L'accessibilité aux médicaments , est un sujet qui revient souvent au devant de la scène , il a fait la une des journaux , des reportages TV lui ont été consacrés, le ministre de la santé en fait une de ses priorités , la Société Marocaine des Sciences Médicales ( S.M.S.M ) a retenu lors de son 29e congrès tenu à Casablanca le vendredi 9 Mars 2012, comme thème principal, l'accessibilité aux médicaments, il y a comme on peut le constater, un réel engouement , un intérêt certain et bien sûr des enjeux … Elémentaire suis-je tenté de répondre car le médicament est un produit stratégique, essentiel et vital qui contribue énormément à la restauration, à l'équilibre et la guérison de nombreuses maladies, mais le problème réside dans l'accessibilité pour tous à ces mêmes médicaments qui restent souvent hors de portée de bien des bourses. Aujourd'hui, nul besoin d'un quelconque rapport ou étude pour dire que les prix de beaucoup de médicaments restent chers. Une grande frange de nos concitoyens n'a pas les capacités financières d'acquérir les médicaments prescrits par les médecins, les plus pénalisés sont ceux qui n'ont pas de couverture médicale de type AMO, assurance privée ou autre. Depuis des décennies il y a des disparités, des iniquités dans l'accès aux médicaments, les premiers à en pâtir sont les pauvres, les économiquement démunis, les chômeurs, la veuve et l'orphelin ….. Il est vrai que le RAMED va alléger un tant soi peu ce lourd fardeau, mais il n'en demeure pas moins vrai qu'il y aura toujours des médicaments que le malade devra acheter. C'est pourquoi le médicament doit être accessible à toutes les franges de notre population et ce conformément aux dispositions contenues dans la nouvelle constitution (article 31). A l'évidence, c'est là un sujet très important qui ne laisse personne indifférent surtout en ce moment précis où notre pays qui s'est engagé dans une nouvelle dynamique et où le nouveau gouvernement place le citoyen au centre de toutes ses préoccupation, c'est un processus démocratique qui vise à renforcer les droits de nos concitoyens conformément à la nouvelle constitution. Dans ce registre, le droit à la santé est un acquis fondamental, il en est de même pour l'accessibilité du médicament, les deux sont complémentaires. Pour cerner les différentes facettes du médicament, son accessibilité, son intérêt, la place des différents acteurs impliqués dans le médicament, nous avons rencontré le docteur Oualalou,Abdelhamid, Pharmacien membre du comité central du PPS, ancien membre de la commission nationale de l'AMO et RAMED, ancien Membre du conseil de l'ordre des pharmaciens du Maroc, secrétaire Général de l'Association Marocaine des Sciences Pharmaceutiques.Al Bayane : Lors du 29e congrès de la SMSM , vous avez présenté une intervention relative à l'accessibilité aux médicaments et les droits des citoyens à ces mêmes médicaments Pouvez-vous nous en rappeler le volet juridique . Dr Oualalou Abdelhafid : Tout d'abord, il faut rappeler que l'industrie pharmaceutique marocaine qui remonte aux années 60 est l'une des plus moderne, des plus performante et des plus active et qu'elle participe à l'essor économique de notre pays . Par ailleurs, cette même industrie permet aujourd'hui de couvrir 70 % de nos besoins en produits médicamenteux et qu'elle exporte prés de 20 % de sa production. Il y a donc lieu de nous réjouir, mais il faut aussi reconnaître que les médicaments posent un sérieux problème quant à leur accessibilité. En tant que pharmacien et représentant de la société civile, je dois avouer que certains médicaments ne sont pas à la portée de tous les citoyens eu égard à leur prix. Pourtant des textes de loi concernant le médicament existent et je voudrais à cet effet passer en revue avec vous des éléments importants qui plaident en faveur de l'accessibilité aux médicaments : En premier lieu, il y a la déclaration internationale des droits de l'homme adoptée unanimement par l'ONU (10 Décembre 1948). Il nous faut aussi rappeler la nouvelle constitution marocaine adoptée le 1er Juillet 2011 garantissant l'accès de tous les citoyens et citoyennes aux soins, à la protection sociale à la couverture médicale et à la solidarité mutualiste. Loi sur la protection des consommateurs N° 31-08 (Avril 2011) qui donne la priorité à l'information du consommateur. Objectifs du Millénaire pour le Développement – OMD (1990-2015) dont trois des huit objectifs sont relatives à la santé maternelle, la mortalité infantile et la lutte contre le Sida. Programme de gouvernement actuel en matière de santé qui affirme avec force l'accès aux soins et aux médicaments (Disponibilité – qualité et prix abordables des médicaments….) Code du médicament et de la pharmacie (Décembre 2006) définissant le médicament et l'acte pharmaceutique. Tous ces éléments plaident en faveur d'une nouvelle approche en matière de politique du médicament car, pour bon nombre de malades dont les moyens sont limités, le prix des médicaments est un obstacle majeur. Justement quels sont selon vous les obstacles, les écueils qui contribuent à creuser davantage les iniquités, les disparités