Durant la dernière décennie, le PIB hors agriculture n'a progressé que de 3 % par an, soit à un rythme nettement inférieur à la moyenne des pays émergents. L'accélération durable de la croissance, qui est un facteur essentiel du rattrapage économique, requiert des gains de productivité supérieurs à 2%. Dès le début des années 2000, le Maroc a initié des réformes structurelles visant à moderniser les secteurs traditionnels de son économie, dont notamment l'agriculture et le tourisme, tout en encourageant l'essor de nouvelles filières exportatrices telles que l'automobile, l'aéronautique ou encore l'offshoring. L'objectif est de mettre en place les conditions favorables à une «croissance durable en ligne avec les objectifs d'émergence et de convergence». Cependant, en dépit des progrès économiques réalisés, le rythme de la croissance et la création d'emplois sont restés insuffisants. C'est ainsi que, durant la dernière décennie, le PIB hors agriculture n'a progressé que de 3% par an, soit à un rythme nettement inférieur à la moyenne des pays émergents, qui s'est établi autour de 5% durant la même période. Afin de débattre de la question de la croissance et de son rapport avec le type de modèle économique, l'Institut CDG a organisé, le 24 janvier à Rabat, une conférence sous le thème : «La transformation structurelle de l'économie marocaine pour une croissance durable et inclusive». Lors de cette rencontre, Abdellatif Zaghnoun, directeur général de la CDG et président de CDG Invest, a attiré l'attention sur le fait que «depuis le début de cette décennie, le secteur tertiaire a connu une croissance supérieure à celle du secteur industriel. Sa contribution au PIB est près de deux fois et demi supérieure à celle du secteur industriel». Et de préciser que «la composition du PIB est marquée par l'importante domination du secteur des services à 57%, suivie du secteur industriel à près de 29% et, enfin, du secteur agricole à 14%». Autrement dit, la transformation structurelle de l'économie marocaine donne l'impression de «contourner le secteur secondaire», passant d'une économie à prédominance agricole à une économie de services. Ce schéma diffère sensiblement de celui de la transformation structurelle impulsée par le secteur manufacturier en Asie du Sud-Est, et qui est souvent cité en modèle. Pour sa part, Elie Cohen, économiste et directeur de recherche au CNRS, est revenu sur la transformation structurelle de l'économie française. A partir du début des années 90, l'Hexagone est passé d'un «modèle dirigiste, colbertiste», marqué par l'intervention de l'Etat dans le choix et le financement des secteurs économiques jugés prioritaires, à un modèle de dérégulation et de déréglementation, caractérisé par le désengagement de l'Etat. La conséquence a été une «désindustrialisation massive» et une baisse importante de l'innovation. Youssef Saâdani, directeur des études économiques à la CDG, s'est, quant à lui, posé la question de savoir pourquoi la croissance est toujours aussi faible, alors que le taux d'investissement au Maroc est l'un des plus élevés au monde, avec une formation brut du capital fixe (FBCF) supérieure à 30% du PIB. Selon lui, «la faiblesse de la croissance s'explique principalement par l'insuffisance des gains de productivité, qui n'ont pas dépassé 1% au cours de la dernière décennie». Et d'ajouter que «l'accélération durable de la croissance, facteur essentiel du rattrapage économique, requiert des gains de productivité supérieurs à 2%. D'où la nécessité d'une transformation structurelle de l'économie». Si le Maroc a réussi à faire émerger de nouvelles filières exportatrices, ces dynamiques sont localisées et n'ont pas encore pris une dimension systémique à l'échelle du pays. Elles sont restées limitées à quelques secteurs, avec une valeur ajoutée relativement faible. De plus, elles sont portées majoritairement par des entreprises étrangères, tandis que l'entrepreneuriat local continue de s'orienter vers les secteurs protégés de la concurrence internationale. De même que pour rattraper son retard de croissance, le Maroc devra opérer une restructuration de son tissu économique, qui privilégie l'innovation. Force est de constater que celle-ci est très faible. En 2018, à peine 200 brevets ont été déposés (dont seulement 20 par des entreprises), contre 8000 pour la Turquie et plus de 160 000 pour la Corée du Sud qui était, dans les années soixante, au même niveau de développement économique que le Royaume. In fine, le renforcement des gains de productivité, condition sine qua non pour une accélération de la croissance, requiert une diversification productive plus rapide, avec une montée en gamme vers des activités à plus forte valeur ajoutée ; un entrepreneuriat local plus dynamique, en particulier dans les secteurs exportateurs ; ainsi que des entreprises beaucoup plus innovantes.