La plupart des commerçants parlent d'un net recul des affaires, pourtant le quartier reste très animé. Concurrence des produits chinois pour les uns, des grandes surfaces pour les autres, pouvoir d'achat en baisseÂ..., les avis divergent. Pour plusieurs d'entre eux, la baisse d'activité a commencé bien avant la crise. Quartier commerçant par excellence, Derb Omar attire toujours une foule effervescente. Qu'il vente ou qu'il pleuve ou alors comme ce lundi 20 juillet, sous une chaleur étouffante, ses rues ne désemplissent pas. Transporteurs tirant des chariots, camions déposant des marchandises, livreurs à vélo ou moto donnent une animation particulière à ce quartier par lequel transite une grosse partie des marchandises à destination des quatre coins du pays. Les magasins, surtout les grossistes, rivalisent d'imagination pour attirer les clients en tentant de faire évoluer l'offre commerciale. A priori, en voyant cette ébullition, on se dit que les commerçants de ce quartier font de juteuses affaires. Cependant, dès qu'on cherche à poser des questions, les commerçants font grise mine et rechignent même à y répondre. Ils n'ont visiblement aucune envie de déballer leur comptabilité ni de ressasser leur déception provoquées par des baisses de chiffres d'affaires qui, à en croire certains d'entre eux, vont de 45 à 70%, selon la nature de l'activité. Ahmed Lahlou qui vend des accessoires pour l'équipement et la décoration de salons (voilages, rideaux, housses coussins…) est un des rares commerçants à accepter d'en parler ouvertement. Selon lui, la baisse de l'activité a commencé depuis quelques années déjà, mais elle est plus ressentie depuis 2006. «Cela n'a rien à voir avec ce qu'on appelle la crise actuelle, dit-il. En fait, à Derb Omar, il y a un patchwork de commerces et de commerçants, mais aussi d'approches et de pratiques commerciales. La concurrence devenant acharnée, tous les moyens sont bons pour vendre. La seule chose sur laquelle tout le monde est d'accord, c'est qu'on ne fait plus de crédit, sauf à des conditions très particulières et, même avec cela, on se fait avoir parfois. Il y a des commerçants qui ont fermé boutique, d'autres qui ont réduit leur personnel et quelques-uns, voyant le rythme de la demande baisser, sont partis en congé, le temps que les affaires reprennent. Il y en a même qui n'ouvrent que sur rendez-vous avec des clients qui en ont fait la demande. A mon avis, cette situation qui est due à la concurrence des produits provenant de Chine, d'Egypte ou de Turquie est partie pour durer». Parfums et cosmétiques toujours prisés Même constat pour Hassan B., gérant d'un magasin d'alimentation générale. Il affirme avoir perdu plus de 75% de son chiffre d'affaires en 2009 à cause notamment de la baisse de la demande. Alors même qu'on croise et côtoie des clientèles aux besoins variés, les grossistes peinent à les fidéliser à un moment où leur pouvoir d'achat s'érode. Occupé avec un client qu'il connaît de longue date, Hassan assure ne pas pouvoir en drainer de nouveaux. «Je me contente de mes anciens clients, car je n'arrive pas à drainer une nouvelle clientèle. En plus, nous sommes nombreux à Derb Omar, et chacun de nous doit faire de son mieux afin de préserver sa place». S'étalant sur une superficie de 120 m2, le magasin offre une panoplie de marchandises : conserves, sucre, thé, farine, fromages… dont l'ingénieuse disposition attire certes l'œil mais guère le portefeuille. Non loin de là, M.B., grossiste en couvertures, n'est guère mieux loti. Les affaires vont si mal qu'il accepte, désormais, de vendre au détail. «Avant, les revendeurs me rendaient visite tous les 15 jours, dit-il. Aujourd'hui, même après plus de deux mois, ils ne commandent que de très petites quantités et c'est normal car ils écoulent difficilement leurs marchandises à cause de la concurrence des grandes surfaces. Et le malheur c'est qu'à prix égal, le client n'aime plus venir à Derb Omar à cause des problèmes de circulation et de stationnement». Lahcen, lui, tient un magasin de parfumerie depuis bientôt vingt ans à la Kissaria Yder. Contrairement