Certains parents exercent une forte pression sur leurs enfants pour qu'ils réussissent dans leurs études. Leur justification : un système scolaire sélectif et la course aux établissements cotés. On constate pourtant souvent que des adultes ayant réussi professionnellement ont été des élèves très moyens. Loin d'aider l'enfant, ce stress produit au contraire démobilisation et dépréciation de soi. Les parents sont de plus en plus stressants à l'égard de leurs enfants concernant les résultats scolaires. C'est normal, ils se préoccupent de plus en plus de leur avenir professionnel. Chaque année, à l'approche des examens, l'angoisse s'empare d'eux et la pression monte. Certains enfants subissent ce stress dès le préscolaire, alors qu'ils n'ont pas encore quatre ans. Le souci des parents est d'inscrire leur enfant, à six ans, dans une bonne école primaire, de préférence une de celles permettant de passer dans le système d'enseignement français. Samir, 11 ans, est élève à l'école Saint Dominique, à Casablanca, depuis l'âge de 4 ans. En 2007, il entre en CE6. Dès la rentrée, ses parents l'inscrivent d'office à des cours de soutien pour le préparer au concours de cinq collèges privés très cotés et qui dispensent un enseignement de type français. Samir raconte : «Depuis le début de l'année, je n'ai jamais eu un samedi libre, mes parents m'ayant inscrit à des cours de soutien en maths». Des cours de soutien de maths en langue française car il a toujours étudié les maths en arabe. Même chose pour 25 des 30 élèves de sa classe que leurs parents tiennent absolument à mettre au top niveau à la fin de l'année. Samir a réussi le concours d'accès au groupe scolaire Bennis, mais pas celui d'Al Jabr. Lui est content, mais ses parents sont très déçus. Ils tenaient à l'envoyer dans ce dernier établissement! Pour le préparer à la session de septembre du concours, rebelote, ils l'inscriront de nouveau cet été pour des cours de soutien. Assia Akesbi, psychologue, a souvent rencontré de pareils cas : des parents qui demandent trop d'efforts à leurs enfants, au détriment de leur équilibre psychique et de leur repos. «Les enfants subissent une pression terrible de la part des parents, mais aussi de la part de certaines écoles. Ces dernières mettent la barre très haut. Résultat : les enfants se déprécient et angoissent. Cette dépréciation retentit sur leur psychisme. Ces écoles prétendent mettre l'accent sur l'épanouissement de l'enfant, mais il n'en est rien». L'enfant de quatre ans a besoin de vivre le plus librement possible pour consolider son assise narcissique La psychologue comprend encore moins l'acharnement des parents dont les enfants ont à peine quatre ans. A cet âge, l'enfant maîtrise à peine une langue, et ses parents exigent de lui plus qu'il ne peut donner pour le préparer au concours d'accès à certaines écoles primaires privées : tests portant sur le langage (en français), sur le graphisme, le mode de raisonnement, l'organisation spatiale. «C'est énorme, s'insurge Mme Akesbi. A quatre ans, un enfant doit avoir plus d'activités libres, or, on l'emprisonne dans un cadre étroit. L'enfant, à cet âge, doit avoir une bonne estime de lui-même, de ses enseignants, de sa famille, au lieu de vivre une dépréciation continue. Il ne doit pas être classé, comparé à d'autres. Il a besoin de vivre, le plus librement possible, sa vie psychique pour consolider son assise narcissique». La psychologue vient d'ailleurs de publier un ouvrage (voir page 69) entièrement consacré à l'éducation préscolaire des enfants de moins de six ans, mettant en garde contre les faux-pas. «Les responsables, écrit-elle, cèdent souvent en faveur d'une rentabilité scolaire qui ne manque pas de faire appel à des sanctions. Ainsi, l'apprentissage ludique risque de céder le pas à un apprentissage stressant». Souad B. est mère de deux enfants, un garçon de 11 ans et une fillette de 6 ans. Elle s'inquiète outre mesure pour leur scolarité. Elle suit celle-ci de près, les aide dans leur travail scolaire et signe quotidiennement leur cahier de bord. Un jour, son garçon, plutôt bon élève, récolte un 7 sur 20 dans un contrôle. La mère s'énerve, culpabilise, a du mal à digérer cette note : elle retrousse ses manches et administre une fessée à l'enfant. Souad, qui a pourtant un niveau culturel respectable, justifie ainsi son attitude : « Je l'ai battu non pas à cause de la mauvaise note, mais parce qu'il m'a caché qu'il allait subir un contrôle, sinon je l'aurais empêché de sortir pendant le week-end pour se consacrer à son travail». Si nous croyions révolue l'époque où les parents battaient leurs enfants pour raison de mauvaises notes, nous constatons qu'il n'en est rien. La brutalité verbale et physique, aussi bien des parents que des enseignants, n'a pas disparu de nos maisons ni de nos écoles. Une chose est sûre : les séquelles psychologiques de cette brutalité sont difficiles à effacer. Des adultes qui ont aujourd'hui réussi leur carrière professionnelle restent traumatisés à vie par la violence exercée par leurs parents. «Pour éviter ces punitions, il fallait que j'obtienne toujours de très bons résultats, avec les félicitations du conseil de discipline. Mon père n'acceptait pas moins que cela. Sinon c'était la bastonnade. Ce fut pour moi une véritable torture», se souvient un haut cadre d'une entreprise privée (voir témoignage). Nous sommes là en face de parents dépassés par leur propre inquiétude et leurs angoisses et dont les attitudes ne sont ni justifiées ni efficaces, rappelle Bouchaïb