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Marocains Résidant à l'Etranger : L'urgence d'un sursaut national concernant 5 millions de citoyens (IV)
Publié dans L'opinion le 17 - 06 - 2016

Lors des élections législatives du 25 novembre 2011, tenues de manière anticipée suite à l'adoption de la réforme constitutionnelle de juillet 2011 par un référendum auquel les citoyens MRE, faut-il le rappeler, ont participé, l'article 17 de la Constitution n'a nullement été appliqué comme il se doit. Les raisons techniques et logistiques ont été également avancées, alors que depuis 2009, le mouvement de la société civile MRE "DABA 2012", demandait avec insistance à travers une série de contacts avec les acteurs du champ politique marocain et une puissante campagne de communication, que les mesures nécessaires pour 2012 soient prises à temps ...
VII - Le procédé inique et insultant de la procuration
Après avoir, au moment du dépôt des amendements parlementaires concernant la loi organique de la Chambre des Représentants, défendu le principe du vote MRE dans les consulats, les groupes parlementaires suivants (majorité et opposition) et sur la base des documents parlementaires officiels, ont fait volte-face en décidant du vote MRE par procuration vers les circonscriptions législatives à l'intérieur du Maroc : majorité (Istiqlal, USFP, RNI, MP, PPS) et opposition (PAM, UC). En séance plénière consacrée à l'adoption de la législation électorale portée par le gouvernement Abbas El Fassi, seuls les députés du PJD et les conseillers du groupe syndical FDT, ont présenté et soutenu des amendements permettant la députation des citoyens MRE par le biais de la liste nationale (PJD) ou bien de circonscriptions à l'étranger (FDT).
Peu de jours avant le déroulement des législatives, Abdelilah Benkirane, secrétaire général du PJD et alors qu'il était encore dans l'opposition, revenait dans une déclaration faite le 10 novembre 2011 au "Courrier de l'Atlas" sur le vote par procuration imposé aux MRE durant les législatives du 25 novembre 2011 : "Le vote par procuration est une insulte. Une façon de dire que les MRE étaient bons quand il s'agissait de faire passer le référendum et que maintenant qu'il s'agit de législatives, ils ne servent plus à rien".
Paroles dont devraient se souvenir maintenant l'actuel chef du gouvernement, ainsi que le ministre chargé des MRE et des affaires de la migration, suite à l'intervention récente de celui-ci à l'Université Cadi Ayyad à Marrakech, qui a sanctifié la procuration, en annonçant qu'elle allait être à nouveau appliquée lors des législatives du 7 octobre 2016, parce qu'à l'échelle internationale, ce procédé qui a été utilisé par bon nombre de pays d'émigration est, dit-on, le meilleur. Par la même occasion et telle que ceci a été rapporté par la presse, le ministre incitait les jeunes participants MRE à donner leur procuration aux membres de leurs familles au Maroc pour voter à leur place !!!
VIII - L'essai de rattrapage partisan
de 2014
Heureusement qu'en 2014, en prévision des législatives 2016 et devant l'inaction du gouvernement Benkirane, trois groupes parlementaires de députés (USFP, Istiqlal, puis PJD), ont présenté à la Chambre des Représentants des amendements séparés à la loi organique relative à la Chambre des Représentants, tendant à corriger les erreurs et injustices flagrantes du passé en permettant cette fois-ci la députation des citoyens MRE à partir de circonscriptions électorales législatives de l'étranger (USFP, Istiqlal, PJD), combinées à la liste nationale (PJD). Formulons deux précisions à ce stade :
- L'immobilisme du gouvernement se lit dans la logique du renoncement au droit de vote et d'éligibilité parlementaire des MRE, puisqu'il s'agit de reproduire le statu quo ;
- Parmi les trois propositions de loi organique, celle de l'Istiqlal a une colonne vertébrale, étant la mieux travaillée et construite, étant par ailleurs en cohérence avec sa proposition de loi concernant le CCME, en application de l'article 163 de la Constitution.
Mais le débat sur les trois textes précités, qui avait démarré de manière positive à la commission parlementaire de l'Intérieur à la Chambre des Représentants, ne s'est plus poursuivi. La raison fut la demande gouvernementale de reporter "momentanément " la discussion, compte tenu de l'agenda lié aux élections communales et régionales. Toutefois, ce qui devait être une suspension provisoire, est devenu pratiquement un arrêt définitif, et ce, en dépit de l'insistance du (seul) groupe parlementaire istiqlalien à la reprise des travaux.
