Comment peut-on juger quelqu'un en 30 secondes, se demandent les quidams ? Pourquoi un dossier de plusieurs centaines de pages est expédié en une poignée de minutes ? Que font les juges ? Eh bien, ils font juste ce qu'ils ont à faire, qui consiste à apporter des solutions judiciaires aux contentieux existants entre les parties. Quiconque assiste à des audiences au Palais de justice est souvent étonné de la manière dont se passent les choses. C'est technique, sommaire, expéditif et très rapide, et les quidams se posent des questions quant à la manière dont sont traités les dossiers. Mais comment peut-on juger quelqu'un en 30 secondes, se demandent-ils ? Pourquoi un dossier de plusieurs centaines de pages est expédié en une poignée de minutes ? Que font les juges ? Eh bien, ils font juste ce qu'ils ont à faire, qui consiste à apporter des solutions judiciaires aux contentieux existants entre les parties. Les observateurs et autres quidams ne comprennent pas ce qui se passe, et du coup, chacun y va de son commentaire. Mais au-delà de ce que l'on voit en audience publique, il faut connaître l'aspect non public de la vie d'un dossier, et surtout les exigences de la procédure, qui sont très précises. Voyons, par exemple, les renvois d'audience. Le président appelle un dossier, l'ouvre et le feuillette. Dans la salle le public observe, mais ne comprend pas. Puis le président dicte à son greffier à voix haute : «Dossier renvoyé au..... (Et là, ça peut varier de quelques jours à quelques mois), en attente du rapport d'expertise». Ce qui signifie que ledit dossier n'est pas en état d'être jugé, les actes de procédure prévus par la loi n'étant pas terminés. Et ces actes sont multiples, variés et nombreux, bien connus des avocats qui s'en servent à des fins différentes. Ce qui ne manque pas de créer inévitablement des conflits entre avocats, et des «prises de bec» parfois musclées entre les gens en robe noire. Car, bien évidemment, leurs intérêts sont différents. Prenons à titre d'exemple un banal contentieux locatif, opposant un propriétaire à son locataire, pour des retards de paiement de loyer, voire des loyers impayés qui s'accumulent. Pour le propriétaire, la rapidité de la procédure est très importante, afin de résoudre au plus vite ce contentieux, qui a des répercussions sur ses finances et ses affaires. Il veut que ça aille vite, et aiguillonne ses avocats en ce sens. Mais pour le locataire, une certaine lenteur est préférable, qui lui permet, lui, de bien appréhender la situation et, éventuellement, préparer les montants à verser. Pour les avocats également, les renvois revêtent un aspect stratégique, dans la défense des intérêts de leurs clients, et pour cela, tous les moyens (juridiques) sont bons. Bien sûr, les magistrats, en bons professionnels du droit, connaissent toutes ces astuces, mais, malgré tout, se retrouvent souvent décontenancés par les avocats, et ne peuvent que se ranger, souvent la mort dans l'âme, à leurs arguments. Donc, dans ce dossier de loyers impayés, la procédure touche à sa fin, les argumentations ont été expliquées dans les différents mémoires, tous les documents utiles versés au dossier et le président s'apprête à mettre le dossier en délibéré en vue d'une décision imminente. Ce qui n'arrange pas le locataire qui, lui, a besoin d'un peu plus de temps. Son avocat demande un renvoi d'audience, auquel va immédiatement s'opposer son confrère en face. Et pour contrer cette opposition, l'avocat du locataire va produire un document, par exemple un relevé bancaire de son client, expliquant, laborieusement que ceci ou cela... Le dossier sera alors automatiquement renvoyé aux calendes grecques, en vertu des règles de procédure. Lesquelles stipulent que «tout document présenté par l'une des parties doit automatiquement être soumis à la partie adverse afin qu'elle puisse faire un commentaire». Le locataire l'aura donc momentanément emporté, au grand dam du propriétaire. Une autre technique, également utilisée pour gagner du temps, consiste à constituer tardivement un avocat. L'une des parties laisse volontairement passer les audiences, se retrouvant à chaque fois directement confrontée à l'avocat de son adversaire. Et puis, arrive la fin de la procédure après quelques semaines ou quelques mois de débats, à la veille d'une décision judiciaire, et là, surprise, surgissant du néant, un avocat se présente et se constitue pour défendre la partie qui, jusqu'ici, n'avait pas d'avocat. Et demande un renvoi du dossier à une date de préférence assez lointaine, afin de lui permettre d'étudier le dossier et de préparer sa défense. Les magistrats ne sont pas dupes non plus, et là tout dépendra de l'humeur du juge. S'il est dans un bon jour, le dossier sera renvoyé plusieurs semaines plus tard. Et l'avocat aura réussi son coup. Si le juge est d'humeur maussade, peu enclin à supporter ce genre de technique, le dossier sera renvoyé...au surlendemain, à charge pour l'avocat de mettre les bouchées «triples» pour être prêt dans le délai imparti. Autant de détails techniques qui échappent totalement au citoyen/spectateur lambda qui, lui, ne peut que constater: «Mais ils ne font que renvoyer tous les dossiers. Tous des flemmards» ! Et c'est ainsi que la vox populi estime, dans sa majorité, que la justice est lente et indécise !