Entre abstentions et critiques ouvertes, le projet de Loi de finances a surtout été malmené par des partis siégeant au gouvernement. Bon gré mal gré, l'alliance gouvernementale tiendraÂ... tant que le PAM reste neutre. Certains y voient déjà un positionnement pré-électoral. Décidément, le ministre des finances Salaheddine Mezouar et son équipe ne sont pas au bout de leur peine. Adopté mardi 17 novembre par 58 voix sur 115 à la Chambre des représentants, le projet de Loi de finances poursuit son parcours du combattant au niveau de la Chambre des conseillers, à commencer par les travaux en commission, dont le démarrage était prévu lundi 30 novembre. Survenue entre-temps, la trêve de Aïd Al Adha ne semble pas avoir ramené les élus de la deuxième Chambre à de meilleurs sentiments : en début de semaine, les syndicalistes de la FDT, pourtant proches de l'USFP, avaient déjà laissé entendre qu'ils allaient rejeter le texte. Pour sa part, le PAM, qui s'est abstenu de voter le texte, exception faite des budgets de la Cour royale et de la Défense nationale, compte bien revenir à la charge en remettant sur la table les 23 propositions d'amendement qu'on lui avait refusées à la première Chambre et bien d'autres encore, même si son refus de voter a été considéré jusque-là comme la marque d'un soutien implicite au gouvernement. Quant aux partis de l'alliance gouvernementale, dont l'Istiqlal du Premier ministre Abbas El Fassi, ils ne devraient pas être en reste… L'USFP trouve que le texte tourne le dos aux réalités sociales du pays Si faire passer la Loi de finances est, par définition, l'un des exercices les plus difficiles de la vie des gouvernants, le texte actuel aura tout de même été marqué par deux incidents qui montrent plus que jamais l'existence de failles au sein de l'alliance gouvernementale. Ainsi, lundi 17 novembre, favorisé par l'absentéisme, mais aussi par l'abstention de plusieurs élus de l'alliance gouvernementale dont l'USFP, le PJD était parvenu à imposer au gouvernement, avec seulement 36 députés présents, la mise en place d'un Fonds de solidarité familiale (voir article en page 46) aux parlementaires du gouvernement qui avaient voté contre (32 députés). Plus tard, par voie de presse, certaines formations ont critiqué la copie du gouvernement dont elles font pourtant partie. Alors que la Loi de finances venait de passer le cap de la première Chambre, l'USFP, par la voix de Habib El Malki, membre de son bureau politique, avait ainsi exprimé son désaccord sur la méthodologie adoptée, considérant son approche «déconnectée des réalités aussi bien à l'échelle euro-méditerranéenne qu'à l'échelle mondiale», tout en étant «purement politique» et en tournant «le dos aux réalités sociales du pays». «Soutien critique» oblige, cette intervention ne surprend pas vraiment. Toutefois, quelques jours plus tard, l'alliance des économistes istiqlaliens, chapeautée par Adil Douiri, ex-ministre du tourisme et qui a failli décrocher le poste d'argentier du Royaume en 2007, pointait à son tour du doigt les faiblesses de la loi. Certes, toutes les propositions de l'alliance n'ont pas été retenues par les députés de l'Istiqlal à la première Chambre, et à l'heure où nous mettions sous presse, mercredi 2 décembre, l'on ignorait encore combien allaient être reprises par les conseillers du parti à la deuxième Chambre. L'on peut toutefois se demander pourquoi l'alliance gouvernementale n'a pas accordé ses violons avant d'aller au Parlement. Les Istiqlaliens se seraient-ils convertis, à leur tour, au soutien critique alors même que leur secrétaire général dirige le gouvernement ? Au RNI, parti du ministre des finances, ces derniers évènements n'ont pas manqué de faire grincer des dents. «Il ne faut pas oublier que la Loi de finances est un projet du gouvernement. Le ministre des finances est donc son outil, mais le responsable c'est le Premier ministre», déplore cette militante du parti de la colombe.«J'ai l'impression que les gens imaginent que le changement de gouvernement, c'est demain, et se désolidarisent comme par anticipation», poursuit-elle. L'on retrouvera un écho similaire du côté du président du parti, Mustapha Mansouri, qui semble, pour un moment du moins, avoir mis de côté le différend qui l'oppose aux réformateurs menés par Salaheddine Mezouar. «Nous sommes dans un pays libre et démocratique, chaque parti, et même les associations émettent leur avis sur la Loi de finances, dit-il. Il s'agit là d'un moment très fort pour le Parlement et pour le pays, donc tout le monde veut donner son opinion, et les avis divergent. Je pense que, dans la mesure où l'Alliance des économistes se caractérise par un certain attachement à un parti de la majorité, elle aurait pu se montrer un peu moins critique vis-à-vis de cette Loi de finances qui, en réalité, avait été déjà présentée à la majorité. S'il y avait une critique à faire, elle aurait pu être émise durant la présentation de la loi devant la majorité». Faut-il en déduire pour autant que rien ne va plus au sein de la majorité ? Pour Lahcen Daoudi, numéro 3 du PJD, les choses sont claires : ces récentes déconvenues prouvent l'incapacité du ministre des finances à mobiliser aussi bien la majorité qu'au sein de son parti et démontrent selon lui que «la majorité n'a plus assez de souffle pour tenir jusqu'en 2012». Toutefois, la situation est-elle vraiment aussi grave ? Les Istiqlaliens expliquent leur geste Interrogés sur la copie de Salaheddine Mezouar, les Istiqlaliens ne manquent pas d'éloges. «C'est un proejt de Loi de finances audacieux, courageux et bien travaillé. Que l'administration fiscale ait glissé des mesures pour augmenter les recettes fait partie du jeu normal, seulement certaines de ces mesures