Après trois ans de mise à l'épreuve de l'Amo, les organismes gestionnaires sont confrontés à des risques maladie croisés qui, allant pesant, nécessitent une anticipation, dans un environnement où la consommation en produits de santé est soit insuffisante soit stimulée. Depuis 2002, date de la promulgation de la loi 65-00 portant code de la couverture médicale de base, le Maroc ne semble pas avoir parcouru beaucoup de chemin. Le produit «Inaya» peine à prendre son envol. Le Ramed est encore en site pilote dans la région de Tadla-Azilal. La couverture maladie des étudiants et des professions libérales est toujours à un stade avancé de gestation. Seule l'Amo, gérée par la CNOPS et la CNSS, est «une force qui va», comme disait Victor Hugo quoique sujette à des risques structurelles d'équilibre budgétaire qui pointeront menaçant à long terme. A la différence du régime assurantiel français où les finances de la sécurité sociale sont, depuis la Loi de Juppé en 1996, votées par le Parlement, les organismes gestionnaires de l'Amo sont les premiers responsables de l'équilibre financier de ce régime et doivent s'appuyer, à mon sens, sur dix axes pour mieux gérer le risque maladie et assurer la pérennité financière de l'Amo Le premier axe est la maîtrise médicalisée des soins de santé à travers la promotion du médicalement requis et la moralisation de l'usage et du prix du médicament. Ce dernier consomme 47% du budget des prestations de la CNOPS, alors que la liste des médicaments remboursables n'englobe que 2 524 spécialités sur les quelques 4 250 réellement sur le marché. Le générique, malgré la campagne promotionnelle de l'Anam, maintient un profil bas (25% du marché) devant une industrie pharmaceutique jalouse de ses marges léonines sur le princeps, ceci alors que Barack Obama a érigé en priorité nationale la généralisation du générique, qu'une étude de l'OMS a attesté de la cherté des médicaments au Maroc et que la France va mettre en ligne un portail transparent du médicament. Quant aux médicaments coûteux, le lobby de l'industrie pharmaceutique est allé jusqu'à créer ou financer des associations-écran de malades pour stimuler la demande, spécialement des centrales d'achat qui s'en approvisionnent à des prix fluctuants. Nous parlons de produits de cancer, des hépatites et des maladies coûteuses dont le prix est hors de portée dans un pays où la consommation moyenne annuelle des citoyens en produits pharmaceutiques ne dépasse pas 300 DH. C'est dire la vitalité d'une action commune sur ce poste dont le dérapage est «la somme de toutes les peurs». Du « cache-cash » transféré aux assurés Le 2e axe est le contrôle médical. Celui-ci doit évoluer d'une approche tayloriste à un contrôle médical prédictif et proactif devant constater in situ la qualité, la réalité, l'exhaustivité et l'opportunité des soins dispensés. La tâche est ardue car, hormis les référentiels de santé incomplets du reste, le contrôle médical s'effectue en l'absence de protocoles thérapeutiques, même pour les pathologies lourdes, et dans un environnement marqué par les prescriptions et les consommations « malignes » et abusives, les collisions d'intérêts entre praticiens, les incompatibilités de traitements, les transferts complaisants à l'étranger, etc. Le 3e axe est la lutte contre les fraudes. Dépassement d'honoraires, surfacturation injustifiée, chèque de garantie, factures bidon, médecins du public en TPA prolongé, etc., sont des pratiques «cache-cash» qui se perpétuent impunément. Le risque est transféré aux assurés, maillon faible de la chaîne, qui assument rubis sur ongle cette gloutonnerie caractérisée de certains producteurs de soins, ce qui décrédibilise l'Amo et ses gestionnaires. Le 4e axe est la modération des appétits des producteurs de soins qui connaîtra «un saut de température» à l'occasion de la négociation des conventions nationales prévue à partir de 2009. Si les deux organismes gestionnaires paraissent en bonne santé (la CNSS généralisera la prise en charge des soins ambulatoires et la CNOPS a déclaré avoir repoussé le déficit à 2015), il n'en demeure que le scénario