IX - Évolution de la position du Parti de l'Istiqlal
Entre temps, le Parti de l'Istiqlal a évolué dans sa position, en lançant une initiative qui lui est propre, annoncée dès le 5 avril 2016 par son secrétaire général Hamid Chabat, lors d'un entretien télévisuel à Bruxelles dans le cadre de "Tijjini Talk" et confirmée le 7 mai 2016 à Rabat, à l'occasion de la tenue de la huitième session du Conseil national du Parti de l'Istiqlal. La mesure consiste à inviter les Marocains du Monde, en prévision des législatives du 7 octobre 2016, à se porter candidats dans leurs régions d'origine au Maroc, avec l'accréditation du Parti de l'Istiqlal. La direction de ce parti précise bien que ceci n'est nullement contradictoire avec la position que le parti continue à défendre, à savoir l'élection de députés MDM dans des circonscriptions électorales législatives de l'étranger.
Le communiqué du Conseil national du Parti de l'Istiqlal, tenu le 7 mai 2016, a permis de faire le point, en critiquant la communication du gouvernement qui répand comme avec un ballon d'essai ou pour préparer le terrain à l'acceptation de l'idée selon laquelle la représentation parlementaire des MRE ne va pas être assurée à l'horizon du 7 octobre 2016, alors que le projet de loi organique concernant la Chambre des Représentants, n'a pas encore suivi tout le circuit d'adoption .
Traduit du texte d'origine en arabe, le Conseil national du parti "fait part de son grand étonnement de ce qui est véhiculé par le gouvernement, selon lequel les Marocains du Monde seront exclus de la participation aux institutions constitutionnelles du fait du refus de leur permettre de prendre part aux prochaines législatives. Or, ceci équivaut à une violation flagrante des dispositions constitutionnelles, lesquelles accordent une attention particulière à cette catégorie de citoyens et révèle la volonté du gouvernement de pratiquer l'exclusion ".
Cette clarification d'une instance aussi élevée du Parti de l'Istiqlal était nécessaire pour lever toute ambiguïté. Cependant et de notre point de vue, la proposition d'encourager la candidature des citoyens MRE aux législatives à l'intérieur même du Maroc, dans le cadre de circonscriptions électorales législatives locales, brouille le message principal initial. A notre sens, tout se passe comme si le Parti de l'Istiqlal prend acte de la posture du ministre de l'Intérieur en l'estimant irréversible, sans à avoir à attendre un hypothétique fléchissement de sa position lors du processus d'examen du projet de loi organique gouvernemental.
De ce fait et selon nous, cette initiative de mettre trop vite à exécution ce que l'on pourrait appeler son "plan B", affaiblit énormément la revendication istiqlalienne, formalisée par le dépôt en avril 2014 par son groupe parlementaire à la Chambre des Représentants, d'une proposition de loi approfondie, consistant à faire élire 60 députés MDM à partir des pays d'immigration. Même si bien entendu et cela va de soi, les MDM en tant que citoyens marocains à part entière, ont le droit de se faire élire également au Maroc même, seule option qui est retenue par le gouvernement et que vient de rappeler le ministre Anis Birou...
Précisons les choses à ce stade. Vivant à l'étranger, les MRE veulent être considérés et traités comme des citoyens marocains au plein sens du terme, bénéficiant de l'intégralité de leurs droits effectifs liés à la nationalité marocaine. Ils veulent vivre leur citoyenneté marocaine de façon pleine et entière et non pas tronquée, diminuée ou discriminée. Ils veulent avoir leurs députés à partir d'une élection organisée là-bas et non pas voter par procuration ici ou de manière électronique pour des candidats au Maroc, fussent-ils citoyens MRE ou des ex-MRE. L'essentiel est que la communauté marocaine résidant à l'étranger en tant que telle, puisse être réellement représentée par ses propres députés qu'elle élirait elle-même et qu'elle pourrait contrôler démocratiquement.