sont contraires à l'intérêt économique de notre pays. Je ne remets pas en cause la Loi de finances», nuance Adil Douiri. Et d'ajouter : «Nous avons relevé des incohérences avec la politique économique que suit le gouvernement et que souhaite suivre le parti. C'est aux groupes parlementaires de les rectifier, les réduire, d'améliorer les textes, chacun étant dans son rôle». Un autre cadre du parti explique que le timing de la sortie des Istiqlaliens serait lié à un manque de temps : le gouvernement n'ayant eu accès à la loi que la veille de son conseil, il aurait manqué de temps pour examiner en détail le pavé de 400 pages. Fonds de solidarité familiale : à l'origine, un projet de la majorité De là, pas étonnant que les mesures incriminées, qui n'avaient pas été mises en avant dans la note de présentation de la loi, soient passées inaperçues sur le moment. Une fois reprises par les députés de la première Chambre, les propositions d'amendement ont été rejetées. «Les positions que nous avons prises sont celles que nous avions déjà adoptées au niveau de la première Chambre. Quand nous avions proposé ces amendements, nous avions décidé de ne pas prendre l'opinion publique à témoin, considérant qu'ils avaient une chance de passer. Malheureusement, ils n'ont pas été retenus, mais nous avons bon espoir de les faire passer à la Chambre des conseillers», explique ce cadre istiqlalien. «Nous avons eu peur que ces amendements soient considérés ou orientés comme un appui à certaines entreprises, alors que nous visons essentiellement la petite et moyenne entreprise, le logement social, etc. Pour être sûrs que le message politique concernant les amendements passe et qu'il soit bien expliqué, nous avons considéré qu'il était important de prendre à témoin l'opinion publique», insiste-t-il. Pour Adil Douiri, la démarche n'a rien de contradictoire. «Chacun est dans son rôle, dit-il. En France, l'UMP ne participe-t-elle pas au débat lorsqu'une Loi de finances arrive au Parlement ? Est-ce qu'elle ne critique pas jusqu'à un certain point la Loi de finances ? Le gouvernement ne laisse-t-il pas une marge de manœuvre à sa majorité parlementaire pour amender, modifier ? N'écoute-t-il pas de façon objective et bienveillante les propositions de sa majorité parlementaire, pour lui donner un peu de crédit aussi ?». Quant à la question du Fonds de solidarité familiale, des militants de plusieurs partis de la majorité et du PAM soulignent que le PJD ne peut pas prétendre à la paternité du projet dans la mesure où le texte remonte à dix ans et plus, et où les noms de plusieurs partis y sont associés, dont l'UC, le RNI et l'USFP. Il avait d'ailleurs été présenté par Nezha Chekrouni vers la fin des années 90 et avait été mentionné dans les débats sur la Loi de finances à l'époque, se souvient ce militant ittihadi. Ce qui explique sans doute la neutralité de son parti durant la séance plénière. Incluse dans la Moudawana, l'idée du fonds n'avait été reprise par le PJD que l'année dernière. L'ayant proposée au Parlement, il la verra rejetée en commission et en séance plénière en vertu de l'article 51. Revenu à la charge il y a quelques semaines, il s'était, une fois de plus, vu opposer un veto en commission. Motif avancé : les préparatifs indispensables à la mise en place du fonds dont l'étude des besoins n'avaient toujours pas été réalisés. Selon des sources concordantes, le PJD a dérogé à un accord conclu en commission en évoquant le sujet en séance plénière alors que le ministre s'était engagé à mettre en place les conditions nécessaires pour la mise en place du fonds plus tard, en échange du silence des partis cette année. Du côté du parti islamiste, l'on affirme ignorer pourquoi le ministre des finances n'a pas fait usage de l'article 51 lorsque le PJD a présenté la proposition d'amendement en séance plénière. Le ministre des finances et les députés de la majorité ont-ils craint de devoir assumer à eux seuls le rejet, par définition impopulaire, d'un texte qui répond à un besoin social important ? Et si le PAM prenait position ? Une chose est sûre, il apparaît désormais difficile de retirer cet amendement au niveau de la Chambre des conseillers, d'autant plus que si la majorité venait effectivement à prendre une telle décision, le PJD s'y opposerait à nouveau, une fois le texte renvoyé devant la Chambre des représentants. «Ils nous donneraient de quoi travailler, comme ça les gens sauront exactement qui est pour les causes sociales et qui est pour la démagogie», affirme, combatif, Najib Boulif, membre du groupe parlementaire PJD. «Et s'ils gèlent le fonds, nous présenterons un amendement pour le dégeler. Nous les mettrons au pied du mur, et chacun devra assumer sa position», confirme de son côté Lahcen Daoudi, qui est allé jusqu'à s'offrir le luxe d'attaquer le PAM pour ne pas avoir voté en faveur du projet. Les choses n'auront peut-être pas à arriver jusque-là, surtout si de nouveaux amendements venus de la majorité viennent étoffer celui du PJD. «A l'Istiqlal, on ne peut en aucun cas être contre cet amendement qui est passé à la première Chambre. Toutefois, il est nécessaire de l'amender de manière à ce que le texte soit applicable, et que le fonds ne soit pas mort-né», indique Mohamed Ansari, président du groupe parlementaire de l'Istiqlal à la Chambre des conseillers. Au final, ces contradictions ne mettent pas en cause l'alliance gouvernementale. La Loi de finances passera donc le cap de la deuxième Chambre bon gré mal gré, reste que ces derniers évènements ont révélé le manque de solidarité entre les partis au gouvernement. Quel serait le sort de cet équilibre fragile qui maintient le gouvernement en place si le PAM venait à se départir de sa neutralité ?