D'un côté, la présomption d'innocence s'impose, voulant que chaque personne est réputée innocente, jusqu'à son jugement. De l'autre, la conviction qu'il faut empêcher les délinquants de nuire, en les emprisonnant immédiatement, afin de les empêcher de nuire. Ce qui revient à considérer qu'on emprisonne d'abord un innocent… Le Maroc va bien....et, corollaire de cela, la criminalité augmente, allant de pair avec le développement économique du pays. Ce n'est ni une surprise ni une nouveauté, ce phénomène ayant été plusieurs fois constaté et documenté à travers le monde. Les forces sécuritaires, elles, font du bon travail, réussissant ainsi à maîtriser le phénomène, le gérer, à défaut de pouvoir le contrôler complètement. Du coup, les arrestations se multiplient, entraînant un fonctionnement en jet continu de la machine judiciaire et de ses tribunaux. Ça condamne à tour de bras, et les juges n'y vont pas avec le dos de la cuillère. Résultat inévitable, les prisons sont pleines à craquer, ce qui entraîne à son tour une surpopulation carcérale. Les magistrats étant en général assez conservateurs, leur méthode est simple : on embastille tout ce qui bouge, de l'auteur d'un crime odieux au simple collégien qui embrasse sa petite amie : «Outrage aux bonnes mœurs», voire «atteinte à la pudeur» !…..On se demande bien sur quelle planète ils vivent, et s'ils ont de la progéniture. Les prisons sont donc surchargées, et rien n'indique que cela va changer. Pourtant, il existe bien une solution à tout cet enchaînement, il s'agit des «peines alternatives». Le principe en est fort simple. Au lieu d'envoyer certains délinquants mineurs en détention, on applique des peines de substitution, ce qui permet de faire d'une pierre deux coups : 1) apporter une réponse pénale aux délits commis, du genre «l'Etat est là, il veille, et intervient même en cas de petites infractions». 2) Cela permet d'alléger et d'atténuer la pression dans les centres de détention, écartant de ce fait les risques de mutinerie ou de révolte. Par ailleurs, il est avéré que, si on évite à certains délinquants un passage par le milieu carcéral, cela contribue à une prise de conscience de l'individu, par rapport au préjudice subi par la société. Il existe donc plusieurs peines alternatives, plus exactement quatre : 1) Le travail d'intérêt général consiste à réaliser des travaux au profit d'une association ou d'une communauté, choisie par un magistrat. Au lieu de croupir trois mois en prison, le délinquant mettra, bénévolement, ses compétences (comptabilité, mécanique, secrétariat… ou autres) au service d'une occupation utile à la société. 2) L'amende journalière permet d'éviter l'incarcération, moyennant le paiement d'une amende, allant de 100 à 2 000 DH. Les plus rusés ont ainsi calculé qu'il faudra régler... 73000 DH à 1 460 000 DH si l'on veut éviter deux années de détention. 3) L'obligation d'un contrôle judiciaire : l'intéressé demeure libre, mais avec certaines obligations, définies par le magistrat, comme l'interdiction de quitter une ville ou un pays, celle de ne pas aller dans certains quartiers, ou de rencontrer certaines personnes, ou encore celle d'aller «pointer» chaque semaine au commissariat local. 4) La limitation de certains droits. Comme par exemple celui de voyager, d'exercer un mandat public ou de présider une association. Il y a bien, dans notre corpus législatif, la possibilité pour les juges «cléments», de poursuivre quelqu'un sans mise en détention provisoire, mais la société n'est pas prête à tolérer ces aménagements. Pour elle, la place d'un délinquant est en prison, et n'entend pas entrer dans des subtilités juridiques, qualifiant un vol en une banale «soustraction frauduleuse d'un bien d'autrui». Mais pour une évolution positive de la situation, qui tendrait à baisser le nombre des personnes incarcérées, il faudrait une véritable révolution mentale, et tout d'abord chez les juges chargés des affaires correctionnelles ou criminelles. Car, jusqu'à présent, pour eux, la norme c'est la détention. Ce qui est en fait assez curieux à observer : d'un côté, la présomption d'innocence s'impose, voulant que chaque personne est réputée innocente, jusqu'à son jugement. De l'autre, la conviction qu'il faut empêcher les délinquants de nuire, en les emprisonnant immédiatement, afin de les empêcher de nuire. Ce qui revient à considérer qu'on emprisonne d'abord un innocent (en état de détention provisoire, donc pas encore condamné). S'il l'est par la suite, tout va bien, on a juste un peu anticipé le temps de son emprisonnement. Mais s'il s'avère que son innocence est prouvée suite à un procès, on aura alors emprisonné abusivement et sans fondement, en violation de toutes les règles concernant la présomption d'innocence, quelqu'un qui n'a rien fait. On lui aura volé sa liberté, ce qui est formellement interdit par tous les textes. A quand donc ces fameuses peines alternatives ?