Les animateurs des nouvelles radios ont un ton plus libre, décomplexé, mais sont parfois taxés de vulgarité et de populisme. Les anciens parlent de «dérapages». La Haca fait un suivi «sélectif» faute de moyens. L'audimat grimpe et la publicité sur certaines tranches est réservée une année à l'avance. Avec une petite dizaine de chaînes, tant privées que publiques, le paysage radiophonique marocain commence à avoir fière allure, et voit surtout éclore une nouvelle génération de stars plébiscitées par le grand public qui ne jure plus que par elles. L'explication pourrait tenir au fait que ces «stars» abordent sans complexe, quoique de manière souvent détournée, les questions pourtant taboues du sexe et de la religion, dans un environnement jusque-là fermé, furieusement soumis à la (auto?) censure, mais pas seulement. Pour la plupart animateurs, âgés en moyenne de 35 ans, ils font le bonheur de CasaFM, Hit Radio, RTM Chaîne Inter, Chada FM ou encore d'Aswat, mais pas celui des puristes et des dinosaures du métier qui, bien que leur reconnaissant des qualités, se disent, pour la plupart, parfois «consternés» par ce qu'il qualifient de vulgarité, de méchanceté gratuite et de manque de professionnalisme. Si les anciens étaient nourris à RTL ou Macha Béranger, les nouveaux ont Cauet pour idole L'histoire commence courant 2006. La libéralisation des ondes tant attendue est désormais effective, et les stations ayant reçu leur précieux sésame se dépêchent d'émettre. Le succès est immédiat, foudroyant même. Actuel animateur des matinales sur Radio 2M, après avoir fourbi ses armes à Médi 1, puis à RTM Chaîne Inter, Abdou Souiri compare volontiers ce rush à celui qu'a connu 2M lors de son lancement, en 1989, quand seule la TVM trustait insolemment le paysage audiovisuel marocain. Le son de cloche est quasiment le même du côté de Imad Kotbi, animateur vedette du «Kotbi Show» sur CasaFM, pour qui «les gens attendaient avec impatience cette ouverture», obligés qu'ils étaient d«'écouter des émissions au style ancien, animées par des vieux nourris à RTL et à Macha Beranger». L'analyse est peu amène mais pas totalement infondée, tant le style des nouveaux mousquetaires de la radio est aux antipodes de celui de leurs aînés, plus nerveux, plus décalé, plus «fun, mais adapté à la culture marocaine», selon les termes de Kotbi. Plus fun ? mais pas forcément novateur ni exempt de reproches. Animateurs à succès sur Radio 2M et Radio Chaîne Inter, Anis Hajjam et Hafid Alifi, deux pointures dans leur métier, s'accordent à reconnaître la nécessité d'un souffle nouveau à la radio, frais et revigorant, à la condition qu'il soit «encadré et offre autre chose que du copier-coller des stations françaises». Ce que ne renient pas du reste les nouveaux-venus qui citent sans sourciller Sébastien Cauet voire l'Américain Howard Stern comme références, des animateurs vedettes qui ont fait de la provocation leur signe distinctif. Et ça marche. Ça court même. Les jeunes Marocains, toutes couches sociales confondues, ne jurent en effet que par Noreddine sur la RTM, Imad Kotbi et Nabil Bennani (Nab) sur CasaFM, et Mohamed Bousfiha (Momo) sur Hit Radio, pour ne citer qu'eux. Ces derniers sont inondés de mails, de SMS, de lettres et de coups de fil, dans un système d'interaction devenu un véritable fonds de commerce, et qui semble avoir instantanément trouvé ses adeptes. «La tranche horaire de Noreddine, celle du 19-22h, est vendue une année à l'avance aux annonceurs, et de 5 heures à une heure du matin, le téléphone ne sonne que pour lui», assène Hafid Alifi. Mais si le succès public est là, celui, critique, est plus mitigé. Car Noreddine et son «VIP», véritable fourre-tout composé de musique populaire, de talk-show et de parole donnée à l'auditeur, le tout décliné dans une