Sans aucune surprise, la loi organique n°20-16, modifiant et complétant la loi organique n°27-11 relative à la Chambre des Représentants, et qui n'a nullement été préparée en concertation avec la société civile MRE pour les aspects qui les concernent, a été adoptée le mercredi 20 juillet 2016 en séance plénière avec la décomposition suivante : 87 voix pour (les députés de la majorité, à savoir le PJD, le RNI, le MP, le PPS), 15 voix contre (députés de l'Istiqlal) et 31 abstentions (PAM, USFP, UC). La simple reproduction des choix retenus pour novembre 2011 Pour ce qui est des aspects concernant l'application des droits politiques des citoyens marocains à l'étranger par rapport au Maroc, on ne note en prévision du scrutin législatif du 7 octobre 2016, strictement aucun changement par rapport aux dernières élections législatives du 25 novembre 2011, au lendemain de l'adoption de la nouvelle Constitution issue du référendum constitutionnel du 1er juillet 2011. En effet, le ministère de l'Intérieur a réussi à continuer à imposer sa vision concernant la (non) participation et la (non) représentation politique des citoyens MRE. Aussi bien le vote que l'éligibilité ne peuvent se dérouler qu'à l'intérieur du Maroc. Pour ceux qui ne peuvent être présents au Maroc le jour du scrutin, la procédure de la procuration reste toujours en vigueur, alors qu'elle avait montré son échec lors des dernières législatives et qu'elle avait été vivement critiquée, notamment par la société civile MRE et par Abdelilah Benkirane lui-même, en tant que secrétaire général du Parti de la Justice et du Développement (PJD). Rappelons-nous ce qu'il disait dans une interview accordée le 10 novembre 2011 au "Courrier de l'Atlas", alors qu'il était encore dans l'opposition : " Le vote par procuration, c'est une insulte ! Une façon de dire que les MRE étaient bons quand il s'agissait de faire passer le référendum et que maintenant qu'il s'agit de législatives, ils ne servent plus à rien" Et lorsqu'on lui posait la question de savoir s'il pensait que les MRE obtiendraient quelque chose à l'horizon des législatives du 25 novembre 2011, Abdelilah Benkirane répondait alors : " Ils ne vont rien obtenir (...) Je leur dis de continuer à se battre. Il ne faut pas lâcher, c'est leur droit". Benkirane insulte à son tour les citoyens MRE Or, pour les élections législatives du 7 octobre 2016, le secrétaire général du PJD, devenu entre temps chef du gouvernement, a fait volte face en reniant ses engagements et ses promesses électorales. Le gouvernement qu'il dirige depuis près de cinq ans, maintient, concernant les droits politiques des citoyens MRE, la même politique sectaire et antidémocratique qu'il combattait auparavant. La méthode inique de la procuration est confirmée au lieu d'instaurer le vote direct des MRE, en ayant recours à des arguments fallacieux comme l'impossibilité d'organiser des élections pour les citoyens MRE aux États Unis d'Amérique, ou bien en prenant le cas des 800.000 Marocains vivant en Israël !!! Dans cette logique, cela voudrait dire qu'en été 2016, c'est Abdelilah Benkirane lui-même en tant que chef du gouvernement et son propre gouvernement qui insultent cette fois-ci les cinq millions de citoyens marocains à l'étranger, les considèrent comme des sous-citoyens ou des Marocains au rabais, voire même comme des non-Marocains n'ayant aucun droit politique réel par rapport au Maroc. Le même gouvernement Benkirane a repris par ailleurs à son compte l'interprétation antidémocratique de l'article 17 de la Constitution, développée notamment par le président du CCME et d'autres adversaires de la participation politique et de la représentation parlementaire des MRE, consistant à dire que la Constitution rénovée de 2011 ne permet nullement, voire même interdit formellement cette représentation !!! Ce faisant , après le verrouillage de la Constitution pour la présence des MRE à la Chambre des Conseillers, voilà qu'on leur oppose, à travers une interprétation antidémocratique, un niet catégorique au nom même de la Constitution, s'agissant de leur députation à la première Chambre. Voilà pourquoi le gouvernement Benkirane a combattu les propositions de lois parlementaires consistant à instaurer le vote direct des MRE dans les pays d'accueil, par le biais de circonscriptions électorales législatives de l'étranger, comme ceci avait été proposé en 2014 