X - Volte face et reculades de Abdelilah Benkirane, chef du gouvernement
L'article 17 de la Constitution de 2011 dit ceci : " Les Marocains résidant à l'étranger jouissent des droits de pleine citoyenneté, y compris le droit d'être électeurs et éligibles. Ils peuvent se porter candidats aux élections au niveau des listes et des circonscriptions électorales locales, régionales et nationales. La loi fixe les critères spécifiques d'éligibilité et d'incompatibilité. Elle détermine de même les conditions et les modalités de l'exercice effectif du droit de vote et de candidature à partir des pays de résidence ".
Or, en avril 2016, et alors que n'était pas encore officiellement terminé le dialogue préélectoral entre le gouvernement (par le biais de l'administration chargée des élections ainsi que du ministère de la Justice et des libertés) et les divers partis politiques marocains, en prévision des prochaines élections législatives, le Conseil de gouvernement, présidé par Abdelilah Benkirane, a, à travers une interprétation antidémocratique et régressive de l'article 17 de la Constitution de 2011, adopté, le 15 avril 2016, un projet de loi organique discriminatoire (n° 20-16) concernant la Chambre des Représentants.
En effet, une des caractéristiques de ce projet de loi organique gouvernemental, est celle d'exclure à nouveau les citoyens marocains de l'étranger de la députation lors du scrutin législatif du 7 octobre 2016, en refusant tout autant l'institution de circonscriptions électorales législatives de l'étranger, que d'une liste nationale complémentaire spécifique aux citoyens MRE, sous prétexte que ces deux formules étaient non constitutionnelles, et plaçant de la sorte le gouvernement en situation de juge et partie, puisqu'il s'est érigé lui-même en Cour constitutionnelle ! En pratique, les responsables gouvernementaux tentent de faire d'une anomalie démocratique insupportable et intolérable, une discrimination justifiée constitutionnellement.
De ce fait, il s'agit d'une "offre électorale" irrecevable et non plaidable, car elle ne consolide nullement le fonctionnement démocratique de l'institution parlementaire, et déconsidère au même moment la loi suprême du pays qui est piétiné. En d'autres termes, c'est une remise en cause de l'option démocratique du pays, qui est un choix démocratique irréversible. Alors que pour faire adopter la Constitution de 2011 auprès des citoyens MRE, on mettait notamment en relief la promotion de leur citoyenneté intégrale et son inscription dans le marbre, voilà que celle -ci est soumise à l'approche des législatives 2016 à la relégation, au bannissement et à une citoyenneté au rabais, en instituant si cette interprétation de la constitution prévaut, une véritable déchéance de leur citoyenneté marocaine, comme nous l'avions signalé en son temps.
XI - Justifications irrecevables et non plaidables
Sur le premier aspect, reprenant sans discernement l'argument avancé en mars 2016 par le ministre marocain de l'Intérieur, Mohamed Hassad, on objecte de Montréal que l'élection des députés à partir de circonscriptions électorales législatives de l'étranger, n'est "nulle part mentionnée" dans la Constitution. Or, les circonscriptions législatives relèvent de choix pris dans le cadre de la loi organique de la Chambre des Représentants, qui reste encore à avoir. Par ailleurs, concernant cette dernière et de manière générale en droit, tout ce qui n'est pas formellement interdit est permis. Ce qui doit laisser ici aux législateurs la possibilité de pratiquer " l'ijtihad " ou effort de réflexion concernant les modalités et les mécanismes concrets d'élection des citoyens marocains à l'étranger à la Chambre des Représentants, à partir des pays de résidence.
De plus, comment se fait-il qu'à partir de la Constitution précédente (articles 5 et 8), voire même celles d'avant, on pouvait élire des députés MRE à partir de circonscriptions électorales législatives de l'étranger, moyennant bien entendu l'inscription de ce mécanisme dans la loi organique relative à la Chambre des Représentants, comme ce fut le cas pour la législature 1984-1992, alors qu'avec la Constitution de 2011, présentée pourtant comme progressiste et toute favorable aux droits politiques des MRE, le gouvernement qui s'érige en cours constitutionnelle, déclare l'impossibilité juridique d'utiliser cette procédure pour la députation des citoyens MRE ! ? Les deux articles en question sont les suivants : "Tous les Marocains sont égaux devant la loi" (article 5); "l'homme et la femme jouissent de droits politiques égaux. Sont électeurs tous les citoyens majeurs des deux sexes jouissant de leurs droits civils et politiques " (article 8).