langue – l'arabe dialectal – approximative et peu maîtrisée (né à Khouribga, l'animateur a passé l'essentiel de sa vie en France), est le plus pointé du doigt par la profession, tant pour son supposé populisme que pour ses légendaires dérapages. «Ce n'est pas de sa faute, il ne maîtrise pas totalement la langue arabe. Il est avant tout de bonne foi», le dédouane Hafid Alifi. «On ne manque pas de respect à ce point à ses auditeurs, jusqu'à les agresser verbalement, car c'est manquer de respect à toute la profession», rétorquent de concert Anis Hajjam et Abdou Souiri. Ce dernier enfonce un peu plus le clou : «Hit Radio semble avoir trouvé sa voie, son positionnement qui correspond à une cible donnée, tout comme Aswat, gérée par un homme du métier. CasaFM tente de jouer sur l'interactivité. Mais le problème, c'est RTM Chaîne Inter, qui est une entité avec une histoire, de l'expérience, et qui laisse libre cours à ces dérapages récurrents». Dérapages. Le mot est lâché et s'applique généralement à toutes les stations nouvelles qui s'appuient sur l'interactivité pour booster leur audimat. Car, à trop compter sur l'improvisation, l'approximation prend très vite le dessus. C'est normal, concède Imad Kotbi : «On en est au début, les dérapages sont inévitables. Une sélection naturelle se fera avec le temps, mais là, on fait avec ce qu'on a. On manque tellement d'animateurs, francophones surtout, que le fait d'avoir une voix, un peu de tchatche et de talent suffisent pour faire de la radio». Il est rejoint dans son avis par Hafid Alifi qui justifie cette agitation par une course frénétique à l'audimat, qui implique du bon et du mauvais. C'est très bien de s'adresser aux auditeurs dans leur langue, dit-il, mais «il ne s'agit pas non plus de se prostituer pour gagner des parts de marché. D'ailleurs, à RTM Chaîne Inter, chaîne a priori élitiste, on s'est toujours demandé s'il fallait descendre vers une frange d'auditeurs bien précise, ou bien l'aider à améliorer son niveau, ce qui demande du temps qu'on n'avait pas. Il fallait frapper un grand coup, refaire parler de nous, car il y allait de notre survie. Nous sommes une radio semi-privée, donc d'utilité publique. Nous ne faisons donc pas la guerre aux autres chaînes avec les mêmes armes. Quand je fais 20 minutes d'info à midi, je perds de l'audimat. Noreddine, qui est un garçon très intelligent, doté d'une maîtrise en sociologie, nous a servi à reconquérir cet audimat. Il est encore perfectible, et nous y travaillons». «Une sélection naturelle se fera avec le temps» L'explication se tient, mais suffit-elle à légitimer certains manquements, tant à la bienséance qu'aux techniques élémentaires de la profession? Car, à y regarder de plus près, certaines émissions semblent reposer sur un vide sidéral que leurs animateurs prétendent combler avec de l'improvisation. Or, cet exercice est conditionné par un travail et de la préparation, afin d'assurer par la suite. Constat confirmé par Anis Hajjam, qui ne conçoit pas que l'on puisse «commencer une phrase sans savoir au préalable comment la terminer. Il y a un vrai problème d'encadrement. Avoir du punch, ce n'est pas être vulgaire et blessant. Quand on est au micro, on a un vrai pouvoir. On peut couper n'importe qui et manipuler l'auditeur comme on veut, surtout au Maroc où les gens adorent s'entendre à la radio et accepteraient n'importe quoi pour y passer». Si, comme l'affirme ce connaisseur de ce média qu'est la radio, les auditeurs ne sont peut-être pas encore prêts à la complète libéralisation des ondes et qu'ils représentent souvent le vrai problème dans les émissions interactives, car difficilement gérables, Abdou Souiri pointe, lui, la carence en formation et la précipitation dans laquelle les choses ont été faites. «Avant, on faisait de