aux autres commerçants, ce grossiste affirme ne pas sentir l'effet de la crise. Proposant des produits importés, de grandes marques comme l'Oréal, Vichy, Chanel ou Guerlain, son étal est une invite aux sens. «Aucun changement n'est à signaler. Il y a des jours où on arrive à réaliser un bon chiffre d'affaires, comme il y en a d'autres où on ne vend rien du tout» . Des clients plus regardants sur les prix Lahcen fait commerce avec les revendeurs de parfums et produits cosmétiques et les salons de coiffure. «Dieu merci, beaucoup de parfumeries ouvrent leurs portes, les produits cosmétiques sont très demandés la coquetterie des femmes fait le reste», ajoute-il en plaisantant. Dans une autre Kissaria de Derb Omar, un marchand de produits d'habillement pour hommes ne semble pas aussi éprouvé que ses confrères. Son secret est qu'il ne vend que des produits à bas prix et cela commence à partir de 10 DH. Oui, dit-il, l'activité est en baisse, mais se plaindre fait «fondre la baraka». La concurrence des Chinois ? Cela le fait rire et il s'empresse d'expliquer : «Moi-même, je m'approvisionne chez eux et, comme ils ne vendent qu'au gros, je suis content qu'ils se soient installés si près de ma boutique». Khalid Berrada, patron de Ghalitex, qui fait dans l'import/export de tissu, parle à cœur ouvert de la crise, mais comme tous les autres, il fait la sourde oreille dès qu'on lui demande quelques chiffres. Il consent néanmoins à donner un ordre de grandeur. Il dit avoir perdu entre 60 et 70% de son chiffre d'affaires. Auparavant, Khalid était l'agent de grandes marques comme Dormeuil et Prince de Galles. Il explique ainsi la situation dramatique du business : «Je ne vends que des articles de pure laine et mes clients étaient les tailleurs et les confectionneurs. Les premiers ont disparu et les seconds subissent la concurrence des grands groupes et ont commencé à aller faire leur marché eux-mêmes en Chine et ailleurs. Et puis, n'oublions pas Derb Ghallef où on trouve des costumes signés ou prétendus tels à partir de 2 000 DH. Même les gens qui ont les moyens trouvent que la qualité coûte trop chère et qu'on ne fait plus de différence avec toutes ces contrefaçons qui ont envahi les marchés». A quelques mètres du magasin de Khalid, une grande boutique de tissus d'ameublement, signe de la crise, affiche en gros caractères des rabais de 40%. Sur la situation qui prévaut, un autre commerçant de tissus tient des propos défaitistes : «Que voulez-vous, les gens sont arrivés à des seuils d'endettement qui leur laissent une faible marge de manœuvre et c'est forcément dans les produits de luxe qu'ils taillent et on le ressent dans leur choix et dans l'agressivité qu'ils montrent dans le marchandage et la négociation». Des soldes mais sans résultats Sur les 2 600 magasins que compte Derb Omar, on trouve de tout et la confiserie qui était bien représentée ne compte plus que quelques magasins dans le vieux centre d'affaires. Là aussi, on ne désire pas se prêter au jeu des questions/réponses. Ce n'est qu'en insistant qu'on obtient des bribes d'informations : les moments forts de l'activité sont d'abord la fin de l'année suivie de près par le mois d'août, avec l'arrivée des MRE. La baisse du chiffre d'affaires se situe, selon les commerçants, entre 45 et 55%. Dans un magasin de porcelaine, verre, aluminium et inox, il n'y a pas l'ombre d'un client. Le commerçant qui n'a gardé qu'un employé ne s'étonne pas de la désaffection des consommateurs. Cela fait quelque temps que la crise dure, confie-t-il. D'ailleurs, il ne s'est plus approvisionné en marchandises depuis belle lurette. Il a, pourtant, revu ses prix à la baisse jusqu'à 10 ou 15%, alors que les marges étaient déjà très réduites. Ainsi entre ceux qui affirment que la crise est passée par là et ceux qui pensent le contraire, les avis sont partagés. Connaissant l'impact de cette crise sans précédent sur le monde des affaires, on ne peut que comprendre les commerçants qui se plaignent. Néanmoins, l'activité incessante dans ce quartier laissera toujours l'observateur dubitatif sur l'évolution réelle de l'activité.