concernant l'accès aux soins, aux médicaments et aux matériels médico-chirurgicaux … ? Les disparités concernant l'accès aux soins entre régions sont une réalité qui se vit au quotidien, je dirai qu'au niveau d'une même ville on trouve des disparités entre hôpitaux et centres de santé. De là à parler des régions difficiles d'accès, des zones enclavées qui sont sous-équipées, sous-médicalisées, là où existe de véritables déserts médicaux où il n'y a rien : pas de dispensaire, pas de médecins, pas d'infirmier et donc pas de médicaments. Au niveau des grandes villes, il y a des hôpitaux ou l'on trouve des médecins en nombre pléthorique, du matériel à ne plus savoir quoi en faire, des pharmacies pleines à craquer de médicaments… En matière de santé, l'axe Kénitra - El Jadida connaît une concentration des moyens, des structures, des compétences, des hôpitaux publics et des cliniques privées, des pharmacies, des infirmeries ….. Cette disparité est plus marquée entre milieu urbain et milieu rural . La répartition des ressources humaines et matérielles pose de réels problèmes au niveau du périurbain et les zones rurales qui sont les premières à souffrir des iniquités. Ce sont là des incohérences que la raison ne peut accepter car elles contribuent à creuser davantage le fossé qui existe entre régions et accentuent encore plus les iniquités choquantes et pénalisantes dont souffrent nos concitoyens qui habitent les zones enclavées et reculées, où tout manque. Les résultats de ces disparités pèsent lourdement sur les conditions de vie des populations dont l'état de santé peut vite se détériorer, les exemples sont nombreux surtout au niveau du moyen Atlas, du Rif … Le financement des soins est un autre facteur qui pèse sur l'accès aux soins et aux médicaments. Les disparités financières et sociales liées aux pouvoirs d'achat et au taux de couverture médicale des populations représentent des obstacles concernant le niveau de soins des individus, un riche à plus de chance de s'en sortir qu'un pauvre en cas de problèmes de santé . Le nombre des personnes qui ont une couverture médicale type AMO ou assurance privée est relativement bas (34%) Heureusement que le RAMED est généralisé , ce qui va certainement permettre de corriger quelque peu ces disparités . Que pensez – vous du droit à la santé ? Une réalité ou une utopie ? Il est clair que le droit pour tous à la santé, et à une meilleure prise en charge médicale suppose l'égalité de l'accès à ces mêmes soins pour tous les citoyens indépendamment de leurs moyens financiers, de leur situation ou rang social. Pour ce faire , il faut procéder à la répartition équitable de tous les moyens humains et matériels sur l'ensemble du territoire national . En outre, il faut veiller à la qualité des soins qui sont prodigués , s'assurer de la disponibilité des médicaments . Depuis l'indépendance du Maroc en 1956, la santé des citoyens a toujours été au centre des préoccupations des différents gouvernements qui se sont succédé. C'est là une réalité qui mérite d'être rappelée. Aujourd'hui le Maroc accorde une place très importante au droit à la santé, c'est un droit universel reconnu par la nouvelle constitution 2011, il concerne l'accès aux soins, aux infrastructures sanitaires, aux médicaments mais aussi à l'accès pour tous à une couverture médicale généralisée (AMO-RAMED). Le droit thérapeutique relatif aux médicaments, aux dispositifs médicaux et au matériel médico-chirurgical repose sur leur disponibilité, leur qualité mais aussi sur leur prix qui doit être abordable par la population en relation avec le pouvoir d'achat des uns et des autres. Pour pérenniser ce droit, les différents acteurs doivent s'impliquer, les décideurs, les responsables, les médecins, les infirmiers, les pharmaciens, les citoyens ……. Le droit à la santé c'est un tout , prenez le médicament par exemple, le médecin prescripteur et le pharmacien dispensateur sont des acteurs incontournables dans le droit à l'accès pour tous aux médicaments en intervenant directement sur la consommation des médicaments qui demeure très faible au Maroc ne dépassant pas les 300 dirhams par habitant et par an, ce qui représentant 40 % des dépenses médicales et 35% des dépenses de la CNOPS. Ceci s'explique, entre autre par un faible taux de pénétration des génériques qui est de 25% dans le secteur privé ce qui est anormal, alors qu'il est de 90% dans le secteur public mais aussi par un dysfonctionnement de l'approvisionnement des hôpitaux en médicaments et leur distribution dans toutes les régions du Maroc. Vous comprendrez que le droit à la santé n'est pas et ne saurait être un effet d'annonce , c'est beaucoup plus important que cela. Le circuit des médicaments pose des problèmes. Certains laboratoires fabricants, des grossisteries, certaines cliniques et pharmacies ne respectent pas les bonnes règles. Que pouvez-vous dire à ce sujet ? Je n'ai nulle intention de faire ici le procès de quiconque , ceux qui se mettent en marge de la loi et des bonnes pratiques concernant aussi bien la fabrication , la commercialisation que la distribution des médicament doivent être dénoncés et