Une étude menée en 2001 estimait le nombre des Marocains diabétiques à 1,7 million, un chiffre jugé bien en deçà de la réalité par les médecins. L'Etat a déboursé, en 2003, 73 millions de DH pour procurer l'insuline aux plus démunis et c'était encore insuffisant. Les malades s'inquiètent de savoir quel sera le prix de l'insuline à 100 unités/ml, qui sera disponible dès juin prochain. Elle gagne du terrain, la «maladie du sucre», comme on la nomme chez nous. L'Organisation mondiale de la santé (OMS) s'en émeut, et vient de publier une étude dont les conclusions sont inquiétantes : le nombre de diabétiques devrait atteindre, d'ici à 2030, 370 millions. Pour l'heure, il est de 200 millions. Et le fléau, cruel apanage, autrefois, des sociétés occidentales repues, touche, aujourd'hui, de plein fouet, les populations mal nourries. Curieux sens de la parité ! Parmi les dix pays composant le peloton de tête, figurent aussi bien des pays nantis que des pays pauvres : Inde (35 millions de diabétiques), Chine (23,8 millions), Etats-Unis (16 millions), Fédération de Russie (9,7 millions), Japon (6,7 millions), Allemagne (6,3 millions), Pakistan (6,2 millions), Brésil (5,7 millions), Mexique (4,4 millions), Egypte (3,9 millions). En ce qui concerne le Maroc, les seuls chiffres disponibles proviennent d'une enquête menée, en 2001, par le ministère de la Santé publique, qui estime à 1,7 million le nombre de diabétiques, soit une prévalence de 6,6 % pour les 20 à 50 ans, et de plus de 10 % pour ceux qui ont franchi la cinquantaine. Avec le double de la population, la France compterait seulement deux millions de cas recensés. Ce qui nous situe parmi les pays les plus touchés. La culture de la prévention n'existe pas au Maroc Pire, trois diabétologues contactés par La Vie éco estiment que l'on est loin du compte. Pour eux, il y aurait 2,5 millions de diabétiques parmi les Marocains. «Le nombre des diabétiques qui s'ignorent est considérable. Il suffit d'un test sanguin pour détecter l'excès de sucre caractéristique du diabète. Mais c'est un geste que les Marocains ne font pas spontanément, parce qu'ils ne sont pas bien informés et que la culture de la prévention n'existe pas au Maroc», dénonce le docteur Hassan Roba. Fait que confirme le diabétologue Jamal Belkhadir : «Faute d'une politique de dépistage, le diagnostic du diabète est en général fait à l'occasion de symptômes évocateurs dans 50 % des cas, voire à l'occasion de complications métaboliques, cardiovasculaires ou dégénératives dans 25 % des cas». Le reste du temps, le diabète exerce son lent travail de sape, à l'insu du patient qui le couve. C'est que cette maladie est insidieuse. Elle a le mauvais goût d'avancer masquée. Une «épidémie silencieuse», comme le titrait le magazine Science & Vie, dans sa dernière livraison. Le diabète se répand au Maroc, à une vitesse vertigineuse. Un indice révélateur: sa présence dans la langue, où il est la métaphore de l'irritabilité, en substitution de la peste, épidémie qui a foudroyé par le passé des millions de Marocains. C'est tout dire ! Parmi les facteurs de risque, la sédentarité, l'hyperlipidémie, le stress, l'hypertension Cela dit, le ministère de la Santé publique n'est pas resté les bras croisés. En 1995, il a élaboré un programme définissant les grandes lignes de prévention et de prise en charge de la maladie, dans le droit fil des recommandations de l'OMS, pour laquelle il y a urgence à instaurer une véritable politique de santé publique, fondée sur la formation des médecins et sur des campagnes d'information. Depuis, les moyens de prévenir, de dépister et de traiter le diabète se sont accrus, grâce essentiellement à la création de sept centres répartis à travers le pays, comprenant chacun une unité de soins, une unité d'éducation et deux unités spécialisées pour le pied et l'œil. Du 24 au 26 mai 2001, à Casablanca, s'est tenu le 7e Congrès du groupe panafricain d'étude du diabète. «Ce congrès, déclare le Dr Jamal Belkhadir, a été l'occasion de sensibiliser les professionnels de la santé et le grand public en général à l'importance de la prévention et de la lutte contre les facteurs de risque de la maladie diabétique, et qui sont représentés par la sédentarité, l'hyperlipidémie, l'hypertension artérielle, le stress… Bref, un mode d'emploi avec une hygiène alimentaire, sans tabac et une activité physique régulière demeure la meilleure arme contre l'augmentation croissante du diabète et des facteurs de risque associés.» Les patients rechignent souvent à recourir à une thérapie contraignante Les moyens de prévenir, de dépister et de traiter le diabète existent. Reste à les mettre en œuvre, et surtout à convaincre les patients de s'y soumettre. Or, souvent, ils rechignent à user de remèdes efficaces mais considérés comme contraignants. Venue consulter un généraliste pour des maux d'estomac, Najat, 42 ans, se voit proposer une mesure de sa glycémie (teneur du sang en glucose). Diagnostic : un diabète «bénin», dont il convient de se défaire par une modification de l'alimentation, la pratique du sport, la prise de médicaments… Najat n'en fait rien. «Je ne me voyais pas bouleverser mon mode de vie, faire de la marche tous les jours, renoncer aux bonnes choses pour quelques dixièmes de grammes de plus». Elle fait semblant d'ignorer sa maladie, jusqu'à ce que de graves complications apparaissent. «Si j'avais écouté mon médecin, je n'en serais pas là à m'empoisonner la vie». Fatna, 75 ans, suit strictement le traitement prescrit, mais pour le régime qui l'accompagne, elle n'est pas aussi fidèle. Son péché mignon étant les confiseries, elle s'en repaît, en cachette, au risque de faire bondir sa glycémie. Dans les campagnes, on a tendance à croire davantage aux vertus des plantes qu'à celles de la chimie. Ail, amandes amères, décoction de feuilles d'orangers, nigelle et fenugrec sont pris comme antidotes. Mais si ces plantes peuvent former de bons adjuvants, à condition qu'elles soient appropriées au type de diabète, elles ne peuvent remplacer efficacement une médication adéquate. Au grand dam des diabétologues, 25 % de Marocains, rapporte une enquête, utilisent uniquement les plantes pour soigner leur diabète. 25% des diabétiques se traitent uniquement avec des plantes Qu'est-ce que le diabète ? C'est une maladie ancienne (ses symptômes sont décrits sur un papyrus égyptien en 1500 av. J.C) se manifestant par un ensemble de troubles dont une soif inextinguible et un grand débit urinaire. En fait, il n'y a pas un mais plusieurs diabètes. Les plus répandus sont les diabètes sucrés de type 1 et 2. Ils ont en commun une élévation chronique du taux de glucose dans le sang (glycémie). En cause : un déficit de la production d'insuline, hormone qui orchestre l'utilisation par les cellules du glucose issu de la digestion. Parfois appelé diabète juvénile parce qu'il apparaît avant 20 ans, le diabète de type 1 (10% de cas au Maroc) est lié à des anomalies génétiques, et se déclenche par l'entremise de facteurs externes, telle une infection. Dans ce type de diabète, le pancréas, dont le rôle majeur est la sécrétion d'insuline, s'arrête d'en fabriquer. Ne pouvant plus utiliser le glucose, l'organisme est astreint à puiser dans ses réserves de graisses, ce qui se traduit par un net amaigrissement et par la production de déchets toxiques, peuvant provoquer la mort que seule l'injection quotidienne d'insuline permet d'éviter. Dans le cas du diabète de type 2 (90 % des maladies au Maroc), encore appelé diabète gras, le pancréas produit encore de l'insuline. Mais le surpoids, provoqué par une alimentation trop riche et le manque d'activités physiques, en entraîne une augmentation, de la même manière qu'une voiture surchargée a besoin de plus de carburant pour rouler. Ce diabète ne se révèle souvent que par ses complications, généralement après 45 ans. Depuis que l'ingénieux chirurgien canadien Frederick Banting a trouvé, il y a 80 ans, la méthode pour isoler l'hormone qui régule le sucre dans l'organisme, le diabète a cessé d'être une maladie mortelle. De fait, l'insuline, d'abord baptisée islétine, a permis de sauver des millions de vies humaines. Le problème est que l'insulinothérapie est doublement coûteuse. D'une part, parce que le nombre d'injections quotidiennes tend à augmenter, afin de restaurer un profil de disponibilité de l'homme dans le temps proche de la normale. Une contrainte à laquelle les diabétiques de type 2 ont du mal à se plier, au contraire de ceux de type 1 qui y sont habitués dès leur plus jeune âge. D'autre part, en raison du prix de l'insuline. Au Maroc, trois variétés d'insuline sont commercialisées sous les noms de «Actrapid», «Umuline» et «Mixtard». Dans chacune de ces variétés, il y a plusieurs types d'insuline : l'insuline rapide, qui agit au bout d'une demi-heure et est efficace six heures environ, l'insuline intermédiaire qui commence à agir au bout d'une heure et est efficace pendant douze heures ; l'insuline ultra-rapide, disponible depuis 2000, agit au bout de dix minutes et est efficace durant deux heures et demie. Les prix varient entre 92,70 DH et 352 DH la boîte, en fonction de la rapidité d'action du produit. Ce qui est hors de portée des petites bourses. Et les 73 millions de DH déboursés par le ministère de la Santé, en 2003, pour pourvoir aux besoins des indigents en insuline humaine à 40 unités/ml, se sont révélés très insuffisants. Dans le souci de s'aligner sur les normes internationales, le ministère s'apprête à agréer l'insuline à 100 unités/ml, dont la forte concentration garantit l'efficacité. Ce qui n'est pas sans inquiéter les malades. Car le prix de cette insuline, qui sera disponible en juin prochain, les effraie, par avance, alors qu'il n'est pas encore fixé. A moins que l'Etat ne mette la main à la poche. Les moyens de traiter le diabète existent bel et bien, encore faut-il pouvoir se les offrir Et-Tayeb Houdaïfa