Les opérations du Trésor donnent encore une fois du fil à retordre aux gestionnaires de fonds obligataires de la place. En effet, les récentes adjudications de bons ont consacré une hausse des taux relativement importante et généralisée et n'ont pas manqué d'avoir un impact direct sur les valeurs liquidatives des OPCVM (Organismes de placement collectif en valeurs mobilières) classés dans la catégorie «obligataire». Le mouvement sur la courbe des taux est déconcertant aussi bien pour les porteurs de parts d'OPCVM obligataires et monétaires que pour les professionnels. Il intervient à un moment où on pensait le Trésor dans une situation de trésorerie des plus confortables (encaissement du chèque Altadis de 14 milliards de dirhams) et où les investisseurs, principalement les banques, croulent sous les liquidités. Deux facteurs qui, a priori, ne justifient pas une hausse du loyer de l'argent. En réalité, le marché a amorcé, depuis fin septembre dernier, un retournement de tendance. Les analystes, eux, préfèrent parler de «correction». Et pour cause, alors que les anticipations des investisseurs tablaient sur une poursuite de la détente des taux sur le marché monétaire, la banque centrale a annoncé, le mois dernier, toute une série de mesures visant à réguler les surliquidités du système bancaire à travers, notamment, un relèvement du taux de la réserve monétaire et surtout une reconduction des opérations de reprise des liquidités au taux attrayant de 3,25 %. La décision de Bank Al Maghrib de maintenir les taux d'intérêts aux alentours de 3,25 % a été interprétée par le marché comme une volonté claire du régulateur d'endiguer la situation de surliquidité qui prévalait depuis plusieurs mois déjà. «À ce moment-là, tous les professionnels ont prédit une hausse des taux sur le marché monétaire à des niveaux proches des taux directeurs de Bank Al Maghrib», raconte un analyste. Le revirement de situation a commencé dès fin septembre Le marché secondaire des bons du Trésor a vite fait de répercuter cette interprétation sur la partie courte de la courbe (les bons à 13, 26 et 52 semaines, et dans une moindre mesure, les bons à 2 ans). La correction technique due au redressement des taux sur le marché monétaire a fini par se propager, par effet d'entraînement, sur l'ensemble du marché, touchant de manière beaucoup moins prononcée les maturités moyenne et longue. L'adjudication du 14 octobre dernier ne devait que confirmer les anticipations des analystes et des investisseurs. C'était sans compter avec la touche «d'originalité» du Trésor qui, malgré ses promesses, une quinzaine de jours auparavant lors d'une réunion avec les IVT (intermédiaires en valeurs du Trésor), de ne pas accepter de hausses supérieures à 25 points de base, mobilisait quand même quelque 500 millions de dirhams sur le 5 ans, au taux de 4,78 %, soit une hausse de 35 points de base d'un seul coup. Les analystes, qui n'hésitent pas à qualifier cette adjudication de «catastrophique», ont interprété le geste du Trésor comme un «aveu» de ce dernier quant au faible niveau de sa trésorerie. «Le fait que le Trésor marque cette hausse importante sur une maturité aussi sensible que les bons à 5 ans nous invite à nous poser beaucoup de questions sur ses besoins de financement d'ici à la fin de l'année», s'interroge un gestionnaire. Cette nouvelle donne a entièrement chamboulé les supputations des investisseurs, qui pensaient jusque-là que le Trésor était «à l'aise dans ses baskets» pour reprendre l'expression d'un gestionnaire. L'incertitude provoque un attentisme exagéré de la part des investisseurs Un climat d'incertitude qui n'a pas manqué de provoquer un attentisme exagéré de la part des investisseurs sur le marché secondaire. Ce compartiment demeure, depuis cette fameuse adjudication, très prudent, ce qui s'est traduit par des volumes transactionnels très faibles et des taux poussés vers la hausse, «des primes de risque» disent les investisseurs. Il faut croire que l'enjeu est de taille : si les besoins du Trésor pour le reste de l'année s'avèrent très importants, un recours massif au marché des adjudications entérinera définitivement une tendance haussière des taux, toutes maturités confondues. Par contre, si le Trésor rectifie le tir lors de la dernière adjudication du mois d'octobre et montre des indices d'aisance financière, les taux se stabiliseront. «Pas pour longtemps», prédisent les analystes. En effet, l'aisance financière de l'Etat ne