Rappelons d'ailleurs ce que disait le Roi Mohammed VI à ce propos dans le discours du 20 août 2011. S'agissant des citoyens marocains résidant à l'étranger, qui sont très attachés à leur identité nationale, l'engagement solennel de la plus haute autorité du pays était sans équivoque : " Nous sommes attachés à la mise en œuvre optimale des dispositions de la loi fondamentale, qui pour la première fois, leur garantit constitutionnellement la jouissance de tous les droits de la citoyenneté (...,) ".
Si dans l'intention réelle de ceux qui ont proposé la formulation actuelle de l'article 17 (leur profil est connu), et l'ont défendu eux-mêmes dans des tables rondes et séminaires organisés par le CCME, notamment au Salon du Livre à Casablanca le 15 février 2012 (intervention de Driss El Yazami, président du CCME), il y avait bien le machiavélisme et le souci d'empêcher la députation des citoyens MRE à partir des pays de résidence, n'est-ce pas là un dévoiement de l'esprit de la Constitution 2011, une régression fondamentale et dangereuse réelle qui ne dit pas son nom par rapport à la Constitution de 1996, due à une véritable trahison politique et intellectuelle ? Le mot trahison n'est nullement excessif, même si de Montréal, on objecte que ce terme n'est nullement fondé et n'a pas, par conséquent, sa place.
Pour traiter de ce cas et plus globalement des interprétations antidémocratiques de la Constitution, le passage suivant du discours royal du 20 août 2011 nous paraît tout à fait pertinent. Il est énoncé que la mise en place des dispositions de la Constitution, devrait être menée sur la base de trois fondamentaux, dont le suivant : " Attachement à la suprématie de l'esprit et de la lettre de la Constitution, unique voie judicieuse pour son application. Par conséquent, nous considérons que toute pratique ou interprétation incompatible avec son essence démocratique, constituerait une transgression, contraire à la volonté commune du Roi et du peuple". Par ailleurs, s'agissant de la liste nationale, même si elle fait l'objet d'un débat polémique et controversé, on continue à utiliser cette procédure pour l'élection des femmes. Dans ce cadre, les députées femmes et le mouvement féminin plaident pour le tiers (voire même la parité) en matière de représentation féminine. De même, les députées femmes mènent un lobbying pour la modification de l'article 5 de la loi organique relative à la Chambre des Représentants qui interdit aux femmes de briguer un deuxième mandat à travers la liste nationale, en précisant notamment que c'est aux partis politiques de choisir les candidates qu'ils veulent, tandis que de larges pans de l'opinion publique considèrent cette réforme comme l'expression d'une "rente" en faveur des députées actuelles... Mais dans ce lobbying, rien n'est dit sur la nécessité de faire représenter les Marocaines du Monde à la Chambre des députés ...
Tout comme ce mécanisme de la liste nationale a été finalement maintenu pour les jeunes, en réaction notamment aux pressions des mouvements de jeunes partisans. Mais sans que ces mouvements eux-mêmes n'appuient les revendications politiques des citoyens marocains résidant à l'étranger, dont les femmes et les jeunes citoyens MRE, pour leur élection en tant que député(e)s à partir des pays d'immigration !!! De plus, les mouvements de jeunes ainsi d'ailleurs que les mouvements de femmes, n'estiment-ils pas, dans une vision purement égoïste, que la participation des citoyen(ne)s marocain(e)s à l'étranger à la liste nationale (des jeunes et des femmes) leur ferait "concurrence ", en se situant en termes de "compétition", surtout pour les places "gagnables" parmi les premiers de chaque liste !?
Dés lors, quelle "efficacité" donnée à l'option retenue depuis longtemps par l'Intérieur, à laquelle le PJD s'est semble-t-il rallié (comme en 2011 et même dès 2007), consistant à intégrer les candidats MRE dans les listes nationales de femmes et de jeunes ? Par ailleurs, cette option ne résoudra en rien la question du nécessaire vote direct des citoyens MRE dans les pays d'immigration.
* Universitaire à Rabat, chercheur spécialisé en migration


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