d'une envolée prévisible des tarifs devrait les conduire à faire cause commune pour figer ces tarifs à des seuils raisonnables, tolérables, rémunérateurs et viables à long terme. Prévenir pour mieux guérir Le 5e axe est la prévention. Jacques Attali préconisait dans le fameux rapport sur la libération de la croissance, française, de «développer massivement la prévention et la cofinancer». Actuellement, les plans de prévention sont plutôt conduits par plusieurs laboratoires, soit via des délégués (en France, les médecins généralistes reçoivent annuellement en moyenne 330 visites des délégués des laboratoires), soit via des campagnes denses auprès des 9 000 officines ou de dépistage organisé, soit, enfin, via des séminaires de formation, de voyages, etc., avec des effets insidieux et une incitation à la consommation souvent commerciale. Les organismes gestionnaires, l'Anam, la Santé doivent réinvestir le créneau de la prévention pour servir une information juste sur des risques très prévalents : lutte contre le tabac, la sur-médicamentation, le dépistage, le générique, la bonne hygiène de vie (sport, alimentation, santé bucco-dentaire, etc.). Ils doivent adopter également des mécanismes incitatifs pour atteindre ces objectifs (campagnes de vaccination, prise en charge améliorée, dépistage en tiers payant, implication des professionnels, etc.) Le 6e axe est l'apport de la communication. Celle-ci est un puissant instrument pour agir sur les comportements de consommation, prévenir contre les risques maladie, sensibiliser les producteurs de soins à travers des plateformes téléphoniques, des sites Internet, des campagnes médias, des focus group, des cercles de qualité, des enquêtes, etc. La communication doit être suffisamment outillée pour cibler la population à risque, suffisamment formée pour véhiculer l'information juste et pertinente et enfin suffisamment performante pour agir sur les comportements à risque et non pour cristalliser leur déviance. Le 7e axe est la veille stratégique qui doit pouvoir fournir des éléments d'appréciation juridiques, sectoriels, comparés et jeter d'autres éclairages sur la problématique vécue et avoir une prise sur certaines décisions à effet négatif centripète. Le 8e axe est la couverture complémentaire qui souffre actuellement de mille maux. Dans le secteur privé, bien des assurances ont risqué «le choc thermique». Dans le secteur public, la couverture complémentaire est autant sous financée (cotisation annuelle de 600 DH) qu'insuffisamment performante. La remise à flot du secteur mutualiste est le gage pour une mutualisation optimale du restant à la charge des assurés ou le ticket modérateur, qui reste un risque négligé parce que mal défendu par les structures devant défendre les consommateurs. Pas de médecine « low cost » Le 9e axe est l'extension et l'amélioration de la couverture médicale. Jacques Attali estime que les dépenses de santé sont trop souvent présentées comme une charge, motivant des mesures drastiques de restriction comme au Danemark, en Irlande et en Finlande. Au fait, la santé est un moteur de croissance (environ 5,5 milliards de DH transitent par les deux caisses de l'Amo) et un levier de création de richesses. Aussi, le plan de gestion du risque n'a-t-il pas pour fonction de réduire les dépenses d'une assurance maladie ni de favoriser une «médecine low cost», mais de moraliser ces dépenses, et de les rendre justes et au vu du médicalement requis et dans le respect des principes fondateurs de la mutualité et de la solidarité. Dernier axe : oser un plan de gestion du risque sans oser en financer les frais en termes de système d'information, de procédures claires, de structures de proximité, de moyens financiers, etc., revient à impulser une réforme stratosphérique, déconnectée de la réalité et portant en elle les gènes de son échec. Si les efforts ne convergent pas vers une meilleure maîtrise des risques croisés qu'affronte actuellement l'Amo, les organismes gestionnaires observeront, incapables, le virement programmé vers la faillite non seulement d'un système, mais d'un chantier de règne.