par les députés de l'USFP avec 30 sièges MRE, les députés de l'Istiqlal avec le double des sièges et le groupe parlementaire du PJD avec une vingtaine de députés MRE provenant pour le PJD non seulement des circonscriptions électorales législatives de l'étranger, mais également de la liste nationale. Cependant, aucune de ces deux formules n'ont été acceptées par le gouvernement et sa majorité parlementaire. Cohérent, le Parti de l'Istiqlal est parti jusqu'au bout Mais deux des trois partis précédents sont en cause également pour n'avoir pas maintenu leurs propositions d'amendements jusqu'au bout. En effet, le 12 juillet 2016, au moment de la présentation et du débat général sur le projet de loi organique n° 20 - 16 relatif à la Chambre des Représentants, l'intervention en commission du Premier secrétaire de l'USFP, largement reprise dans le journal "Al Ittihad Al Ichtiraki", n'a nullement soulevé la question de la participation et de la représentation politique des citoyens MRE. Le groupe parlementaire USFP ne se rattrapera que lors du dépôt des amendements, sous la pression, a-t-on appris, de certains de ses militants de l'étranger. Par ailleurs, lors de la discussion le 19 juillet 2016 des amendements au projet de loi organique gouvernemental au sein de la commission de l'Intérieur de la Chambre des Représentants, on constatera que le groupe parlementaire du PJD n'avait pas déposé les amendements correspondant à sa proposition de loi. Seuls les groupes parlementaires de l'USFP, comme déjà mentionné et de l'Istiqlal l'ont fait. Mais après le rejet de ces amendements par vote au sein de la commission, seul le Parti de l'Istiqlal a été cohérent avec lui même, en défendant ses choix et positions jusqu'au bout. Les députés de l'Istiqlal ont tenu en effet à mettre chacun devant ses responsabilités en maintenant leurs amendements, en les défendant par le biais notamment du député Abdelkader Elkihel et en les soumettant au débat et au vote public en séance plénière du mercredi 20 juillet 2016. La séance plénière et ses enseignements Lors de cette séance publique, consacrée notamment au débat et au vote sur le projet de loi organique relatif à la Chambre des Représentants, et dont nous avons pu suivre directement les travaux, trois éléments ont retenu notre attention. En premier lieu, lors de leur intervention en plénière, aucun des représentants des groupes parlementaires suivants n'a soulevé mot sur la nécessité d'appliquer sur le terrain les droits politiques des citoyens MRE par rapport au Maroc : RNI (Noureddine Lazrak), MP, PPS (Rokbane), UC (Lahlou Oumelbanine), USFP (Mohamed Lamlahi), PAM (Milouda Hazib). En second lieu, le ministre de l'Intérieur (Mohamed Hassad) et le ministre délégué auprès du ministre l'Intérieur (Charki Draiss) ne prenaient même pas la peine d'argumenter leur refus des divers amendements renvoyant aux multiples dispositions de la proposition de loi istiqlalienne concernant la députation des MRE. Leur prise de parole, à tour de rôle, consistait simplement à répéter ceci au nom du gouvernement : " Amendement refusé" , " amendement non accepté "... En troisième lieu, enfin, les députés de la majorité (PJD, RNI, MP, PPS) votaient systématiquement contre tous ces amendements du groupe parlementaire istiqlalien. Ceci montre à l'évidence que les positions antérieures du PJD (proposition de loi) et du RNI (mémorandum du 30 avril 2016 au chef du gouvernement) présentés comme favorables à la députation des citoyens, étaient en fait de la pure opération de "com". Un simulacre d'amendement de la majorité Concernant les aspects MRE du projet de loi gouvernemental, il est à noter par ailleurs que les quatre partis de la majorité ont déposé en commission un simulacre d'amendement, pour des raisons essentiellement de "com", consistant à permettre aux MRE d'avoir un pourcentage d'au moins 5% non pas en tant que quota à part pour les MRE, mais 5% dans la liste nationale (des femmes et des jeunes). De plus, ce pourcentage n'était pas contraignant et ne se retrouvait pas nécessairement en début de liste, là où les candidat(e)s ont le plus de chance d'être éligibles. Or, le jour de la discussion et du vote des amendements en commission de l'Intérieur, cet amendement collectif de la majorité parlementaire a été retiré sans aucune explication ... Au total, on constate que le gouvernement Benkirane, dans toutes