La menace hydrique à laquelle fait face aujourd'hui le Maroc était prévisible depuis longtemps. Depuis au moins deux, voire trois décennies, les cycles de sécheresse reviennent avec plus de fréquence et sont plus aigus. Mais quand ces cycles se suivent, et malgré des intermèdes pluvieux et de climat plus clément, la ressource finit naturellement par ne plus se régénérer et donc par s'épuiser dangereusement. Et en saison de sécheresse comme celle qui vient de s'annoncer, le problème ne peut que revêtir un caractère d'urgence nationale absolue. Cette situation, bien que résultant de phénomènes naturels, illustre parfaitement les effets nuisibles et néfastes que peut avoir le décalage du temps partisan et de la décision politique par rapport au temps économique et social. L'on peut comprendre que l'action d'un gouvernement est souvent sous l'emprise de la conjoncture et des urgences du moment telles qu'elles se présentent. Il n'en demeure pas moins qu'une équipe gouvernementale est aussi tenue de développer une action sur le moyen et le long terme. Elle le fait soit dans une optique logique de continuité des politiques publiques déjà entamées qu'il faut améliorer ou renforcer, soit, aussi, pour anticiper des tendances futures et préparer suffisamment tôt des réponses à des questions qui vont être cruciales par la suite. L'ironie du sort veut que dans le cas spécifique de l'eau, le Maroc a été indiscutablement parmi les pays les plus visionnaires, presque 60 ans avant que la problématique ne se pose de manière aussi urgente qu'aujourd'hui. Dès le lendemain de l'indépendance, la célèbre politique des barrages a été un des rares programmes du genre à une époque où la question hydrique ne se posait presque pas et elle a constitué, depuis, une constante dans les politiques publiques du Royaume. C'est d'ailleurs grâce à cette vision pionnière et précoce que le Maroc a pu amortir les cycles de sécheresse des années 80 et 90. Mais il a suffi d'une dizaine d'années durant lesquelles la question des barrages a été délaissée, à cause du décalage du temps politique, pour que l'on se retrouve aujourd'hui presque à la case départ, rendant ainsi vains les acquis de plusieurs décennies. Pour l'eau comme pour d'autres secteurs, dont l'énergie, l'éducation, la santé, la souveraineté industrielle ou encore les retraites, les actions publiques sont le plus souvent complexes, longues, lourdes et même parfois ingrates en termes de «bénéfices politiques», certes. Mais le sens des responsabilités et l'essence même du mandat dont est investi un politique voudrait que l'intérêt collectif présent et futur soit au-dessus de tout, et particulièrement des calculs partisans.