La gestion intégrée de l'eau est le meilleur moyen d'assurer un arbitrage participatif pour satisfaire les besoins de tous les usagers, y compris ceux de la Nature elle-même. À la Chambre des Représentants, le ministre de l'Equipement et de l'Eau, M. Nizar Baraka, a annoncé le 17 janvier l'allocation d'une enveloppe budgétaire de 3 milliards de dirhams dans le cadre d'un programme d'urgence pour résoudre la problématique de la rareté des ressources hydriques. Les divers axes d'intervention qu'il a détaillés font écho aux orientations stratégiques du secteur de l'Eau qu'il avait déjà annoncées en novembre dernier à la même Chambre des Représentants. C'est le cas notamment pour la mise en oeuvre du principe de gestion intégrée de l'eau : « Ce principe implique qu'il y ait d'abord une gestion participative et inclusive des ressources hydriques. Un autre point fondamental de ce principe est de prendre en considération les aspects et besoins liés au cycle de l'eau, aux populations humaines, au bétail, mais aussi aux ressources naturelles. Cette approche nous permettra d'augmenter les bénéfices socioéconomiques que permet l'exploitation des ressources hydriques, tout en veillant à ne pas porter de préjudice à l'environnement », avait ainsi souligné le ministre durant son premier grand oral. Solution à une triple équation La gestion intégrée des ressources en eau ainsi expliquée laisse transparaître une vision d'ensemble qui tient compte de la complexité du problème de pénurie d'eau, d'autant plus que cette raréfaction de la ressource intervient dans un contexte de changement climatique galopant. De cette manière, la gestion intégrée de l'eau s'impose comme la solution à une triple équation : optimiser la gestion de la ressource hydrique dans un contexte marqué par sa raréfaction et par la perturbation du cycle de l'eau, en veillant à intégrer les besoins de toutes les parties prenantes, y compris de la Nature elle-même. L'enjeu étant de satisfaire les besoins hydriques des divers types d'usagers actuels en tenant compte des besoins des futures générations, mais également en permettant aux écosystèmes naturels d'avoir leur part en ressources hydriques pour qu'ils puissent continuer à fournir les précieux services écosystémiques qui garantissent - entre autres - une meilleure mitigation des impacts des changements climatiques. 120 barrages collinaires Une autre orientation annoncée par M. Baraka en novembre, et confirmée il y a quelques jours, est l'augmentation du rythme de construction des barrages collinaires. Le ministre a insisté à plusieurs occasions sur les multiples rôles que peuvent jouer ce genre d'ouvrage. « Cette année connaîtra le lancement d'un programme composé de 120 barrages collinaires et qui devra prendre fin en 2024. Les barrages collinaires jouent un rôle important dans la lutte contre les inondations, outre la garantie de l'eau pour le bétail et l'alimentation de la nappe phréatique », a précisé la même source. À noter que les barrages collinaires stratégiquement positionnés permettent également de lutter contre l'envasement des grands barrages situés en aval en agissant comme des barrières contre les crues boueuses. Ces ouvrages, qui sont généralement de petite à moyenne taille, jouent par ailleurs un rôle socio-économique important puisqu'ils participent à combler les besoins hydriques des populations rurales des zones où ils sont implantés. Gestion intégrée de l'eau Le ministre de l'Eau a par ailleurs évoqué plusieurs autres orientations, notamment les projets de dessalement de l'eau de mer ou encore d'amélioration de l'efficience hydrique. Dans une récente interview accordée à la MAP, M. Nizar Baraka a cependant rappelé que cette année a été marquée par le recul de 59% des ressources hydriques. « Le taux de remplissage des barrages a atteint actuellement seulement 34% avec 5,3 milliards m3, alors que la capacité des barrages dépasse les 19 milliards m3 », a-t-il précisé. En plus des divers investissements et projets en cours, le ministre a tenu à rappeler l'importance de l'approche de la mise en oeuvre du principe de gestion intégrée des ressources hydriques : « Il est temps d'opter pour une gestion intégrée de l'eau aussi bien auprès des producteurs que des consommateurs de cette denrée vitale. La gestion intégrée de l'eau est à même d'assurer un usage plus efficace, plus efficient et plus rentable, ce qui garantira, à moindre coût, l'eau potable à l'ensemble des citoyens, ainsi que l'eau dédiée à l'irrigation et à l'ensemble des activités économiques ». Souhail AMRABI Repères Barrages collinaires Les barrages et lacs collinaires sont des aménagements de moyenne et petite hydraulique sur les cours d'eau secondaires dans les parties amont de grands bassins versants. Il s'agit de digues en terre compactée avec un déversoir latéral donnant lieu à des retenues d'eau de quelques dizaines de milliers de m3 à quelques millions de m3. Leur construction vise des objectifs à la fois de conservation des eaux et des sols, de protection d'aménagements plus importants à l'aval et de développement local.
