Parent pauvre de l'économie marocaine, la transformation structurelle a été au coeur d'une rencontre organisée le vendredi 24 janvier par le bras financier de l'Etat. Des experts éminents ont placé le curseur sur ce à quoi faut-il remédier en urgence pour sortir des sentiers battus. Penser un nouveau modèle de développement pour le Maroc est au centre des préoccupations de toutes les forces vives du pays. C'est devenu même une priorité nationale pour pallier au faible taux de croissance qui ne dépasse pas les 3,5% et parvenir à une croissance soutenue dans le long terme. Une urgence pour remédier au déséquilibre de notre modèle de développement marqué d'une part par un effort d'investissement, l'un des plus élevés au monde soit une FBCF supérieure à 30%, et d'autre part par l'insuffisance des gains de productivité. « Au regard de la décélération des performances en matière de croissance ces dernières années et de son faible contenu en emplois, un débat est engagé au Maroc sur l'efficience de notre effort d'investissement et sur le faible effet d'entrainement du secteur privé sur l'économie. Cette dernière peinant à amorcer des changements structurels de grande ampleur qui soient à même de générer des gains de productivité et d'enclencher de manière irréversible le processus de convergence économique » a rappelé le Directeur général de CDG, Abdellatif Zaghnoun en marge d'une conférence sous le thème « La transformation structurelle de l'économie marocaine : pour une croissance durable et inclusive ». Une rencontre où il a été question de comprendre les incohérences qui résident entre l'intensité capitalistique, de mesurer la soutenabilité d'un développement fondé sur les spécificités de notre structure économique et d'identifier, par conséquent, les synergies potentielles entre les stratégies sectorielles et le renforcement de la coordination entre les acteurs publics et privés. En effet, personne n'est censé ignorer qu'on ne peut parler de nouveau modèle de croissance sans opérer une réelle transformation structurelle de notre économie dont la lenteur est la principale cause de la faiblesse des gains de productivité au Maroc. Rappelons que la productivité globale des facteurs ne contribue que faiblement au PIB soit seulement 0,5 point par an. Ce qui n'est pas sans conséquence sur le taux de croissance structurelle qui est inférieur de 2 points par rapport à la moyenne des pays émergents pour ne citer que l'exemple de la Turquie qui est à 6% de croissance depuis 2010. Pour combler ces deux points de déficit et assurer un rattrapage économique, le Maroc a intérêt à mettre en place les conditions favorables à une croissance durable, généralisée et inclusive. Mais pas que. L'enjeu est aussi d'éviter d'enfermer le Maroc dans un modèle productif de type « Maquiladoras » en développant une économie à deux vitesses. Un modèle de développement que l'économiste Enrique Dussel Peters avait qualifié d'obsolète depuis bien une décennie. Entamer le virage du modèle productif n'est plus un choix mais un impératif pour renforcer les gains de productivité qui constituent le combustible de la croissance économique. Il faudra doubler les gains de productivité autrement dit passer de 1% (enregistré durant cette dernière décennie) à 3% pour accélérer la croissance durable. « Changer de régime de productivité est extrêmement difficile. Un défi considérable à relever puisque cela suppose de changer la structure de l'économie », a précisé Youssef Sâadani, Directeur des Etudes Economiques, CDG. Difficile mais pas impossible si l'on prend l'exemple de la Corée du Sud qui a réussi à opérer la transformation structurelle de son économie et à passer d'une économie agraire sous-développée à une économie industrialisée et concurrentielle sur les marchés mondiaux. Et l'un des facteurs clés de cette transformation est l'industrialisation. Etant l'un des secteurs les plus importants en terme de création d'emplois directs et indirects, le secteur industriel est une réelle locomotive de la croissance. A condition de réussir une diversification productive plus rapide, une montée en gamme vers des activités à plus forte valeur ajoutée et un entrepreneuriat local plus dynamique en particulier dans les secteurs exportateurs. Mais aussi se doter de PME plus structurées et de grandes entreprises plus innovantes et conquérantes. Car force est de constater que malgré l'émergence des filières exportatrices en l'occurrence l'automobile et l'aéronautique, ce dynamisme, limité à certains secteurs, a une valeur ajoutée locale faible et est surtout porté par des entreprises étrangères. Sans compter le faible taux d'innovation des entreprises marocaines qui constitue un levier d'émergence d'une nation. Pour donner un ordre de grandeur, le dépôt de brevet a culminé durant les 5 dernières années 300 brevets résidents par an (principalement par les universitaires) alors que la Turquie est à 8.000 brevets par an et la Corée du sud à 160.000 déposés par les entreprises. Nous sommes donc bien loin du compte pour espérer prendre le train des pays émergents. D'où l'enjeu de ce virage que le Maroc s'apprête à prendre. Mais pour ne pas le rater, il est impératif de poser les bonnes questions et surtout d'apporter des réponses adaptées aux spécificités de notre économie tout en prenant en compte les nouvelles donnes de la mondialisation, de la désindustrialisation, des nouvelles technologies.... L'économiste et directeur de recherche au CNRS, Elie Cohen, nous a livré les ingrédients du succès pour garantir un décollage économique durable et inclusif.