ses composantes, continue à s'opposer viscéralement à la participation et à la représentation politiques des citoyens MRE sous le prétexte fallacieux de l'impossibilité d'organiser ce type d'élections dans les pays d'accueil, ou bien pour prévenir des "dérapages", voire même pour faire face à la menace terroriste dans le monde !!! En fait, il s'agit ici du triomphe de la démarche sécuritaire qui continue à imposer sa vision. "Attahakoum" et les citoyens MRE En cédant au chant des sirènes sécuritaires, ceux qui ont choisi pour mot d'ordre notamment la lutte contre " Attahakoum", ne contribuent-ils pas fortement de manière plus que manifeste, au renforcement de l'emprise de l'approche sécuritaire sur les droits politiques des citoyens MRE ? N'est-ce pas un encouragement à la perpétuation de cette mainmise, de cette tutelle et de cette emprise sur les citoyens MRE, de ce "Attahakoum " sur les MRE que l'on veut continuer à embrigader, à apprivoiser et à "dompter", en dépit des dispositions avancées de la Constitution rénovée de 2011 et de certains discours les plus solennels, notamment le discours royal du 6 novembre 2005 qui a fait date, en restituant aux Marocains résidant à l'étranger leur citoyenneté pleine et entière !? Pour l'avenir, il conviendrait à notre sens d'extirper du dossier MRE la démarche purement sécuritaire comme ceci a été fait pour le dossier des étrangers au Maroc, avec l'adoption d'une nouvelle politique migratoire bâtie d'abord sur le respect des droits de l'Homme et des conventions internationales en la matière. En améliorant fortement l'image positive du Maroc auprès d'un très grand nombre de pays subsahariens, cette approche humaniste, faut-il le souligner, a contribué favorablement d'une certaine manière à créer un climat propice à la demande récente du Maroc de réintégrer sa place au sein de l'Union Africaine. Les dés sont jetés De notre point de vue, faute d'une volonté politique officielle très forte, il n'y a rien à attendre du débat à la Chambre des Conseillers sur le projet de loi organique relatif à la Chambre des Représentants, déjà adopté par la Chambre des députés. D'ailleurs, au lieu de programmer en cette période un dialogue ouvert sur la participation politique des MRE, la Chambre des Conseillers a préféré tenir les 27 et 28 juillet 2016, en partenariat avec le Conseil de la communauté marocaine à l'étranger (CCME), un colloque international sur " les Marocains du Monde et la régionalisation avancée " au Maroc. Bien entendu, le thème retenu et ses enjeux sont très importants et méritent une large discussion. Cependant, en termes d'opportunité, c'est d'abord la question de la représentation parlementaire des MRE qui prime, compte tenu de l'agenda parlementaire et de l'approche du scrutin législatif du 7 octobre 2016. Mais, à nos yeux, cette programmation en ce moment précis est loin d'être un pur hasard du calendrier. En cette période cruciale où la citoyenneté marocaine des MRE est pratiquement remise en cause par le gouvernement Benkirane, il s'agit de faire "oublier" la thématique qui est institutionnellement à l'ordre du jour, de montrer que cette participation politique des MRE ne se limite pas à leur représentation parlementaire, d'autant plus que le programme du colloque est établi pratiquement par le seul CCME, qui a la haute main sur la liste des intervenants, empêchant de ce fait un véritable débat pluriel, contradictoire et démocratique. Tout comme à la veille de la Fête et du Discours du Trône, cela permet de redorer l'image du CCME, embourbé dans ses dysfonctionnements et défaillances (en particulier la non-remise à Sa Majesté le Roi d'un avis consultatif sur la participation politique des MRE) et de présenter le Conseil comme une institution sérieuse, tissant des relations de partenariat crédible notamment avec le Parlement... La ficelle est trop grosse ! L'issue négative du débat à la Chambre des représentants sur le projet de loi organique la concernant, et la démission d'un très grand nombre de formations politiques face à "Attahakoum " sur les MRE, ne nous mèneront pas à la résignation. En tant que citoyen engagé et avec d'autres bonnes volontés, on continuera notre lutte responsable en faveur notamment des droits politiques légitimes par rapport au Maroc des citoyens marocains de l'étranger. _____________________ *Universitaire à Rabat, chercheur en migration