l'écriture, du montage et un nombre incalculable de journaux à blanc avant de gagner le droit de passer à l'antenne. Aujourd'hui, il ne viendrait même pas à l'esprit de parler de polyvalence. Recevoir des gens et faire une blague, c'est facile. Recevoir des artistes et mener des interviews est une autre paire de manches. Il faut non seulement respecter l'auditeur, mais aussi le tirer vers le haut, et non l'inverse». Seule Médi 1 a été rappelée à l'ordre pour deux affaires de publicité Mais s'il est un constat qu'acteurs et contempteurs partagent, c'est bien celui que la bulle finira par exploser un jour, étroitesse du marché de la publicité oblige. La nouveauté, la jeunesse et la fougue des protagonistes de la radio alimentent la surenchère dans la provocation et parfois les dérapages verbaux, eux-mêmes catalysés par la nécessité de faire de l'audience pour décrocher des contrats publicitaires. Tout le monde s'accorde néanmoins à reconnaître qu'un tri sélectif finira par se faire, un écrémage naturel. Kamal Lahlou, patron de Casa FM, en convient volontiers, mais, ajoute-t-il, le bénéfice des auditeurs qui autrefois n'avaient pour choix que des émissions préenregistrées dépasse largement les quelques malheureux dérapages observés çà et là. «Vous n'imaginez pas, ajoute-t-il, la formidable ère d'ouverture que nous vivons, l'accessibilité sans pareille qu'ont aujourd'hui les citoyens au monde des médias, la possibilité de parler de leurs problèmes, échanger leurs idées, savoir que quelqu'un est à leur écoute». M. Lahlou, dont la radio est largement connue pour ses programmes en darija, estime que même en optant pour le direct, on peut éviter les dérapages. «Tout est question de ligne éditoriale, d'éthique et de contrôle, argumente-t-il. Même l'auditeur, quand il connaît les valeurs de la chaîne n'ose pas déborder.» En attendant, bien plus que RTM Chaîne Inter ou tout autre organe radiophonique, c'est surtout la Haca qui est pointée du doigt pour son immobilisme face à des manquements d'éthique qui risquent d'annihiler cette ouverture des ondes. «On a copié le CSA français dans sa mise en place, mais il n'y a pas de suivi concret», se désole Anis Hajjam, suivi par Abdou Souiri, qui ne comprend pas que «la Haca ne fasse rien pour recadrer les choses et mettre en garde contre les dérapages». Côté CasaFM, Imad Kotbi concède rédiger un rapport hebdomadaire sur son émission, «The Kotbi Show», qu'il remet à son patron, assurant fonctionner à l'autocensure et non pas à quelques directives que ce soit. «Un suivi régulier devait être mis en place à partir de début janvier 2007 par la Haca, je ne sais pas où ils en sont», conclut-il. Du côté de l'organe de régulation, le son de cloche est plutôt discret. Concernant les radios du pôle public, elles sont minutieusement épluchées, contrairement aux radios privées, auxquelles «on applique un suivi sélectif», affirme un membre de l'instance de régulation. Comprendre que tout ne peut être contrôlé, que seules quelques émissions font l'objet d'examen. «Nous manquons cruellement d'effectifs pour pouvoir tout suivre, bien que le département vienne d'être réorganisé avec la mise en place d'une cellule exclusivement dédiée à la radio et chargée de rédiger des rapports quotidiens au DG. Les contrevenants aux règles, sur la base du cahier des charges, passent en conseil. Et pour l'instant, seule Médi 1 a été rappelée à l'ordre pour deux histoires de publicité, l'une clandestine, l'autre comparative», ajoute ce membre. En attendant de gravir un échelon supérieur à celui de la pub, des choses continuent de polluer l'espace radiophonique sans que cela ne semble choquer outre mesure. Du genre : «Tu viens de Khouribga… vous devriez utiliser davantage de dentifrice pour soigner vos dents pourries». Jusqu'à quand ?