durera pas et la part des six milliards de dirhams provenant de la privatisation de la Régie des tabacs, qui a atterri directement dans les caisses du Trésor, seront bientôt épuisés. Une question de semaines. Une fois la manne de la Régie des tabacs épuisée, le recours massif du Trésor au marché intérieur de la dette poussera le niveau des taux d'intérêts à la hausse. Le report de l'introduction en Bourse de la Banque centrale populaire et les incertitudes sur la date de la cession des 16 % de Maroc Telecom à Vivendi Universal poussent certains analystes à voir la tendance haussière se prolonger jusqu'à la fin du premier trimestre 2004, au moins. Au-delà des explications techniques sur les tenants et aboutissants, souvent de l'ordre du macroéconomique, d'une hausse (ou baisse) des taux, il faut savoir que ces mouvements erratiques des taux d'intérêt ont un impact direct sur la rentabilité de l'épargne. Les détenteurs de parts d'OPCVM obligataires et monétaires l'auront sans doute compris, les performances affichées par leurs fonds sont inversement proportionnelles à l'évolution des taux d'intérêts : chaque hausse des taux signifie pour ces investisseurs des moins-values latentes à constater sur leurs portefeuilles de placement. De l'avis de plusieurs gestionnaires de fonds, l'investisseur marocain a très bien assimilé le fonctionnement d'un portefeuille obligataire. «Paradoxalement, commente un gestionnaire de fonds, certains épargnants ont mieux assimilé le fonctionnement des placements obligataires et monétaires que certains institutionnels». Dans l'attente d'une poursuite de la tendance haussière, les gestionnaires de fonds ont déjà entrepris de prévenir leur clientèle. «Il ne faut pas voir que le mauvais côté des choses» «Une hausse des taux n'est pas forcément mauvaise, explique-t-on dans les sociétés de gestion, elle a certes un impact immédiat sur la valorisation des portefeuilles des OPCVM et donc sur les valeurs liquidatives, mais à moyen terme, elle permet d'améliorer l'espérance de rendement du fonds». Encore faut-il avoir une idée claire sur la durée et l'étendue de la hausse. Les taux d'intérêts fixés à l'issue des adjudications hebdomadaires des bons du Trésor ne servent pas uniquement à calculer les valeurs liquidatives des fonds monétaires et obligataires. Nombreux sont les instruments d'épargne dont le rendement et la rentabilité sont indexés sur les taux d'intérêts du marché primaire. Comptes sur carnet, comptes d'épargne, dépôts à terme, bons sur formules… sont autant de produits dont le rendement dépend directement du niveau de taux observé sur une période donnée. Les rendements des comptes sur carnet et des bons du Trésor sur formules sont par exemple recalculés de manière semestrielle sur la base des niveaux de taux observés durant les six mois écoulés. Les niveaux de rendement offerts par les banques pour leurs dépôts à terme (DAT) et autres bons de caisse obéissent par contre à la loi du marché. C'est l'offre et la demande qui ont déterminé le taux de rendement, et les banques sont peu enclines à répercuter automatiquement une hausse des taux, surtout par les temps qui courent où les banques cherchent à baisser le coût de leurs ressources. Les banques restent toutefois tenues d'offrir des taux qui puissent au moins attirer les investisseurs vers ce genre de produits de placement plutôt que d'autres. Enfin, une chose est sûre, le marché obligataire marocain ou, de façon générale, le marché des taux, connaît une volatilité croissante et donc un accroissement du risque lié aux instruments de placement en produits de taux. En d'autres termes, l'évolution des taux d'intérêt est moins prévisible qu'elle ne l'était il y a quelques années. Certains professionnels pourraient faire le reproche au Trésor de ne pas communiquer suffisamment, il n'en reste pas moins que la priorité pour ce dernier est de se financer aux meilleurs taux et ce au risque d'aller à l'encontre des anticipations du marché. Cette volatilité croissante a pour bénéfice d'offrir aux investisseurs des opportunités d'arbitrage plus importantes, mais elle a l'inconvénient d'exposer les épargnants à un risque de perte en capital plus important. D'où la nécessité pour ces derniers de définir clairement leurs horizons de placement et d'adosser leurs investissements aux placements les plus appropriés en attendant que notre marché puisse se doter d'un système de couverture contre les risques de fluctuations des taux d'intérêt