S'interroger sur la légitimité, la légalité et surtout les effets de cours particuliers, c'est, bien sûr, tenter de répondre à la question de savoir en quoi ils contribuent à la réussite scolaire. Mais poser cette question conduit immédiatement à d'autres : s'ils y contribuent, de quelle manière le font-ils, et pourquoi avoir besoin de ces cours si les apprentissages sont convenablement assimilés en classe? Ce qui nous pousse à rechercher d'autres retombées, pas toujours gratifiantes, que la seule amélioration possible des résultats scolaires ou des performances aux examens et concours. La compétition scolaire, devenue une donnée essentielle dans le système scolaire marocain, tous les parents, voulant inscrire leur progéniture dans les classes prépas, les écoles de prestige, les meilleures universités, savent que la note du bac est plus que déterminante. Les cours particuliers permettent au mieux d'aider à préparer les examens, au pire à déculpabiliser les parents. On entend souvent après un échec la fameuse litanie « J'ai tout fait pour toi, je t'ai payé les cours de maths, de physique... ». On a l'impression que pour tous les élèves, et les parents, et de toutes les catégories sociales, l'avenir professionnel et donc social de l'élève se joue dans son parcours scolaire. Les diplômes étant pour tous de plus en plus nécessaires, même s'ils reconnaissent qu'ils sont de moins en moins suffisants. Cette situation pousse les familles à user et parfois abuser de stratégies scolaires diverses où la recherche de l'excellence et du choix de l'établissement se conjugue avec le recours à divers adjuvants scolaires, dont les cours particuliers. Cela se traduit par des cours particuliers dans des disciplines où l'élève obtient déjà de bons résultats, combinées au choix des langues vivantes valorisantes. Les flux d'élèves prenant des cours particuliers qui suivent une progression exponentielle s'explique par cette compétition vers les écoles de prestige que les notes de bac déterminent. Mais cette course effrénée vers les meilleures notes, qui ne rime pas toujours d'ailleurs avec performance et excellence, a engendré des situations et des pratiques douteuses, parfois dangereuses qui commencent à engranger le système et à donner une image désastreuse de l'école publique et surtout des enseignants. Comme ces cours particuliers, plus communément appelés cours supplémentaires, sont donnés à titre payant, en dehors des heures scolaires, dans les disciplines que les élèves apprennent à l'école. Généralement, c'est le professeur lui-même qui invite les élèves à faire ces cours chez lui. Et comme c'est lui qui est habilité à noter les élèves, surtout pour la fameuse note du contrôle continu (25% au bac), on n'est pas loin du chantage. En fait, si on pousse le curseur un peu loin, on s'apercevra que les parents payent les notes du contrôle continu et non les cours qui deviennent une formalité pour déguiser une pratique illégitime et illégale. Autre effet néfaste de ces cours particuliers, tels qu'ils sont pratiqués, ils donnent l'impression qu'ils remédient à des défaillances du système scolaire et alimentent donc une méfiance vis-à-vis de l'école publique. Des parents, conscients de ces manques et disposant des moyens de le faire, s'efforcent donc de les "compenser" par des cours, or le professeur est le même, les moyens dont dispose le lycée ou le collège, malgré leur insuffisance sont largement meilleurs que les moyens disponibles dans une maison, un garage... Et in fine, ces cours commencent à peser lourd dans les budgets des familles. 200 à 300 Dhs la séance de deux heures dans certaines disciplines. Après avoir réussi, relativement, la généralisation et la démocratisation de l'enseignement, va-t-on revenir à un système où seuls les parents pouvant inscrire leurs enfants dans des écoles privées et payer des cours particuliers auront la possibilité d'ambitionner un enseignement de qualité ? Certes, le ministère est conscient de ces pratiques, mais, comme toujours, le diagnostic est relativement aisé, ce sont les mesures à prendre et les décisions qui posent problème. En voulant intégrer les cours de soutien dans le système, et plus précisément dans les horaires hebdomadaires des enseignants, le ministère vise légitimement une amélioration des apprentissages qui rendrait caduc le recours aux cours particuliers, mais attention aux effets pervers. On ne pourrait réussir une initiative pareille en donnant l'impression qu'on voudrait tout régler sur le dos des enseignants, donc la majorité ne donne pas de cours particuliers et n'a rien à se reprocher. Un effort de pédagogisation est nécessaire. Et si on revenait sur cette fameuse note du contrôle continue ( 25% au bac) qui semble devenir un fonds de commerce pour plusieurs établissements et enseignants peu scrupuleux ? Cela aura le mérite de régler une question d'égalité des chances tout en poussant les établissements privés à entamer une concurrence sur la qualité des enseignements et non sur les largesses des notes. C'est une affaire de courage politique.