Le chantier de l'eau au Maroc se précise chaque jour à travers la mise en place d'une feuille de route stratégique, la consolidation des infrastructures de mobilisation et la consécration d'une approche de gestion intégrée de la ressource. Si notre pays a connu son lot de périodes de sécheresse durant les décennies et siècles passés, que les Marocains d'hier et d'antan ont dû gérer la rareté de l'eau et trouver des solutions pour s'adapter aux périodes de pénurie, le contexte actuel de changement climatique replace l'enjeu hydrique national à un tout autre niveau. A l'heure actuelle, les impacts du phénomène climatique global sont d'ores et déjà particulièrement rudes au niveau du bassin méditerranéen. Face à ce choc qui met à mal la satisfaction des besoins vitaux en termes de mobilisation de quantités d'eau suffisantes pour satisfaire les divers usages, notre pays peut se targuer d'avoir une infrastructure hydraulique importante et déjà établie grâce à la vision éclairée de Feu Sa Majesté Hassan II qui avait très tôt lancé le vaste chantier d'édification de barrages. La sécurité hydrique du Royaume a depuis continué à constituer un chantier stratégique et prioritaire au vu des diverses avancées réalisées durant les deux dernières décennies. PNE 2020-2050 Le développement économique et démographique qui a façonné le Maroc d'aujourd'hui, impose cependant de considérer la bonne gestion des ressources hydriques comme un enjeu capital d'autant plus que les impacts du changement climatique perturbent de plus en plus le cycle de l'eau et l'accessibilité à cette denrée vitale. Le Nouveau Modèle de Développement a établi les orientations qui servent actuellement de feuille de route pour l'élaboration du tant attendu Plan National de l'Eau (PNE 2020-2050) dont la réalisation devrait mobiliser près 383 milliards de dirhams et qui devrait servir de cadre de référence pour la politique nationale de l'eau couvrant les 30 prochaines années. L'élaboration et la finalisation de ce plan qui se fait actuellement dans un cadre participatif avec les différents secteurs concernés et les représentations des citoyens aux niveaux provincial, régional et national, n'ont cependant pas empêché le lancement d'une de ses composantes prioritaires, à savoir le programme national d'approvisionnement en eau potable et d'irrigation (2020 à 2027). Barrages collinaires Si les chantiers liés à la mobilisation de l'eau au Maroc continuent de prendre la forme de projets de construction de grands barrages dont 15 sont en cours actuellement, l'autre orientation choisie par M. Nizar Baraka, ministre de l'Equipement et de l'Eau, est d'augmenter le rythme de construction des barrages collinaires. Le ministre a insisté à plusieurs occasions sur les multiples rôles que peuvent jouer ce genre d'ouvrage. « Les barrages collinaires jouent un rôle important dans la lutte contre les inondations outre la garantie de l'eau pour le bétail et l'alimentation de la nappe phréatique , avait précisé le ministre. À noter que les barrages collinaires stratégiquement positionnés permettent également de lutter contre l'envasement des grands barrages situés en aval en agissant comme des barrières contre les crues boueuses. Ces ouvrages, qui sont généralement de petite à moyenne taille, jouent par ailleurs un rôle socio-économique important puisqu'ils participent à combler les besoins hydriques des populations rurales des zones où ils sont implantés. Gestion intégrée de l'eau C'est ainsi que 127 nouveaux barrages collinaires verront le jour d'ici 2024. La mobilisation des eaux « conventionnelles » à travers des infrastructures de grande ou de moyenne taille n'est cependant pas suffisante si la gestion de ces ressources n'est pas efficace. A cet égard, l'approche prônée par M. Nizar Baraka est de privilégier une gestion intégrée des ressources en eau, qui s'impose comme la solution à une triple équation : optimiser la gestion de la ressource hydrique dans un contexte marqué par sa raréfaction et par la perturbation du cycle de l'eau, en veillant à intégrer les besoins de toutes les parties prenantes, y compris de la Nature elle-même. L'enjeu étant de satisfaire les besoins hydriques des divers types d'usagers actuels en tenant compte des besoins des futures générations, mais également en permettant aux écosystèmes naturels d'avoir leur part en ressources hydriques pour qu'ils puissent continuer à fournir les précieux services écosystémiques qui garantissent –entre autres- une meilleure mitigation des impacts des changements climatiques.
Repères Barrages collinaires Les barrages et lacs collinaires sont des aménagements de moyenne et petite hydraulique sur les cours d'eau secondaires dans les parties amont de grands bassins versants. Il s'agit de digues en terre compactée avec un déversoir latéral donnant lieu à des retenues d'eau de quelques dizaines de milliers de m3 à quelques millions de m3. Leur construction vise des objectifs à la fois de conservation des eaux et des sols, de protection d'aménagements plus importants à l'aval et de développement local.