sanctionnés . Nous avons des instances qui veillent à tous ces aspects. Ceci étant, au niveau du secteur public, il faut savoir que le rôle dévolu à la pharmacie hospitalière est très important : tout est structuré que ce soit dans la gestion du stock des médicaments par leur informatisation, leur délivrance, leur utilisation, il y a un système de traçabilité qui permet une vision claire. Ce sont 10% de la consommation pharmaceutique nationale. Au niveau du secteur privé, vous avez les officines dont le nombre est en constante augmentation, elles permettent de répondre à une demande en médicaments moyenne, chaque pharmacie est quotidiennement visitée par 100 citoyens , c'est 1.000.000 de visites par / jour à l'échelon national. On comprend mieux toute l'importance de ces pharmacies de proximité dans la participation au développement de la santé des citoyens, un rôle qui gagnerait encore plus grâce à une bonne répartition géographique des 12000 officines. Les pharmacies respectent à la lettre le circuit des médicaments et souhaiteraient qu'il en soi de même pour les autres intervenants. S'agissant des cliniques privées , il serait souhaitable que la gestion de la réserve des médicaments puisse se faire par des pharmaciens conventionnés et que la facturation des médicaments consommés au sein de ces cliniques le soit au prix hospitalier et non celui appliqué par les pharmacies. Dans tout cela, il faut prendre le taureau par les cornes comme on dit et exiger de tous le strict respect concernant les médicaments. Le médecin en tant que prescripteur reste le seul juge de ce qu'il doit ou non prescrire à son patient. Il doit bien entendu donner au patient toutes les informations susceptibles de mieux l'éclairer, insister sur le danger relatif à l'automédication ou à l'arrêt du traitement. Le pharmacien doit délivrer les médicaments prescrits, donner les conseils qu'il faut en ce qui concerne le bon usage de ces médicaments, insister sur les aspects relatif à la pharmacovigilance, le respect des doses prescrites, l'horaire des prises de médicaments, la durée du traitement, la gestion des médicaments à domicile et bien entendu, ce qu'il faut faire avec les médicaments qui ne sont plus utilisés et qui doivent être confiés aux pharmaciens d'officines. Parlez-nous des contraintes et problèmes concernant l'accessibilité aux médicaments Des contraintes, il y en a eu, il y en a et il y en aura, il ne faut pas croire que c'est un problème que l'on peut résoudre facilement du jour au lendemain. Les pays les plus riches, ceux qui ont instaurés et mis en place un système de sécurité sociale universelle depuis des décennies sont confrontés aux problèmes de l'accessibilité aux médicaments. Le patient est au centre de notre système de santé conformément aux hautes directives de sa majesté le roi Mohammed VI pour permettre à tous les citoyens de pouvoir bénéficier des mêmes soins dans un esprit d'équité et de solidarité, des valeurs qui ont été mis en place pour plus d'égalité, de justice sociale et d'égalité des chances après une concertation avec tous les intervenants du secteur : ministères, professionnels de santé, gestionnaires de la couverture médicale (CNSS, CNOPS, ANAM) et de la société civile. La grande contrainte était surtout relative à la non généralisation de la couverture médicale (AMO) qui ne dépasse pas actuellement les 30% de la population. Le RAMED vient tout juste d'être mis sur les rails, il faut attendre au moins deux années pour qu'il puisse atteindre sa vitesse de croisière La contrainte qui revient au devant de la scène est relative au prix du médicament qui est considéré très élevé par tous. La place des génériques dans la consommation des médicaments reste aussi une contrainte dans l'accessibilité aux médicaments , le générique dépend de la prescription médicale, du droit de substitution pour le pharmacien d'officine et aussi d'une information objective du patient sur l'efficacité des génériques (rôle des médias). De même, les mécanismes de remboursement des médicaments par la CNOPS, la CNSS et les assurances privées relatif à la liste et aux taux de leur remboursement doivent être en conformité avec l'engagement de l'Etat de favoriser et d'encourager la fabrication et la consommation des génériques avec un objectif à moyen terme d'arriver au taux de leur pénétration de 50% au niveau national au lieu de 25% actuellement. Pour atteindre ces objectifs et faciliter l'accès au médicament, il convient de définir une politique nationale de médicament au niveau de la fabrication locale, de l'importation, de la distribution et du moyen d'en disposer. Il est impératif de créer une Agence nationale du médicament qui réglemente le secteur pharmaceutique (qualité, prix, consommation et pharmacovigilance), mais aussi d'actualiser la législation pharmaceutique (code de la pharmacie et du médicament, le mode de fixation du prix des médicaments, des dispositifs médicaux, de la cosmétologie …etc). Nous tenons à remercier notre camarade le Dr Oualalou Abdelhafid qui nous a consacrés tout le temps nécessaire pour réaliser cette interview dans de bonnes conditions.