En matière de retour de la députation des MRE, la première grande déception est venue du gouvernement d'alternance consensuelle dirigé, à partir du printemps 1998, par le dirigeant socialiste Abderrahmane El Youssoufi. V - Responsabilités du gouvernement Youssoufi d'alternance consensuelle Ce gouvernement endosse in fine l'entière responsabilité de la marginalisation volontaire et délibérée des citoyens marocains à l'étranger des élections législatives du 27 septembre 2002 et de leur exclusion de la Chambre des Représentants, les citoyens MRE ayant été les oubliés et les orphelins de l'alternance. Ironie des choses : certains observateurs avaient fait l'éloge de cette alternance pour avoir organisé les «premières élections transparentes et démocratiques du Maroc», alors qu'elle a pratiqué l'exclusion à l'égard des citoyens MRE. Au point où, à cette échéance, certaines ONGs de la Jaliya en Île de France, avaient même intenté (mais sans succès) un recours contre le Premier ministre de l'époque, auprès de la Chambre administrative de la Cour suprême, pour n'avoir pas ouvert les listes électorales à l'étranger, afin de créer les conditions permissives de l'élection de député(e)s MRE, dans le cadre de circonscriptions électorales législatives de l'étranger. VI - Le gouvernement Driss Jettou et l'artifice de la démarche «progressive» Une désillusion encore plus forte, voire même une frustration, correspond sous le gouvernement Driss Jettou, au communiqué du ministère marocain de l'Intérieur du 16 juin 2006, endossé par les partis politiques de la majorité de l›époque, consistant à remettre à plus tard, sous prétexte de difficultés techniques et logistiques, mais de fait par peur des résultats des urnes et de perdre toute emprise sur la communauté, l›application de deux décisions très importantes contenues dans le discours royal décisif du 6 novembre 2005. Il s›agit de «conférer aux Marocains résidant à l'étranger la possibilité de se faire dûment représenter à la Chambre des Représentants, de manière appropriée, réaliste et rationnelle «, par le biais de députés élus dans des circonscriptions électorales législatives de l'étranger. Ce discours qui a fait date en réparant l›oubli et la discrimination dont souffraient les Marocains du «dehors», devait ainsi ouvrir une nouvelle ère : celle de la participation politique directe des citoyens MRE à la chose publique, ainsi que l›exercice plein et entier par eux de la citoyenneté et de la responsabilité, une participation non limitative, réductrice ou tronquée, la communauté marocaine résidant à l›étranger étant considérée comme «un atout majeur pour le Maroc nouveau.» Ces partis qui ont cautionné ce déni de droit, en adoptant cette méthode dite graduelle ou progressive, mais qui n›a pas évolué d›un iota au printemps 2016, sont les suivants : USFP, Istiqlal, MP, RNI, PPS, l›équipe gouvernementale comprenant par ailleurs, comme à la nomination de chaque gouvernement, un certain nombre d›»indépendants «, de «technocrates» ou de «sans partis». Par contre, beaucoup de partis politiques avaient dénoncé le renoncement du gouvernement de l›époque, à appliquer en son temps les deux premières décisions royales du 6 novembre 2005, comme si celles-ci étaient des formules contre nature et une aberration politique, alors qu›elles se sont placées dans une logique réformatrice d›envergure, suivie par le nouveau règne. C›est ainsi que dans un texte très véhément publié peu de temps après le communiqué du 16 juin 2006 du ministère de l›Intérieur sur le site du PJD et dans le journal «Attajdid», le PJD «condamne la décision de la majorité gouvernementale de ne pas organiser les élections dans les milieux de la communauté marocaine résidant à l›étranger , considère cela comme une erreur flagrante, un manquement manifeste à une orientation royale claire et une preuve supplémentaire de l›incapacité du gouvernement à assumer ses responsabilités. Ceci constitue un message qui affecte négativement les Marocains résidant à