Karoumi, pédopsychiatre à Casablanca. «Au contraire, un élève qui prépare un examen a besoin d'un environnement adapté et favorable, d'une situation familiale stable. Exercer sur les enfants une pression par des violences verbales ou physiques est une réponse inadaptée, inefficace, qui peut même avoir un effet tout à fait contraire : démoralisation, dépréciation, démobilisation». Eviter de s'identifier à son enfant car parents et enfants ont vécu dans un contexte totalement différent Psychologues et éducateurs conviennent que la meilleure façon d'aider son enfant dans sa scolarité est de suivre cette dernière de près, mais par le dialogue. Au lieu de s'intéresser uniquement aux notes et résultats de fin d'année, il faut rester proche de son enfant tout au long de l'année, lui poser des questions et écouter ses réponses, au sujet de sa scolarité, bien sûr, mais pas seulement. Une erreur à éviter absolument, mais que beaucoup de parents commettent : s'identifier à ses enfants. La génération actuelle, accusent certains parents, est légère, ne travaille pas assez, veut en permanence faire la fête, gagner de l'argent facilement… Il n'y a pas lieu de faire cette comparaison, insiste M. Karoumi, car le contexte n'est pas le même. «Les parents disent avoir réussi même sans avoir disposé des mêmes moyens que leurs enfants. Cette comparaison est mal venue : les enfants ont maintenant des connaissances plus poussées que leurs parents à leur âge. La différence est que, aujourd'hui, il y a plus de concurrence et de compétition qu'il y a trente ans». Les conditions d'études sont devenues plus difficiles et les perspectives d'avenir plus inquiétantes que pour les générations précédentes, comment ne pas se tresser ?, se demande un père de trois enfants. Non seulement il faut travailler mieux pour réussir son Bac, mais, en plus, il faut obtenir de meilleures notes pour postuler à certaines écoles de commerce, d'ingénieurs, ou aux facultés de médecine. Réussir brillamment son cursus scolaire et réussir sa carrière professionnelle sont deux choses différentes, nuance Assia Akesbi. «Il y a des gens qui ont réussi brillamment leur carrière professionnelle, alors qu'ils avaient un niveau très moyen à l'école» (voir entretien ci-dessus). Autrement dit, le diplôme n'est pas la clé de la réussite professionnelle. Les cabinets de recrutement l'ont compris : lors des entretiens, les questions qui reviennent le plus souvent ne concernent pas les connaissances scolaires acquises au long des années, mais sont relatives, au-delà des diplômes, aux capacités relationnelles du candidat, à son sens de la responsabilité, à son aisance à s'exprimer, à sa créativité, à l'estime de soi, «des qualités pour lesquelles les enfants ne sont toujours pas préparés», souligne un recruteur. Trois questions à: La valeur éducative d'une mauvaise note est très importante Assia Akesbi, Psychologue La Vie éco : Exercer une pression constante sur ses enfants pour qu'ils travaillent mieux à l'école est-il forcément négatif ? Assia Akesbi : C'est forcément négatif. Quand on parle de pression, on efface ipso facto les limites de l'enfant et de l'adolescent. Or, ce dernier doit être reconnu dans ses limites. J'ai malheureusement rarement rencontré des enfants qui ne se déprécient pas sitôt qu'ils ont montré leurs limites. C'est parce qu'ils subissent la pression de leurs parents. Chaque parent veut que son enfant soit le premier de la classe, avec la moyenne la plus élevée. Cette attitude est négative, car, dans la vie, on ne réussit pas tout ce que l'on fait. La valeur éducative d'une note moyenne, d'une mauvaise note, voire carrément d'un zéro est très importante. Cette note fait découvrir à l'élève ses limites. On ne peut pas acquérir un minimum d'équilibre psychologique si on n'accepte pas ses limites. On le constate chez des étudiants en classes préparatoires qui se retrouvent avec des candidats plus forts qu'eux, et qui ne réussissent pas, ou moins bien que les autres, et qui craquent complètement. Mais, aujourd'hui, un élève moyen, une note moyenne au Bac ne mènent pas loin… Malheureusement, il y a des carrières brisées à cause de cela. Mais un élève moyen, qui avance selon ses limites, à coup d'essais et d'erreurs, se porte beaucoup mieux. Et même dans sa carrière professionnelle, il pourra réussir mieux que celui qui a eu de meilleures notes. Il y a des gens qui ont réussi brillamment leur carrière alors qu'ils avaient un niveau très moyen à l'école. Or, aujourd'hui, la loi de l'offre et de la demande fait que les enfants moyens sont les moins bien servis et cela va à l'encontre de leur équilibre psychologique. Etre premier de sa classe, cela est souvent obtenu au prix de lourds sacrifices, les enfants en payent le prix au niveau de leur équilibre, de leur bien-être, de leur bonheur, tout simplement. On a besoin d'apprendre à nos enfants que l'essentiel est qu'ils soient heureux dans leur cursus scolaire. Ce n'est pas par les menaces et la peur qu'ils le réussiront, mais par l'envie d'apprendre. Or, cette dernière est reléguée au second plan par rapport aux résultats. Les garçons subissent-ils plus de pression que les filles ? Je n'ai pas cette impression. Statistiquement, d'après mon expérience en tant qu'enseignante à l'Iscae depuis trente ans, les premières notes sont obtenues par des filles. Ces dernières subissent plus de pression étant donné que les études sont pour elles un moyen de s'imposer à la famille et à la société. Elles mettent donc les bouchées doubles pour réussir.