, «ce qui présente des risques majeurs pour les consommateurs», déplorent, par ailleurs, les pharmaciens. Et c'est à ce niveau que les professionnels soulignent «l'importante faille» du projet de loi relative aux compléments alimentaires. «Nous avons constaté à la lecture du projet de loi que tout a été fait pour verrouiller la fabrication des compléments alimentaires. L'accent a été mis seulement sur les bonnes pratiques de fabrication et les modalités d'enregistrement des produits aussi bien par les fabricants que par les importateurs». Les professionnels regrettent ainsi l'absence des volets prescription et dispensation du texte de loi. «Les pharmaciens d'officine n'ont malheureusement obtenu que des obli-gations légales, notamment en ce qui concerne la pharmacovigilance, puisqu'ils sont tenus de déclarer tous les effets secondaires et les incidences des compléments alimentaires sur la santé», nous précise Younes Fermach. De son côté, Najia Rguibi, pharmacienne à Casablanca, regrette que «le pharmacien soit tenu de signaler les incidences du produit, sans pour autant en avoir le monopole de commercialisation. Ce qui constitue une contradiction si l'on veut préserver la santé et la sécurité des citoyens». Dans le détail, le projet de texte, dans son article 25, institue un système de nutrivigilance qui doit recueillir et évaluer les informations sur les effets inattendus des compléments alimentaires après leur mise sur le marché. Une disposition, certes, cruciale pour la sécurité des patients, mais qui gagnerait à être accompagnée d'une liste positive de compléments alimentaires commercialisés uniquement en pharmacie, proposent les officines. Car les compléments alimentaires ne sont pas des produits anodins, dans la mesure où ils peuvent avoir des interférences avec d'autres traitements médicamenteux, d'une part, et d'autre part, avoir des risques graves pour la santé en cas d'abus ou d'inadéquation de la consommation. Une vente anarchique sur internet et les grandes surfaces Les officines fustigent un autre phénomène: la profusion de ventes de compléments alimentaires dans des circuits non contrôlés, notamment internet, les magasins spécialisés et les grandes surfaces. «Ces canaux peuvent exister, mais ils doivent être encadrés et contrôlés. C'est ce qui fait défaut au Maroc. Ceci a causé une envolée des prix et une apparition de plusieurs produits dans le circuit non pharmaceutique qui mettent ainsi en danger la sécurité des patients», s'alarme Younes Fermach. Même constat auprès de Najia Rguibi : «La prise non contrôlée de compléments alimentaires peut perturber le métabolisme et entraîner une insuffisance rénale ou hépatique et mettre en danger la vie du patient», met-elle en garde. Partant, les pharmaciens d'officines jugent nécessaire «un monopole des pharmacies», pour une meilleure accessibilité et une sensibilisation des consommateurs aux risques et aux effets secondaires des compléments alimentaires. D'ailleurs, l'intervention de plusieurs opérateurs sur ce marché explique le niveau des prix qui sont conseillés par les fabricants et les importateurs. Ils sont compris entre 70 à 600 dirhams et restent inaccessibles pour une certaine tranche de la population, puisque ces produits ne sont pas remboursés par les caisses de prévoyance sociale. «Même si le prix est régulé par la concurrence, des mesures devraient être prises au niveau de leur tarification pour une meilleure accessibilité», notent les professionnels. Cherté des prix, prolifération de produits non contrôlés, un circuit de distribution parallèle... les professionnels mettent en garde contre un projet de loi incomplet qui gagnerait à être modifié dans les plus brefs délais, en impliquant les officines. Un marché estimé à 800 millions de dirhams Le marché national des compléments alimentaires est estimé à 800 millions de dirhams. Les produits les plus demandés sont les gélules amincissantes, le magnésium, les multivitaminés destinés essentiellement aux sportifs, les anti-chutes de cheveux, les compléments pour améliorer la vue, ainsi que les produits contre l'asthénie sexuelle. Prés d'une trentaine d'importateurs se disputent un marché non réglementé et dont la moitié des volumes de ventes est assurée par les pharmacies. La vente directe, les magasins spécialisés et les grandes surfaces détiennent des parts de marché respectives de 18%, 15% et 6%. Il est à noter que les ventes en pharmacies concernent surtout les produits pour le transit, la digestion et la fatigue. Les produits de minceur sont, quant à eux, vendus dans les grandes surfaces et les enseignes spécialisées.