Depuis que le Souverain avait insisté sur l'importance pour le Maroc d'intégrer le cercle des pays émergents, le terme est galvaudé à tout va par les économistes, les analystes, les faiseurs d'opinion. En l'absence d'une définition claire, chacun y va de sa propre lecture qui l'arrange selon le contexte, la thématique et l'enjeu. D'aucuns diront que nous ne pouvons parler d'émergence que si le pays en question affiche des taux de croissance économique à partir de 5% pouvant générer plus de richesses et d'emplois. Dans un document sur l'émergence économique de Moubarack Lo Economiste en Chef du Premier ministre du Sénégal publié par Policy The New South, il est fait un diagnostic stratégique du Maroc dans sa marche vers l'émergence. La question qui se pose d'emblée est : à partir de quel moment, dans son cheminement vers le progrès économique, peut-on considérer qu'un pays est réellement devenu émergent ? « Cette question est d'autant plus pertinente qu'aujourd'hui, plusieurs pays, sur tous les continents, prétendent avoir atteint le stade de l'émergence ou sont en voie de l'être », explique Moubarack Lo. Et d'enchaîner : « Il est d'autant plus difficile de les départager, qu'il n'existe, à ce jour, aucune définition consensuelle de la notion d'émergence ». Telle qu'utilisée dans la littérature économique courante, l'émergence marque un réel point tournant faisant passer un pays pauvre d'un équilibre de faible croissance à un équilibre de croissance forte, durable et inclusive. Il s'agit d'un processus vertical qui requiert la mobilisation d'une grande force motrice pour briser les handicaps qui empêchaient, jusqu'ici, le pays de se développer. Essoufflement de la croissance économique D'après l'auteur, l'analyse par composante de l'indice d'émergence économique du Maroc entre 2016 et 2017 fait ressortir les conclusions suivantes. En matière de richesse inclusive, le Maroc a quelque peu amélioré ses scores pour le PIB par habitant et pour l'espérance de vie de naissance. Cependant pour cette dimension, le Maroc possède un score global très en retrait de celui de la Tunisie et du Botswana. En ce qui concerne l'espérance de vie, le Maroc réalise la deuxième meilleure performance parmi les 45 pays africains de l'échantillon. Le Maroc est ainsi classé par la Banque mondiale parmi les pays à revenus intermédiaires de la tranche inférieure. Il ressort même que sur 7 indicateurs macroéconomique retenus, le Maroc enregistre de bonnes performances pour 4. Toutefois, son score pour la variable relative à la croissance du PIB par tête demeure faible et en dessous de 0,5. Ceci dénote un certain essoufflement du modèle de croissance économique marocain qui a besoin de se renouveler. A ce titre, il est à relever que durant la même période, le score du Maroc pour la dimension transformation structurelle est passée de 0,436 à 0,478. Il s'est amélioré sans pour autant atteindre la classe des pays émergents. Autre point important soulevé est l'effort d'investissement effectué par le Maroc au cours des dernières années qui ne s'est pas traduit par des gains de productivité. De plus, selon les données de la Banque mondiale, entre 2001 et 2014, le taux de croissance moyen de l'économie marocaine a atteint 4,4%. Le capital physique y a contribué à hauteur de 60%, le travail à 15% et la Productivité Totale des Facteurs (PTF) à 25%, selon les calculs effectués par le Haut-Commissariat au Plan (HCP) du Maroc. Or, un pays visant l'émergence ne peut pas uniquement compter sur l'accumulation de capital pour rattraper son retard. Ceci nécessiterait un taux d'investissement élevé et, donc, insoutenable à long terme. Il importe donc pour le Maroc d'accélérer l'amélioration de sa productivité et de la transformation structurelle. La transformation structurelle, le maillon faible Cette faible transformation structurelle est due à l'insuffisance de l'investissement privé dans les secteurs porteurs de la croissance, ce qui limiterait sa complémentarité avec le public, la présence d'effets d'éviction non négligeables des investissements publics. Les rigidités du marché du travail et la faible qualité de l'éducation constituent également une contrainte majeure pour la croissance. Moubarack Lo a émis un certain nombre de recommandations : * Améliorer la qualité de la gestion des politiques publiques, dans toutes leurs étapes (de la conception, au suivi-évaluation, en passant par leur mise en œuvre), en veillant à assurer la bonne coordination intersectorielle et la complémentarité des plans et programmes sectoriels ; * Renforcer profondément la qualité du système éducatif et celle de la main-d'œuvre, en mettant en œuvre notamment les mesures identifiées dans le projet de loi-cadre relatif au système de l'éducation, tout en promouvant la formation continue et le développement de la productivité au sein des unités économiques ; * Développer les capacités d'innovation technologique, en mettant en place un cadre réglementaire et des incitations adaptées, y compris concernant le transfert technologique (en s'inspirant, par exemple, des pays asiatiques comme la Malaisie) ; * Repenser la politique de développement industriel, en faisant le choix clair de la promotion des produits à haut contenu technologique pour l'accueil des investissements directs étrangers au Maroc, tout en accélérant la mise à niveau des PME orientées vers l'import-substitution et le marché local et africain ; * Mieux intégrer le Maroc dans son environnement régional africain, en développant les liaisons routières, ferroviaires et maritimes avec les pays du Nord et de l'Ouest africains, en concluant des accords commerciaux et d'investissement avec les différentes communautés économiques régionales africaines dans le contexte plus global de la mise en œuvre de la Zone de Libre Echange Continentale Africaine (ZLECAf). Les indicateurs passés en revue par Moubarack Lo, bien que ceux présentés ci-dessus ne sont pas exhaustifs, n'ont pas connu de grands changements au cours des derniers exercices. Autrement dit, que ce soient la transformation structurelle de l'économie, l'impact de l'investissement public sur la croissance économique, le PIB par habitant... voire le taux de croissance autour de 3,5 à 4%, ils restent inférieurs au seuil escompté pour atteindre le cercle des pays émergents. C'est tout l'enjeu du nouveau modèle de développement économique qui devrait s'atteler sur l'inclusion sociale.