l›étranger et casse la dynamique qu›ils vivent depuis l›annonce de la volonté royale de les impliquer dans les échéances électorales de 2007. Par ailleurs, le 23 juin 2006, une réunion a regroupé à Casablanca quinze partis politiques de l›opposition (principalement des «petits « partis avec très peu ou pas de députés) qui se sont mis d›accord pour dénoncer notamment «la marche arrière concernant la tenue d›élections parmi les MRE pour les faire représenter au parlement et ce, en contradiction avec la volonté royale». Comme le relevait le journal «Attajdid» du 26 juin 2006, ces partis étaient les suivants: Union Constitutionnelle, Parti de la Réforme et du Développement, Parti «El Badil Al hadari», Parti de l›Environnement et du développement, Parti du Renouveau et de l›Equité , Parti du Mouvement démocratique, Parti de la Choura et de l›indépendance, PDJ, Parti du Travail, Forces Citoyennes, Parti du Maroc Libéral, Parti du Centre Social, Parti National Démocrate, la Ligue des Libertés, Parti de l›Initiative civique et du développement . Par la suite, début novembre 2006, un front contre les mesures d›exclusion, dont celles touchant les citoyens MRE, a été formé par des partis de gauche et des ONG à l›initiative du Parti Socialiste Unifié ( PSU) et un sit-in devant le parlement a été organisé par ces organisations le 17 novembre 2006 pour dénoncer ces mesures, entre autres. Mais ce sont les partis de la coalition gouvernementale, qui disposent de la majorité parlementaire, du moins à la Chambre des députés, qui endossent la plus grande responsabilité dans l›orientation et les résultats des politiques suivies. Au moment du vote de la législation électorale pour préparer les législatives 2007, seuls les députés PJD et PSU à la Chambre des Représentants, et les élus du syndicat CDT à la Chambre des conseillers, ont défendu et voté des amendements en faveur de la députation des MRE à partir de circonscriptions électorales législatives dans les pays d›installation. Relevons aussi certaines incohérences des parlementaires de l›UC et surtout du PND, dont les dirigeants s›étaient également beaucoup déplacés et investis pour avoir des sièges de députés de l›émigration. Au moment du vote concernant les amendements présentés séparément par les parlementaires du PSU et ceux du PJD, aussi bien en commission qu›en plénière, leurs députés se sont abstenus. Pourtant, à propos du communiqué du 16 juin 2006, Abdallah Kadiri, secrétaire général du Parti National Démocrate (PND), déclarait ce qui suit à «Al Ousbouia Al jadida» n° 82 du 29 juin 2006 : « C›est une grande catastrophe et un écart par rapport aux orientations royales qui avaient appelé à la nécessité de la représentation des émigrés au sein de l›institution parlementaire. A l›occasion d›une tournée effectuée par le parti, j›ai remarqué combien les MRE tenaient à participer à ces élections que certains partis veulent s›accaparer». Une semaine plus tard, l›enjeu et la raison de ce revirement gouvernemental spectaculaire sont affichés par le même dirigeant : «La parole de Sa Majesté le Roi doit être respectée. Rien ne justifie la mise à l›écart des MRE, sauf la peur du verdict des urnes». En fait, dans l›esprit gouvernemental et des partis politiques le soutenant, l›instauration de la méthode dite progressive n›a été en réalité qu›un artifice pour mieux faire accepter graduellement l›idée de suppression d›un droit solennellement reconnu par le discours royal du 6 novembre 2005, mais que l›on n›a jamais osé présenter comme un droit remis en cause. VII - Le cabinet Abbas El Fassi et le procédé inique et insultant de la procuration Lors des élections législatives du 25 novembre 2011, tenues de manière anticipée suite à l'adoption de la réforme constitutionnelle de juillet 2011 par un référendum auquel les citoyens MRE, faut-il le rappeler, ont participé, l'article 17 de la Constitution n'a nullement été appliqué comme il se doit. Les raisons techniques et logistiques ont été également avancées, alors que