Impact sur l'environnement Aussi précieux qu'ils puissent être pour le développement local, les barrages collinaires doivent se faire dans le respect des règles de l'art : choix de la position bien étudié pour ne pas impacter négativement l'accès à l'eau des populations en aval, réalisation d'études d'impact sur l'environnement et dimensionnement adapté au contexte local. À noter que ce genre d'ouvrage a été utilisé depuis la haute Antiquité dans diverses régions méditerranéennes. Certains existent toujours, mais sont complètement remplis de sédiments. L'info...Graphie Lutte contre l'envasement Le rôle des barrages collinaires
Au Maroc, la période de sécheresse du début des années quatre-vingts, considérée comme la plus longue jamais observée, a été le point de départ d'une politique de construction de petits barrages et de lacs collinaires. Ces ouvrages ont été principalement destinés à l'irrigation, à l'abreuvement du bétail, à la protection contre les crues ou à l'alimentation en eau potable des zones rurales dépourvues de ressources en eaux souterraines facilement exploitables. Au cours des années 70 et 80, le Maroc s'est doté d'une importante infrastructure hydraulique, or, la quasi-totalité des grands barrages sont concernés par des apports importants en sédiments et de nombreux petits barrages ont donc été construits pour ralentir leur envasement. Par exemple, le plus grand barrage du Royaume d'Al Wahda sur l'oued Ouergha, dans la province de Sidi Kacem, est protégé par de nombreux petits barrages construits en amont de son bassin pour retenir les produits de l'érosion provenant des fortes pentes marneuses du Rif.
Ecosystèmes Vers la mise en place d'un débit écologique au Maroc
Le débit écologique est un processus qui prend en considération l'écoulement naturel des cours d'eau avant l'intervention humaine, notamment par la construction des ouvrages de retenue ou de dérivation pouvant menacer l'équilibre des écosystèmes aquatiques. Dans cette optique, l'Agence du Bassin Hydraulique du Sebou (ABHS) et le WWF Maroc ont réalisé une étude pilote sur le débit écologique à appliquer au niveau du barrage Allal El Fassi. Des études faunistiques, floristiques, hydrologiques et qualitatives de l'eau ont permis de définir le débit écologique nécessaire à la sauvegarde de la biodiversité dans le cours d'eau correspondant et à la préservation de la qualité écologique des eaux de surface. L'intégration réglementaire d'un débit écologique pour une meilleure gestion intégrée des ressources en eau, constituerait une opportunité incontournable pour assurer l'utilisation durable de la ressource hydrique et sauvegarder la biodiversité et les services écosystémiques d'eau douce. La mise en place de cet outil contribue à la lutte contre les effets du changement climatique, des épisodes de pénurie d'eau et de la pression croissante exercée sur les ressources naturelles dans certaines régions du Maroc. Aujourd'hui, le débit écologique a fait ses preuves et son application a lieu dans une trentaine de cours d'eau à travers le monde. Il a permis non seulement de protéger les écosystèmes aquatiques, mais aussi les avantages sociaux, économiques et culturels fournis aux populations.
3 questions au Dr Oussama Belloulid, chef de projet au WWF Maroc « Les bonnes pratiques et techniques de gestion durable des eaux et des terres se basent sur un savoir-faire ancestral riche accumulé depuis des siècles »
Spécialisé en gestion des ressources hydriques, Oussama Belloulid, chef de projets Eaux Douces au WWF Maroc, répond à nos questions sur les bonnes pratiques de gestion des eaux et des terres. - En quoi consistent les techniques de gestion durable des eaux et des terres ? - Les bonnes pratiques et techniques de gestion durable des eaux et des terres se basent sur un savoir-faire ancestral riche accumulé depuis des siècles. Ces techniques traditionnelles ont fait leur preuve à travers l'Histoire et constituent encore des solutions adaptées aux territoires et à leurs spécificités. Elles sont par ailleurs très variées et accessibles en termes d'investissement. Quand leur réalisation est bien faite, elles permettent d'avoir un impact positif sur les communautés, mais également sur la conservation des eaux, des sols et de la biodiversité. - Ces techniques sont-elles encore utilisées au Maroc ? - Malheureusement, elles sont de plus en plus mal adoptées ou même abandonnées soit par manque de savoir-faire des utilisateurs des ressources, soit à cause de la reconversion de la plupart des parcelles en cultures de rente qui visent en premier lieu le marché et non pas seulement l'autoconsommation. - De quelle manière est-il possible d'encourager l'utilisation de ces techniques ? - Le WWF Maroc a compilé les bonnes pratiques utilisées ou à recommander pour la gestion conservatoire des ressources en eau, des terres et du couvert végétal. L'ensemble des techniques identifiées ont ainsi été expliquées en détail dans le guide que nous avons préparé et qui est téléchargeable sur notre site web. De plus, et dans le cadre de son programme Fonds de l'Eau du Sebou, le WWF Maroc et ses partenaires appuient la mise en oeuvre des modes traditionnels durables de gestion des eaux et des sols, basés sur des solutions fondées sur la Nature, qui concernent les pratiques visant à respecter l'environnement, freiner la dégradation des terres, améliorer la conservation de la biodiversité, et accroître la résilience aux variations et changements climatiques au niveau du Bassin de Sebou.