Impact sur l'environnement Aussi précieux qu'ils puissent être pour le développement local, les barrages collinaires doivent se faire dans le respect des règles de l'art : choix de la position bien étudiée pour ne pas impacter négativement l'accès à l'eau des populations en aval, réalisation d'études d'impact sur l'environnement et dimensionnement adapté au contexte local. À noter que ce genre d'ouvrage a été utilisé depuis la haute antiquité dans diverses régions méditerranéennes. Certains existent toujours, mais sont complètement remplis de sédiments. L'info...Graphie Envasement Le rôle des barrages collinaires dans la lutte contre l'envasement
Au Maroc, la période de sécheresse du début des années quatre-vingts, considérée comme la plus longue jamais observée, a été le point de départ d'une politique de construction de petits barrages et de lacs collinaires. Ces ouvrages ont été principalement destinés à l'irrigation, à l'abreuvement du bétail, à la protection contre les crues ou à l'alimentation en eau potable des zones rurales dépourvues de ressources en eaux souterraines facilement exploitables. Au cours des années 70 et 80, le Maroc s'est doté d'une importante infrastructure hydraulique, or la quasi-totalité des grands barrages sont concernés par des apports importants en sédiments et de nombreux petits barrages ont donc été construits pour ralentir leur envasement. Par exemple, le plus grand barrage du Royaume, Al Wahda sur l'oued Ouergha dans la province de Sidi Kacem, est protégé par de nombreux petits barrages construits dans l'amont de son bassin pour retenir les produits de l'érosion provenant des fortes pentes marneuses du Rif.
Eaux non-conventionnelles Fédérer les efforts pour utiliser les eaux usées traitées dans l'irrigation
Les 23 et 24 mars 2022 s'est tenu à l'Ecole nationale des sciences appliquées (ENSA) d'Al Hoceima la 4ème édition des journées scientifiques sur l'eau (JSE4). Cet événement se veut comme une occasion pour les étudiants et les chercheurs de faire le point sur leurs recherches dans le domaine de l'eau en général, et des eaux non-conventionnelles en particulier, et de mettre l'accent sur les résultats qu'ils ont obtenu à cet effet, en plus d'échanger leurs expériences et de débattre des défis posés. Dans une déclaration à la MAP, M. Lamhamdi, professeur à l'ENSA d'Al Hoceima, a souligné que « le Maroc a réalisé d'importants progrès » en matière d'utilisation des ressources en eau non conventionnelles, notamment l'eau de mer dessalée et les eaux usées traitées ». M. Lamhamdi a cité l'exemple des diverses stations d'épuration des eaux usées et de dessalement d'eau de mer situées dans plusieurs villes du Royaume, dont l'apport permettra à terme « d'enrayer la surexploitation des nappes phréatiques ». La même source a insisté sur l'importance de l'utilisation de ressources alternatives à l'eau potable, telles que l'eau de mer dessalée et les eaux usées traitées, pour l'arrosage d'espaces verts ou l'irrigation de cultures. L'universitaire a, à cet égard, noté la nécessité de fédérer les efforts des différents acteurs, parties prenantes et services concernés, notamment les collectivités territoriales et l'Office national de l'électricité et de l'eau potable (ONEE), afin de renforcer l'utilisation des ressources en eau non-conventionnelles pour l'irrigation.
3 questions à Hassan Agouzoul M. Nizar Baraka a tracé la voie vers la concrétisation des orientations du NMD en matière de ressources hydriques
Expert en changement climatique, Hassan Agouzoul répond à nos questions concernant les facteurs de succès du chantier lié à la gestion de l'eau au Maroc. - Quelle est votre perspective sur les moyens de faire face aux enjeux hydriques nationaux dans le contexte actuel marqué par le changement climatique ?
- Aujourd'hui, le diagnostic stratégique lié au chantier de l'eau au Maroc a bien été établi par les divers acteurs, notamment à travers le Nouveau Modèle de Développement (NMD) qui a tracé la voie vers une autonomie et souveraineté hydriques et a également acté un nouveau business modèle de l'eau. M. Nizar Baraka, ministre de l'Eau et de l'Equipement, a également tracé la voie vers la concrétisation des orientations du NMD en matière de ressources hydriques en actant trois principes : la gestion intégrée des ressources en eau, l'efficacité hydrique dans tous les secteurs de la demande, le recours au dessalement et l'utilisation de nouvelles ressources non-conventionnelles qui vont acter notre autonomie hydrique et neutraliser le lien étroit qui existe actuellement entre les précipitations et l'agriculture, l'alimentation en eau potable et l'économie. -Quel est pour vous le principal défi qui se profile dans ce domaine ? -Comme je l'ai précédemment expliqué, le business modèle de l'eau au Maroc est désormais acté, le diagnostic et les solutions ont été définis, aujourd'hui le défi du Maroc, c'est la mise en oeuvre dont le succès est lié à la capacité technique de réalisation des projets et à la conscience des diverses parties prenantes concernant le nouveau rôle qu'elles doivent jouer. -Quels sont selon vous les autres facteurs qui détermineront le succès de la mise en oeuvre du chantier lié à la gestion de l'eau au Maroc ? -En plus d'un capital humain qualifié dans de nouveaux secteurs comme le dessalement et la réutilisation des eaux, se profile également le défi de la convergence des politiques publiques et de la redéfinition de nouvelles règles de coordination entre les différents acteurs pour arbitrer et affecter la ressource entre les différentes demandes d'usage. Revoir la tarification de l'eau et l'implication du secteur privé dans le financement des projets seront également des facteurs déterminants.