depuis 2009, le mouvement de la société civile MRE «DABA 2012», demandait avec insistance, à travers une série de contacts avec les acteurs du champ politique marocain et une puissante campagne de communication, que les mesures nécessaires pour 2012 soient prises à temps ... Après avoir, au moment du dépôt des amendements parlementaires concernant la loi organique de la Chambre des Représentants , défendu le principe du vote MRE dans les consulats, les groupes parlementaires suivants ( majorité et opposition) et sur la base des documents parlementaires officiels, ont fait volte-face en décidant du vote MRE par procuration vers les circonscriptions législatives à l›intérieur du Maroc : majorité ( Istiqlal, USFP, RNI, MP, PPS) et opposition ( PAM, UC). En séance plénière consacrée à l›adoption de la législation électorale portée par le gouvernement Abbas El Fassi, seuls les députés du PJD et les conseillers du groupe syndical FDT, ont présenté et soutenu des amendements permettant la députation des citoyens MRE par le biais de la liste nationale ( PJD) ou bien de circonscriptions à l›étranger ( FDT) . Peu de jours avant le déroulement des législatives, Abdelilah Benkirane, secrétaire général du PJD et alors qu›il était encore dans l›opposition, revenait dans une déclaration faite le 10 novembre 2011 au «Courrier de l›Atlas» sur le vote par procuration imposé aux MRE durant les législatives du 25 novembre 2011 : « Le vote par procuration est une insulte. Une façon de dire que les MRE étaient bons quand il s›agissait de faire passer le référendum et que maintenant qu›il s›agit de législatives, ils ne servent plus à rien». Paroles dont devraient se souvenir maintenant l›actuel chef du gouvernement, ainsi que le ministre chargė des MRE et des affaires de la migration, suite à l›intervention récente de celui-ci à l›Université Cadi Ayyad à Marrakech, qui a sanctifié la procuration, en annonçant qu›elle allait être à nouveau appliquée lors des législatives du 7 octobre 2016, parce qu›à l›échelle internationale, ce procédé qui a été utilisé par bon nombre de pays d›émigration est, dit-on, le meilleur. Par la même occasion et telle que ceci a été rapporté par la presse, le ministre incitait les jeunes participants MRE à donner leur procuration aux membres de leurs familles au Maroc pour voter à leur place !!! IIX - L›essai de rattrapage partisan de 2014 Heureusement qu'en 2014, en prévision des législatives 2016 et devant l'inaction du gouvernement Benkirane, trois groupes parlementaires de députés ( USFP, Istiqlal, puis PJD), ont présenté à la Chambre des Représentants des amendements séparés à la loi organique relative à la Chambre des Représentants , tendant à corriger les erreurs et injustices flagrantes du passé, en permettant cette fois-ci la députation des citoyens MRE à partir de circonscriptions électorales législatives de l'étranger (USFP, Istiqlal, PJD ), combinées à la liste nationale ( PJD). Formulons deux précisions à ce stade : - L›immobilisme du gouvernement se lit dans la logique du renoncement au droit de vote et d›éligibilité parlementaire des MRE, puisqu›il s›agit de reproduire le statu quo. - Parmi les trois propositions de loi organique, celle de l›Istiqlal a une colonne vertébrale, étant la mieux travaillée et construite, étant par ailleurs en cohérence avec sa proposition de loi concernant le CCME, en application de l›article 163 de la Constitution. Mais le débat sur les trois textes précités, qui avait démarré de manière positive à la commission parlementaire de l›Intérieur à la Chambre des Représentants, ne s›est plus poursuivi. La raison fut la demande gouvernementale de reporter «momentanément « la discussion, compte tenu de l›agenda lié aux élections communales et régionales. Toutefois, ce qui devait être une suspension provisoire, est devenu pratiquement un arrêt définitif, et ce, en dépit de l›insistance du (seul) groupe parlementaire istiqlalien à la reprise des travaux. *Universitaire à Rabat, chercheur en migration